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Sommaire
Le 22 décembre 2021, la Cour supérieure rendait jugement dans le dossier Steris Corporation c. Groupe d’approvisionnement en commun de l’Est du Québec (GACEQ)[1] dans le cadre duquel l’équipe de Miller Thomson représentait les intérêts de Steris. La Cour a conclu que la soumission retenue par le GACEQ ne répondait pas aux exigences techniques obligatoires prévues aux documents d’appel d’offres et comportait de nombreuses erreurs de calcul. De ce fait, le GACEQ aurait dû rejeter cette soumission et octroyer le contrat à Steris, deuxième plus bas soumissionnaire. Le GACEQ et les établissements hospitaliers qu’il représente sont donc condamnés à verser à Steris le profit que cette dernière aurait réalisé dans le cadre du contrat, n’eût été la faute commise par le GACEQ dans l’appréciation des soumissions.
Faits
En 2014, le GACEQ lance un appel d’offres en vue d’acquérir des stérilisateurs à basse température destinés à être utilisés dans divers établissements hospitaliers pour le traitement d’endoscopes ainsi que des produits et services accessoires devant être fournis pendant une période de 12 ans. C’est à cette occasion que Steris, l’un des rares fournisseurs de ce type de produits et services, dépose une soumission.
Selon les documents d’appels d’offres, l’analyse des soumissions devait s’effectuer en deux étapes, soit une première étape de validation de la conformité des soumissions aux exigences prévues au devis technique (évaluation qualitative) et une seconde étape d’analyse du prix offert par les soumissionnaires (évaluation quantitative).
Les exigences techniques comprenaient notamment la dimension du stérilisateur, le degré de concentration de la substance stérilisante et l’interdiction d’émission de sous-produits nocifs ou toxiques. Cette évaluation qualitative s’effectue sans égard au prix offert, puisque chaque soumissionnaire divulgue son prix dans une enveloppe distincte de celle qui contient les paramètres techniques du stérilisateur proposé.
Fait important, les documents d’appel d’offres stipulent qu’une soumission non conforme aux exigences énoncées au devis technique doit être rejetée automatiquement par le GACEQ.
Aux termes de son analyse, le GACEQ informe Steris que, bien qu’elle ait obtenu la meilleure note de qualité (évaluation qualitative), sa soumission arrive au second rang, derrière celle de son compétiteur Johnson & Johnson Medical Products (« J&J »). Puisqu’elle connaît bien les produits de J&J, Steris avise immédiatement le GACEQ que la soumission déposée par J&J ne respecterait pas plusieurs exigences techniques obligatoires prévues aux documents d’appel d’offres.
Malgré cela, le GACEQ maintient sa décision d’octroyer le contrat à J&J.
Décision
D’emblée, le tribunal souligne que le GACEQ, à titre d’organisme public chargé de l’appel d’offres, est tenu de respecter les dispositions de la Loi sur les contrats des organismes publics et du Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics.
La Cour rappelle également certains principes fondamentaux, notamment que le processus d’appel d’offres impose au donneur d’ouvrage d’évaluer les soumissions de manière équitable et uniforme afin d’éviter qu’un soumissionnaire ne soit avantagé au détriment d’un autre. L’obligation de traiter les soumissionnaires sur un pied d’égalité comprend l’obligation implicite de n’accepter qu’une soumission conforme.
Dans les faits, l’analyse de la preuve présentée a clairement établi que l’appareil de stérilisation proposé par J&J dans sa soumission ne respectait pas au moins trois (3) exigences techniques, et ce, à la connaissance du GACEQ. De plus, la preuve a démontré que certaines des données fournies par J&J dans sa soumission étaient inexactes et trompeuses.
Dans une telle situation, la Cour rappelle que l’obligation qui incombe au donneur d’ouvrage de n’accepter qu’une soumission conforme impose la prise de mesures raisonnables visant à vérifier la conformité d’une soumission avant qu’elle ne soit retenue. Le donneur d’ouvrage ne peut se fier aveuglément aux informations contenues à la soumission. S’il se rend compte du non-respect d’une exigence, il ne peut y passer outre. En l’espèce, le GACEQ avait soulevé plusieurs de ces irrégularités auprès de J&J, sans toutefois rejeter sa soumission.
En présence de telles irrégularités techniques et à la lumière de la clause de rejet automatique, il est clair pour le tribunal que la soumission de J&J ne devait pas franchir la deuxième étape d’analyse du prix. En effet, le donneur d’ouvrage qui choisit de limiter sa discrétion en incluant une clause de rejet automatique aux documents d’appel d’offres doit respecter cette règle qu’il a lui-même établie.
Cela étant dit, le tribunal continue tout de même son analyse des paramètres financiers de la soumission de J&J et conclut que celle-ci comportait des irrégularités majeures, soit une irrégularité « qui peut entrainer une modification du prix soumis ou avoir une incidence sur l’égalité des soumissionnaires[2] ». À titre d’exemple, la soumission de J&J indiquait erronément un volume de traitement de 40 endoscopes par cycle, plutôt qu’un volume réel de 10. Cette erreur avait également été remarquée par le GACEQ, mais ignorée.
Reconnaissant la faute du GACEQ dans l’octroi du contrat à J&J plutôt qu’à Steris, la Cour a accordé à cette dernière la somme de 3 265 680 $ (plus intérêts) ce qui représente le profit qu’elle aurait réalisé dans le cadre du contrat.
Conclusion
Ce jugement remet en lumière le devoir qui incombe à un donneur d’ouvrage de faire des vérifications raisonnables quant à l’information contenue dans les soumissions qu’il reçoit aux termes d’un appel d’offres. Ce jugement confirme également qu’une soumission qui contient des informations inexactes eu égard à des éléments essentiels devrait être rejetée, bien qu’elle puisse paraître conforme à première vue.
Miller Thomson est fier d’avoir représenté Steris dans le cadre de cette belle victoire.
[1] Steris Corporation c. Groupe d’approvisionnement en commun de l’Est du Québec (GACEQ), 2021 QCCS 5347
[2] Clause 1.09.03 des documents d’appel d’offres, reproduit dans son intégralité au paragraphe 167 du jugement.
Cet article est paru dans l’édition du 11 août 2022 du journal Constructo.