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Journal Constructo – 13 décembre 2021
Introduction
Le 26 novembre dernier, la Cour d’appel se prononçait sur la qualification d’une dérogation affectant la soumission d’un entrepreneur dans le cadre d’un appel d’offres public, soit le fait de ne pas avoir joint son autorisation de contracter émise par l’Autorité des marchés financiers, ainsi que sur la discrétion que peut exercer un donneur d’ouvrage en constatant une telle dérogation.
Les faits
À l’occasion d’un appel d’offres public lancé par la Ville de Montréal (la « Ville ») pour la réalisation de travaux de mise aux normes de l’aréna d’Outremont, la demanderesse, Les Entreprises QMD inc. (« QMD »), s’est avérée être la deuxième plus basse soumissionnaire.
QMD reprochait à la Ville d’avoir octroyé le contrat à Norgéreq ltée (« Norgéreq »), la plus basse soumissionnaire, au motif que la soumission de cette dernière n’était pas conforme. Elle avançait que Norgéreq n’avait pas joint une copie de son autorisation de contracter émise par l’Autorité des marchés financiers (l’« Autorisation »). En effet, lors de l’ouverture des soumissions, la Ville a constaté que l’Autorisation était manquante et a alors permis, a posteriori, à Norgéreq de remédier à son défaut, ce que celle-ci a fait. Or, les termes des documents d’appel d’offres prévoyaient que le défaut pour tout soumissionnaire de ne pas transmettre cette Autorisation avait pour effet d’entraîner le rejet automatique de sa soumission. QMD a donc intenté un recours à l’encontre de la Ville en réclamation des profits qu’elle aurait engrangés si le contrat lui avait été octroyé.
Le jugement de première instance[1]
La preuve présentée lors du procès démontrait que Norgéreq détenait une Autorisation en vigueur au moment du dépôt de sa soumission auprès de la Ville, mais qu’elle avait omis de la joindre à sa soumission.
QMD soutenait que la transmission de l’Autorisation constituait une exigence essentielle ou substantielle et, qu’en ce sens, toute dérogation devait être considérée comme majeure et entraînant le rejet automatique de la soumission. Pour ce faire, QMD s’est appuyée sur une disposition des documents d’appel d’offres qui stipulait que le soumissionnaire devait « transmettre une copie de son autorisation à la Ville de Montréal avec sa soumission, faute de quoi, sa soumission sera automatiquement rejetée »[2]. À ce titre, le juge a reconnu que le donneur d’ouvrage jouit d’une discrétion dans la rédaction des documents d’appel d’offres qui lui permet de déterminer à l’avance, les exigences qu’il considèrera comme essentielles et celles qui seront considérées comme mineures.
En réponse à cet argument, la Ville plaidait plutôt que l’objectif de cette disposition visait à s’assurer que le soumissionnaire détenait pareille Autorisation et que le défaut de transmission devait être considéré comme mineur. En conséquence, elle était alors bien fondée d’user de sa discrétion afin de permettre au soumissionnaire d’y remédier et de compléter sa soumission.
Bien qu’il était d’avis que les termes de la disposition militaient en faveur d’une dérogation majeure, le juge Sheehan a conclu que tous les autres facteurs à considérer en matière d’appel d’offres public favorisaient la conclusion selon laquelle le défaut de transmission constituait une dérogation mineure. En effet, les documents d’appel d’offres prévoyaient une clause de réserve en faveur de la Ville qui permettait à celle-ci de passer outre à tout vice ou défaut et d’user de sa discrétion afin d’offrir à tout soumissionnaire la possibilité de corriger sa soumission. Au surplus, la dérogation n’avait aucune incidence sur le prix de la soumission et il était facile d’y remédier.
Par conséquent, la Ville était habilitée à user de sa discrétion afin d’octroyer le contrat à Norgéreq, la plus basse soumissionnaire, et ce, malgré la non-conformité de sa soumission au moment de l’ouverture des soumissions.
L’appel[3]
En appel de la décision du juge Sheehan, QMD avançait que ce dernier avait commis une erreur en considérant que le défaut de Norgéreq de joindre une copie de son Autorisation à sa soumission constituait une dérogation mineure notamment, en raison de la présence d’une clause de rejet automatique.
La Cour d’appel a maintenu le jugement de première instance puisqu’elle a considéré que le juge Sheehan était bien fondé de conclure qu’il s’agissait d’une dérogation mineure. En effet, les circonstances de l’affaire permettaient au juge d’en arriver à la conclusion que la détention de l’Autorisation doit avoir priorité sur la transmission, qui n’en était alors que l’accessoire. De plus, la Cour d’appel a réitéré que l’irrégularité de la soumission et sa correction n’ont pas eu pour effet de porter atteinte aux objectifs fondamentaux du processus d’appel d’offres, à savoir l’équité entre les soumissionnaires, l’intégrité du processus et l’obtention d’un juste prix au profit d’une bonne gestion des deniers publics.
Conclusion
Bien que les documents d’appel d’offres contenaient une clause de rejet automatique, la Cour d’appel a confirmé que le juge de première instance était justifié de ne pas s’arrêter au sens purement littéral de la clause afin d’évaluer si la dérogation devait être qualifiée de mineure ou majeure. En l’espèce, la présence d’une clause de rejet automatique n’a donc pas fait obstacle à l’évaluation des autres facteurs pertinents à considérer aux fins de la qualification d’une dérogation qui aura, par ailleurs, un impact sur la discrétion pouvant être exercée par le donneur d’ouvrage lors de l’analyse des soumissions qui lui sont présentées.
[1] Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal, 2020 QCCS 3;
[2] Par. 21;
[3] Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal, 2021 QCCA 1775;