Les conséquences de la nouvelle maladie liée à la COVID-19, élevée au rang de pandémie mondiale par l’Organisation mondiale de la santé, sont déjà visibles dans notre économie. Dans une tentative d’endiguer la propagation du virus («?aplatir la courbe?»), les autorités gouvernementales ont annoncé des mesures d’isolement, de quarantaine et de fermetures des lieux publics et des frontières.

En ce qui concerne l’industrie de la construction, pour le moment, les chantiers sont demeurés actifs.

Les entrepreneurs seraient en principe tenus de respecter leurs obligations contractuelles et de faire avancer leurs travaux, et ce, malgré les contraintes et difficultés particulières qu’apporte la situation d’urgence sanitaire décrétée par le gouvernement.

Entre autres difficultés, on peut mentionner celles liées à la disponibilité de la main d’œuvre, un enjeu déjà connu comme étant problématique au Québec. Certains ouvriers seraient présentement en isolement en raison d’un voyage récent ou parce qu’ils présentent des symptômes de maladie. D’autres éprouveraient des problèmes de disponibilité en raison de leurs obligations familiales, compte tenu de la fermeture des écoles et garderies.

La situation actuelle est également susceptible de présenter des difficultés particulières en ce qui concerne l’approvisionnement en matériaux et la mobilisation des équipements.

Dans les circonstances qui prévalent actuellement, nul doute que les entrepreneurs doivent faire preuve de prudence et d’adaptabilité. Ceci dit, dans la mesure où il devenait impossible pour eux de respecter leurs obligations contractuelles, des moyens pourraient être considérés par les entrepreneurs pour chercher à s’en libérer, ne serait-ce que temporairement.

Essentiellement, les moyens envisageables sont de deux ordres : (1) ceux qui peuvent avoir été stipulés par contrat et (2) ceux prévus au Code civil du Québec.

Certains contrats peuvent contenir des dispositions dites de «?force majeure?» qui sont de nature à moduler les droits et obligations et qui seraient susceptibles de trouver application dans la situation d’urgence sanitaire qui sévit depuis les derniers jours. Par ailleurs, le Code civil du Québec comporte également une disposition supplétive établissant que la force majeure peut constituer un moyen de défense à la suite de l’inexécution d’une obligation contractuelle.

La mise en œuvre des dispositions de force majeure, contractuelles ou légales, aura également un impact important sur l’obligation corrélative du donneur d’ouvrage, à savoir l’exemption de paiement pour les travaux dont l’exécution est suspendue ou annulée en raison de l’événement de force majeure.

Dans le présent texte, nous fournirons un aperçu portant sur les dispositions contractuelles de « force majeure » et sur la notion de force majeure en droit commun. L’objectif poursuivi est de guider le lecteur dans la détermination de ses obligations contractuelles dans le contexte qui prévaut actuellement.

Clauses de « force majeure »

Il est fréquent de retrouver dans un contrat une clause destinée à établir une liste d’événements dits de «?force majeure?» et à prévoir la conséquence convenue entre les parties si l’un des événements énumérés se produit.

Typiquement, ces dispositions définissent et étendent la notion de force majeure aux fins du rapport contractuel entre deux parties. Le fait que la notion de force majeure définie au Code civil du Québec ne soit pas d’ordre public permet d’agir de la sorte.

Ces clauses de «?force majeure?» peuvent :

  • dispenser les parties de l’exécution de leurs obligations et de la responsabilité résultant de l’inexécution lorsque survient un événement répertorié?;
  • indiquer que les parties seront tenues d’exécuter leurs obligations, malgré la survenance d’un événement répertorié?; ou
  • permettre de retarder l’exécution de l’obligation pendant un certain temps après la survenance d’un événement répertorié.

Un exemple de clause de «?force majeure?» est reproduit ci-dessous :

«?Aucune des parties ne sera tenue responsable ou sanctionnée en vertu des termes du présent accord pour manquement à ses obligations résultant d’une guerre, d’une grève, d’une pandémie, d’un cas de force majeure, d’une catastrophe naturelle ou de toute autre blessure échappant au contrôle raisonnable d’une partie (« Force majeure »). Si la force majeure entraîne un retard ou l’inexécution d’une partie aux présentes pour une période de trois (3) mois ou plus, alors chaque partie aura le droit de résilier le présent accord avec effet immédiat sans responsabilité envers l’autre partie.?»

Selon les termes de cette clause, les deux parties pourraient être dispensées d’exécuter leurs obligations et prémunies contre la responsabilité découlant normalement de cette inexécution si, en raison de la COVID-19, elles démontraient avoir été empêchées de respecter leurs obligations respectives. Le cas échéant, cette clause de «?force majeure?» pourrait aussi mener à la résiliation du contrat.

On peut imaginer que d’autres termes que le mot «?pandémie?» pourraient être inclus dans une clause de «?force majeure?» et être assimilés aux circonstances entourant la COVID-19, notamment : «?épidémie?», «?urgence de santé publique?», «?épidémie de maladie transmissible?», «?quarantaine?» ou «?urgence nationale ou régionale?». Certaines clauses peuvent être rédigées de façon ouverte et employer un langage qui engloberait des événements «?similaires?» à ceux énumérés dans la disposition.

Il importe de retenir que l’application d’une clause de «?force majeure?» et sa portée seront déterminées au cas par cas, en tenant compte du contexte contractuel ainsi que des circonstances particulières créées par la pandémie de la COVID-19.

Ainsi, les entrepreneurs ont intérêt à examiner de manière proactive leurs contrats pour voir si de semblables clauses s’y trouvent et seraient susceptibles de s’appliquer dans les circonstances. Le cas échéant, il sera ensuite crucial de déterminer les effets de la clause sur leurs obligations et leurs droits.

Nous rappelons par ailleurs que les conséquences de la survenance d’un événement de «?force majeure?» peuvent varier, et la clause peut n’avoir pour effet que de surseoir aux obligations plutôt que de mener à la résiliation du contrat. De plus, si l’événement de « force majeure » était cause de retard, ce retard serait, pour l’entrepreneur, de nature excusable, mais il ne donnerait pas ouverture à une réclamation de sa part pour les préjudices subis par lui résultant du retard.

Finalement, les entrepreneurs doivent aussi prendre soin de respecter toute exigence d’avis ou toute autre modalité obligatoire aux fins de tirer avantage d’une clause de «?force majeure?», ainsi que toute exigence visant l’atténuation des impacts de l’inexécution qui serait stipulée dans la clause.

La force majeure selon le Code civil du Québec

L’article 1470 C.c.Q. comporte la définition de la notion de force majeure telle que conçue en droit commun et il en procure la description des effets juridiques :

«?Art. 1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible (…).?»

Dans l’état actuel du droit, les autorités et les tribunaux considèrent que si elle est en mesure de prouver que l’inexécution contractuelle résulte d’un événement imprévisible et irrésistible, une partie à un contrat peut se dégager de la responsabilité qui aurait normalement découlé de cette inexécution.[1]

Si un tribunal détermine que l’événement lié à la non-exécution[2] était imprévisible, il pourra relever le débiteur de son obligation contractuelle dans la mesure où il détermine aussi que l’exécution est ou était «?absolument?» impossible. Ainsi, un simple accroissement du coût ou de la durée des efforts requis pour accomplir la prestation ne respecte pas le critère applicable.

Il est possible que la pandémie en cours puisse, dans certains cas d’espèce ou même plus globalement, donner lieu à une défense fondée sur la force majeure. À l’heure actuelle et en fonction des informations présentement disponibles, tous et chacun a son avis quant à savoir si l’événement doit être considéré imprévisible. De plus, le caractère irrésistible devra nécessairement être examiné au cas par cas, selon les circonstances de chaque espèce, à moins qu’une approche plus globale soit développée.

Cela dit, il convient de noter que l’exécution des obligations sera normalement considérée comme impossible si elle est empêchée ou interdite par la Loi ou une autorité compétente. Cela a une pertinence particulière dans le contexte la pandémie de la COVID-19, car certains gouvernements ont imposé des restrictions aux déplacements et des quarantaines régionales.  De telles mesures gouvernementales pourraient possiblement être invoquées pour montrer l’impossibilité de l’exécution contractuelle en fonction de certaines circonstances particulières.

Conclusion

Étant donné l’incertitude inhérente et les délais liés au processus judiciaire, à défaut d’entente au sujet de l’existence d’un événement de force majeure, les parties devront soupeser le pour et le contre lors de l’évaluation de l’opportunité de tenter ou non une exécution du contrat ou d’envisager sa renégociation avec leur cocontractant.

Bien sûr, si la COVID-19, ou les actions des gouvernements qui en découlent, rendent l’exécution d’une obligation impossible, les parties impliquées devront réagir de façon constructive et chercher des moyens de minimiser les conséquences négatives.  Une telle attitude est généralement considérée comme une exigence afin de bénéficier d’un remède procuré par le contrat ou par la Loi.

[1] Typiquement, seul un assureur s’engage à réparer les conséquences d’une force majeure.

[2] Comme, par hypothèse, la pandémie liée à la COVID-19.

Cet article a paru dans l’édition du 20 mars 2020 de l’infolettre construction.