Pendant la pandémie de COVID-19, l’incertitude entourant la durée de l’état d’urgence sanitaire et la reprise des activités judiciaires a forcé les tribunaux canadiens à s’adapter. La décision Rovi Guides, Inc. v. Videotron Ltd.[1] (disponible en anglais seulement) donne un exemple récent de cette nouvelle réalité. Dans cette affaire, la Cour fédérale du Canada a ordonné aux parties de reprendre le procès à distance, et ce, malgré les préoccupations du défendeur concernant la procédure et la cybersécurité.
Le procès, qui porte sur un recours pour contrefaçon de brevet, a débuté le 9 mars 2020. Quatre jours plus tard, la Cour a accordé l’ajournement demandé par les parties en raison des mesures mises en place par les autorités de santé publique pour freiner la propagation du coronavirus. Le même jour, le juge en chef suspendait indéfiniment l’ensemble des audiences et des procès. Le dossier s’est déroulé sous forme de procès électronique et tous les documents pertinents ont été déposés dans la base de données de la trousse de procès électroniques de la Cour.
Si les parties ont initialement convenu de reprendre le procès à distance ou en personne, Vidéotron s’est opposée à une reprise par vidéoconférence. Elle argumente qu’elle ne pourrait pas présenter sa preuve testimoniale en personne, ce que Rovi a eu l’occasion de faire. Vidéotron estime que cette différence porterait atteinte à son droit à l’équité procédurale.
Après deux conférences de gestion de l’instance, et malgré les demandes de Vidéotron, le juge Lafrenière a indiqué qu’il ne pouvait retenir cet argument, puisque plus de deux mois s’étaient écoulés depuis le témoignage des témoins de Rovi. Tout avantage potentiel a dès lors perdu son importance. De plus, en vertu des Règles des Cours fédérales[2], la reprise du procès sous une autre forme que l’audience publique est à la discrétion de la Cour. Celle-ci reconnaît par ailleurs que la situation actuelle nécessite la mise en œuvre de mesures inhabituelles :
[traduction] « [21] Jusqu’à ce qu’un vaccin contre la COVID-19 soit disponible à l’échelle du pays, ou jusqu’à ce que les autorités de santé publique lèvent le confinement et assouplissent les restrictions pour permettre aux gens de se déplacer, de se rassembler et de retourner au travail, les audiences de la Cour fédérale devront se tenir à distance au moyen d’outils technologiques appropriés et accessibles. Vu la fermeture des installations de la Cour jusqu’à nouvel ordre, l’objection de Vidéotron doit être rejetée. L’accueillir aurait pour effet de retarder indéfiniment le procès. »[3]
La Cour a également commenté l’inquiétude de Vidéotron quant à l’utilisation de Zoom pour la tenue d’audiences à distance, la défenderesse craignant la possibilité d’atteintes à la vie privée et à la sécurité dans un contexte où des documents commerciaux et financiers délicats doivent être déposés en preuve. Elle estime que « bien que la plateforme Zoom ne soit pas sans failles, l’entreprise a résolu la grande majorité des problèmes »[4]. La Cour fédérale a ordonné la tenue du procès à distance à l’aide de la trousse de procès électroniques et de Zoom, ou de toute autre plateforme qu’elle pourrait choisir.
Seul le temps nous dira si d’autres cours emboîteront le pas. Nous pouvons cependant conclure que les juges ont bien l’intention de s’adapter à la nouvelle situation et de permettre la poursuite des activités judiciaires.
[1] Rovi Guides, Inc. v. Videotron Ltd., 2020 FC 596
[2] Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 32
[3] Rovi Guides, Inc. v. Videotron Ltd., précité, paragr. 21
[4] Rovi Guides, Inc. v. Videotron Ltd., précité, paragr. 23