Le 22 janvier 2024, la Cour supérieure a rendu une décision dans l’affaire opposant Construction SOCAM ltée (« SOCAM ») à la Société du Parc Jean-Drapeau (la « SPJD[1] »). Au terme d’un appel d’offres lancé en 2014 pour la démolition et la rénovation d’infrastructures olympiques construites aux alentours de 1975 au parc Jean-Drapeau, SOCAM a été désignée comme étant la plus basse soumissionnaire conforme. Bien que les travaux devaient se dérouler du 5 janvier au 15 octobre 2015, la prise de possession anticipée des lieux n’a eu lieu que le 29 mars 2016. SOCAM a donc cherché à être indemnisée pour les coûts encourus en raison de la prolongation de la durée du chantier.
1. LES FAITS
Dès la première phase du projet, SOCAM a constaté que les plans soumis par les professionnels au sein des documents d’appel d’offres ne reflétaient pas la réalité des conditions sur le chantier. Ces erreurs et omissions ont entraîné l’émission de pas moins de 230 « questions techniques » (« QRT ») et l’exécution de nombreux travaux supplémentaires, entraînant des coûts additionnels et ralentissant la cadence des travaux. En raison de ces difficultés, SOCAM accusait un retard dans la transmission d’échéanciers révisés sur une base mensuelle, car elle ne s’estimait pas en mesure d’évaluer adéquatement les délais d’exécution résultant des modifications apportées aux travaux.
Face au nombre important de changements à effectuer, les professionnels ont regroupé les modifications de sorte que plusieurs corps de métier différents étaient visés par un même ordre de changement (« ODC »). Ainsi, les 121 directives de changements qui ont engendré des coûts supplémentaires représentant 24 % de la valeur initiale du contrat ont été regroupées en 20 ordres de changement. SOCAM avait annoncé qu’elle estimait que cette approche contrevenait au contrat et compliquait la gestion des changements.
Pour soutenir sa réclamation pour les frais de prolongation de chantier qui totalisaient 659 931,10 $, SOCAM a invoqué divers facteurs, notamment le regroupement des directives en ODC, le manque de précision des plans des professionnels par rapport aux conditions réelles du chantier, l’émission de 230 QRT et la longue période d’attente pour obtenir des réponses des professionnels.
De son côté, la SPJD plaidait n’être responsable d’aucun retard, les délais additionnels ayant été causés en partie par les actions de SOCAM, notamment par son gestionnaire de chantier, à qui il était reproché de ne pas transmettre les échéanciers révisés sur une base mensuelle.
2. LA DÉCISION
LA PROLONGATION DE DÉLAI
À la lumière de la preuve présentée, la Cour a retenu les arguments de SOCAM et a conclu que la prolongation résultait des différents reproches formulés par SOCAM à l’égard des professionnels de la SPJD. En effet, elle a attribué la prolongation du chantier aux regroupements des directives dans les ODC et à l’attente pour obtenir des réponses aux questions techniques. Ainsi, la SPJD a été tenue entièrement responsable de la prolongation du chantier.
Les parties avaient chacune mandaté un expert afin de produire un rapport sur la durée de la prolongation et pour fixer un per diem applicable. L’opinion de l’expert mandaté par la SPJD a été entièrement écartée, la Cour ne lui accordant que très peu de crédibilité. L’analyse des délais effectuée par l’expert de SOCAM a donc été retenue, si bien que la Cour a conclu que SOCAM devait être indemnisée pour une durée de 101 jours, à raison de 2 946,85 $ par jour, pour un total de 297 631,85 $.
LES TROUBLES, ENNUIS ET INCONVÉNIENTS
SOCAM réclamait également une somme de 31 448,93 $ pour les troubles, ennuis et inconvénients subis en raison du comportement abusif de la SPJD et pour compenser le temps perdu à la préparation des 11 cartables au soutien de sa réclamation.
D’emblée, la Cour précise qu’une réclamation visant une compensation pour la préparation de la réclamation n’est pas admissible en principe.
Les reproches formulés par SOCAM reposaient principalement sur le « mutisme » de la SPJD et la non-divulgation de la contingence. En effet, SOCAM reprochait à la SPJD d’avoir refusé de discuter à la suite de l’envoi d’un courriel détaillant ses réclamations. De plus, lors d’une réunion entre les parties, il avait été sous-entendu que SOCAM présenterait des pièces justificatives afin qu’elles soient étudiées par le CA de la SPJD. Or, bien que les pièces aient été dûment transmises, la SPJD n’a présenté aucune preuve indiquant que ces documents avaient été étudiés. La Cour a conclu que cette négligence a causé un préjudice à SOCAM.
En outre, à la fin des travaux, SOCAM a été informée que la SPJD disposait d’une contingence maximale équivalent à 15 % du coût des travaux afin de couvrir les imprévus en cours de chantier. Or, cette contingence n’avait, en aucun temps, été divulguée à SOCAM, et ce, même si une prolongation de délai était envisageable dès le début du projet.
Le fait de ne pas divulguer cette information avant la fin des travaux a été considéré comme un comportement abusif par la Cour. En effet, la SPJD a laissé SOCAM payer ses sous-traitants au fur et à mesure des travaux, bien qu’elle savait qu’une impasse financière surviendrait ultimement. Ainsi, la Cour a jugé répréhensible le fait d’avoir laissé SOCAM effectuer des travaux sachant que les ressources financières planifiées seraient insuffisantes pour les acquitter. La Cour a également fait référence aux articles 5.1.1 et 5.1.2 du CCDC-2 2008 (inclus au devis) qui stipulent que le donneur d’ouvrage doit informer l’entrepreneur de tout changement survenant dans les dispositions financières prises pour remplir ses obligations.
SOCAM avait, pour sa part, l’obligation contractuelle de remettre des échéanciers sur une base mensuelle. La Cour a conclu que la transmission de cinq échéanciers en quinze mois n’était pas suffisante. Même si cette faute n’a pas été retenue comme cause de la prolongation du chantier, elle aura quand même été source d’inconvénients pour la SPJD. Pour ces motifs, le tribunal a accordé à SOCAM une somme de 10 000 $ à titre de troubles, ennuis et inconvénients. Enfin, la SPJD a également été condamnée au paiement des frais d’expertise encourus par SOCAM.
CONCLUSION
La présente décision permet de mettre en lumière les impacts que peuvent avoir un nombre important de directives de modification et d’ordres de changement sur la planification de l’entrepreneur et les coûts qui en découlent. En raison notamment, de plans incomplets des professionnels, SOCAM a vu la totalité de sa réclamation pour prolongation de chantier accueillie. De plus, bien que la Cour ait d’abord pris soin de mentionner que les dommages visant à compenser le temps investi dans la préparation d’une réclamation n’étaient normalement pas accordés, il est intéressant de constater que les circonstances du présent dossier lui ont tout de même permis de faire droit à une portion de la réclamation de l’entrepreneur pour troubles et inconvénients. Cependant, cette décision réitère l’importance de la présentation fréquente d’échéanciers révisés des travaux par l’entrepreneur et ce, bien le chantier soit visé par de multiples modifications aux travaux initialement prévus.
[1] 2024 QCCS 604.