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Journal Constructo – 18 septembre 2020
Qu’arrive-t-il lorsque des clients s’improvisent, en partie, comme auto-constructeur dans le cadre d’un projet résidentiel et retiennent également les services d’un entrepreneur? Peuvent-ils toujours bénéficier de la protection de la garantie légale? Une récente décision dans l’affaire Promutuel l’Abitibienne, société mutuelle d’assurances générales c. Installations PCP inc., 2020 QCCS 220 [1], répond à cette question.
Le contexte
Le 11 octobre 2007, les demandeurs, Jean-Pierre Barrette et Kathy Venne, font l’acquisition d’un terrain vacant pour construire leur résidence. Les travaux de construction débutent en octobre 2007 et s’échelonnent jusqu’à la fin 2008.
Dans le cadre de ce projet, les demandeurs retiennent les services de la défenderesse, Installations P.C.P. inc., un entrepreneur détenant une licence de contracteur général œuvrant dans le domaine de la rénovation et reconnu comme entrepreneur spécialisé dans les systèmes de chauffage à combustible solide.
Lors de la soirée du 18 janvier 2009, les demandeurs constatent une légère fumée émanant du foyer. Inquiets, les demandeurs sortent de leur résidence et entendent un crépitement provenant de la cheminée.
Ils contactent alors les services d’urgence. À leur arrivée, ceux-ci constatent des flammes provenant du côté de la cheminée. Peu de temps après, la résidence nouvellement construite est ravagée par le feu et complètement détruite. Les dommages s’élèvent à 1 497 271,80 $.
Position des parties
a) Les demandeurs
Selon les demandeurs, la cause probable de l’incendie découle de l’installation déficiente de la cheminée. Ainsi, la responsabilité de la défenderesse repose à la fois sur un lien contractuel et sur la responsabilité légale stipulée à l’article 2118 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») qui prévoit la responsabilité automatique de l’entrepreneur dès lors que la perte de l’ouvrage survient dans les cinq ans suivant la fin des travaux.
b) La défenderesse
De son côté, la défenderesse reconnaît l’existence d’un contrat de service avec les demandeurs, mais nie avoir agi comme entrepreneur général.
En effet, la défenderesse soutient qu’elle a offert ses services sur la base d’un taux horaire pour assister les demandeurs dans le cadre de leur projet et qu’elle ne recherchait pas de profits comme un entrepreneur. Selon elle, ce sont les demandeurs qui sont les véritables entrepreneurs généraux, même si la défenderesse reconnaît s’être occupée de la menuiserie et de l’installation des cheminées.
Il s’ensuit que les conditions applicables au régime de responsabilité automatique prévu à l’article 2118 C.c.Q. ne sont pas rencontrées et que la responsabilité de la défenderesse, s’il en est, peut uniquement être examinée à la lumière des obligations contractuelles régissant les parties prévues à l’article 1458 C.c.Q.
Analyse
D’emblée, le Tribunal note que les deux parties conviennent qu’un lien contractuel les uni et à l’application de l’article 1458 C.c.Q. qui prévoit que « toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés » et, lorsqu’elle manque à ce devoir, que sa responsabilité peut être engagée pour tout « préjudice corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontratant ».
Les parties divergent toutefois sur l’application ou non du régime de responsabilité prévu à l’article 2118 C.c.Q. qui octroie une protection additionnelle en cas de perte de l’ouvrage.
Après une analyse détaillée de la preuve, le Tribunal conclut que les demandeurs se qualifient pour bénéficier de cette garantie légale.
En effet, le Tribunal détermine :
- Qu’il existe un contrat d’entreprise liant les parties;
- Que la défenderesse se qualifie comme un entrepreneur;
- Que la perte de l’ouvrage est intervenue dans les cinq ans de sa réalisation; et
- Que la perte résulte d’un vice de construction.
Sur la reconnaissance de la qualité d’entrepreneur de la défenderesse qui était fortement contestée, le Tribunal retient que les demandeurs n’ont pas de connaissances ou d’expertise en construction, que malgré que certains contrats ont été directement donnés par les demandeurs en lien avec la construction de leur résidence, ils n’en deviennent pas pour autant des entrepreneurs avec les expertises y rattachées, que la défenderesse détient sa licence d’entrepreneur général et également une licence spécialisée dans les systèmes de chauffage à combustible solide, que pour l’exécution des travaux, les employés de la défenderesse ont été mis à contribution, que la défenderesse coordonne les travaux, répond aux questions d’usage, est présente à temps plein sur le chantier et effectue les travaux de construction, sauf ceux relevant des sous-traitants engagés par les demandeurs.
S’appuyant sur la jurisprudence, le Tribunal note également que le fait qu’un propriétaire agisse à titre d’auto-constructeur pour une partie des travaux, ne lui fait pas perdre automatiquement la protection légale de l’article 2118 C.c.Q.
Selon le Tribunal, c’est véritablement la défenderesse qui effectuait et coordonnait les travaux à partir des plans d’architecte fournis et qui détenait les expertises et les connaissances.
Le Tribunal conclut ainsi que la défenderesse était l’entrepreneur général et que les demandeurs pouvaient bénéficier de la protection prévue à l’article 2118 C.c.Q.
Quant à la cause de l’incendie, le Tribunal détermine qu’il s’agit d’un vice de construction relié à la déficience de l’installation de la cheminée et, plus particulièrement, de l’absence du dégagement minimal requis et la présence d’un isolant entre la cheminée et le bâti, dont l’exécution relevait de la responsabilité de la défenderesse.
Le Tribunal fait droit à la réclamation des demandeurs et condamne la défenderesse à leur verser la somme de 1 497 271,80 $.
Conclusion
En bref, il faut retenir que ce n’est pas parce qu’un client agit comme auto-constructeur pour une partie d’un projet qu’il perd automatiquement le bénéfice des garanties légales s’il retient les services d’un entrepreneur pour compléter les autres parties de son projet. Tout demeure une question de l’identification de la personne responsable du vice de construction menant à la perte totale ou partielle de l’ouvrage dans la période de cinq ans.
[1] Décision portée en appel, 2020-02-28 (C.A.), 500-09-028863-207
Cet article est paru dans l’édition du 18 septembre 2020 du journal Constructo.