Sommaire
À la suite de travaux d’excavation du roc, l’eau des puits artésiens de plusieurs résidents a été contaminée, engendrant des frais de décontamination importants. La Cour, dans l’affaire Couillard Construction limitée c. Procureur général du Québec[1], doit déterminer à qui incombent lesdits frais en se basant notamment sur le devoir d’information du donneur d’ouvrage.
Faits
Le litige concerne le prolongement de l’autoroute A-5 (« Projet ») dans les municipalités de Chelsea et de La Pêche en Outaouais. Le ministère des Transports du Québec (« MTQ ») a confié l’exécution des travaux à Couillard Construction Ltée (« Couillard »). Couillard a réalisé les travaux entre 2012 et 2014 et a retenu les services d’un sous-traitant, Dyfotech inc. (« Dyfotech »), pour l’excavation du roc. Le Projet impliquait l’excavation du roc à proximité de résidences et de petits commerces dont l’alimentation en eau potable provenait de puits artésiens.
Toutefois, au cours des travaux, des résidents se plaignent de la réduction du débit de leurs puits artésiens et de l’odeur nauséabonde de l’eau. Le MTQ procède alors à des analyses qui révèlent que l’eau de certains puits est contaminée et impropre à la consommation humaine.
Dès le mois de novembre 2012, le MTQ demande à Couillard de fournir de l’eau embouteillée au propriétaire d’une résidence avoisinante. Par la suite, le MTQ investigue auprès d’un expert afin d’analyser les échantillons de l’eau des puits artésiens et conclut que la contamination avait été causée par certains types d’explosifs utilisés lors des travaux de forage et de dynamitage par Dyfotech.
Selon le MTQ, certains des explosifs contenaient des nitrates et des nitrites, ainsi que du perchlorate de sodium (« perchlorate »), un contaminant potentiellement nocif pour la santé humaine, qui se sont infiltrés dans la nappe phréatique alimentant ces puits. Au moment des évènements en question, ni le MTQ, ni Couillard, ni Dyfotech n’étaient au courant de la présence de perchlorates dans certains des explosifs de Dyfotech et de leurs effets nocifs sur la santé humaine.
Le MTQ tient donc Couillard responsable de la contamination de la nappe phréatique et des nombreuses mesures de décontamination mises en place.
Prétentions des parties
I. Prétentions du MTQ
Le MTQ reproche à Couillard de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour minimiser les risques de contamination et blâme Couillard et Dyfotech de ne pas avoir été au courant de la présence de produits chimiques nocifs pour la santé humaine dans les explosifs utilisés par cette dernière.
II. Prétentions de Couillard et de Dyfotech
Pour sa part, Couillard et Dyfotech prétendent que le MTQ doit assumer l’ensemble des coûts, car il a manqué à ses obligations de renseignement en omettant de révéler, dans le contexte de l’appel d’offres, l’existence de rapports contenant de l’information pertinente au sujet de certains puits artésiens situés à proximité des futurs travaux d’excavation. Ces informations indiquaient que les puits adjacents aux futurs travaux étaient très à risque d’être contaminés par le dynamitage de roc, étant donné que la nappe phréatique alimentant ces puits passait sous le site des travaux d’excavation.
Ils avancent qu’il appartenait au MTQ, à titre de donneur d’ouvrage, de décrire les travaux avec suffisamment de soin et de précision et d’agir avec prudence et diligence, conformément aux règles de l’art.
La décision de la Cour supérieure
La Cour est d’avis qu’il est plus probable qu’improbable que les travaux de dynamitage effectués par Dyfotech sont à l’origine d’une certaine contamination de l’eau souterraine circulant sous le site d’excavation du roc.
Par contre, la Cour rejette l’argument du MTQ voulant que les perchlorates provenaient exclusivement des explosifs, et non de l’environnement où les travaux se sont déroulés. La Cour souligne également que le MTQ n’a jamais analysé la présence de perchlorates dans les puits avant le début des travaux.
Même si les explosifs utilisés par Dyfotech ont pu contribuer à la contamination des puits, la Cour conclut que Dyfotech n’a pas commis de faute dans l’exécution de ses obligations contractuelles.
Alors qu’il existe un lien entre les travaux de dynamitage réalisés par Dyfotech dans le cadre du Projet et la contamination de la nappe d’eau souterraine, le cœur du litige se situe plutôt au niveau de l’attribution de la responsabilité d’assumer les coûts liés à la contamination environnementale, les coûts des mesures de mitigation en place et les coûts de décontamination.
À ce titre, la Cour estime que la responsabilité des coûts incombe exclusivement au MTQ pour les raisons suivantes.
En 2009, le Service géotechnique et de géologie du MTQ (« SGG ») effectue des analyses de 34 puits dans les secteurs du Projet et produit un premier rapport qui identifie déjà des puits à risque de contamination à proximité du Projet. Ledit rapport avertissait le MTQ que les travaux du Projet, selon le tracé choisi, pouvaient contaminer les sources d’alimentation en eau potable des résidents voisins.
En 2010, le SGG élabore ainsi un programme de suivi environnemental des puits d’eau potable et publie un deuxième rapport traitant de contaminants de manière générale.
Également en 2010, le Gouvernement du Canada produit un rapport illustrant que l’eau de certains puits ne respecte pas les critères de potabilité et identifie un risque de contamination de l’eau en raison des coupes de roc.
Le MTQ avait donc en sa possession trois rapports préliminaires, dont aucun n’a été transmis aux futurs soumissionnaires dans le cadre de l’appel d’offres.
Par ailleurs, le CCDG 2011 ne prévoit aucune consigne particulière quant à la réalisation des travaux de dynamitage à proximité des puits désignés à risque. Qui plus est, les documents d’appel d’offres ne contiennent aucune consigne quant à l’utilisation de certains types d’explosifs.
La Cour rappelle que l’obligation d’information du donneur d’ouvrage s’intensifie lorsqu’il a préalablement retenu les services d’experts, comme en l’espèce. Il incombait donc au MTQ d’être plus transparent dans ses documents d’appel d’offres en décrivant avec suffisamment de soin et de précision les enjeux déjà identifiés pour permettre aux soumissionnaires de connaître exactement ce que l’on attendait d’eux.
Le MTQ a ainsi failli à son obligation d’information, tant à l’appel d’offres que lors de la réalisation des travaux.
Conclusion
Vu la responsabilité du MTQ et son manquement à son devoir d’information, la Cour accorde à Couillard le paiement du solde contractuel de 854 667,47 $, le paiement des frais de transport supplémentaires de matériaux granulaires d’un montant de 412 962,71 $ et le paiement des travaux supplémentaires effectués à la demande du MTQ en raison de la contamination d’un montant de 633 901,79 $.
La Cour octroie également à Dyfotech un montant de 654 155,31 $ pour les services non payés en raison du litige l’opposant au MTQ et rejette la demande reconventionnelle du MTQ.
Ce jugement rappelle l’importance pour les donneurs d’ouvrage de respecter leur devoir d’information et de fournir tous les renseignements nécessaires aux soumissionnaires.
Cet article est paru dans l’édition du 14 septembre 2023 du journal Constructo.
[1] Couillard Construction limitée c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 252.