Ces dernières années, la demande croissante en produits et services écoresponsables a mené à une intensification du phénomène d’« écoblanchiment », qui consiste à donner aux consommateurs de l’information fausse, trompeuse, incomplète ou non fondée sur le caractère écologique d’un produit ou d’une entreprise.

Les tribunaux et les organismes juridictionnels du Canada ont commencé à reconnaître les méfaits de cette pratique et ont, dans certains cas, imposé des sanctions sévères à des organisations pour avoir employé des stratégies publicitaires portant les consommateurs à croire que leurs produits ou leurs services sont plus écologiques qu’ils ne le sont vraiment.

Dans cet article, nous explorons des exemples d’organisations tenues ou qui pourraient être tenues responsables de dommages environnementaux pour des infractions aux lois sur la protection de l’environnement et sur la concurrence.

Amende salée en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)

En septembre 2015, Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC ») a ouvert une enquête sur la conformité de Volkswagen Aktiengesellschaft (« Volkswagen AG ») au Règlement sur les émissions des véhicules routiers et de leurs moteurs[1]. ECCC a découvert que Volkswagen AG avait importé au Canada des modèles de véhicules équipés de « dispositifs de mise en échec » contenant un logiciel réduisant l’efficacité des systèmes antipollution lors de l’utilisation du véhicule. Entre janvier 2008 et décembre 2015, Volkswagen AG a importé près de 128 000 véhicules Volkswagen et Audi équipés de moteurs diesel de deux et de trois litres munis de ces dispositifs. Selon ECCC, le recours aux dispositifs de mise en échec « s’est avéré très décevant [sic], et la société a sciemment contourné la législation du Canada sur les émissions de véhicules »[2]. Dans une décision publiée en 2020, la Cour de justice de l’Ontario a imposé une amende de 196,5 millions de dollars à Volkswagen AG, qui avait reconnu sa culpabilité dans 60 inculpations d’infractions visées par la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) pour communication de renseignements trompeurs et importation illégale de véhicules non conformes aux normes d’émission[3].

Enquêtes du Bureau de la concurrence

Le Bureau de la concurrence du Canada, une instance du gouvernement fédéral qui « protège la concurrence et en fait la promotion au bénéfice des consommateurs et des entreprises »[4], a étudié de nombreuses plaintes pour écoblanchiment.

Dans le cadre de son mandat, le Bureau de la concurrence mène des enquêtes sur des manquements allégués aux lois qu’il est responsable d’appliquer. Les lois relatives à l’écoblanchiment qui sont de son ressort sont les suivantes :

Loi sur la concurrence

La Loi sur la concurrence comporte des dispositions sur le recours à des indications fausses ou trompeuses  ou à des pratiques commerciales trompeuses[6], dans la promotion de la fourniture ou de l’utilisation de produits ou d’intérêts commerciaux. Elle prévoit deux régimes juridictionnels à cet égard : un régime criminel dans le premier cas et un régime civil dans le deuxième.

Le régime criminel, prévu à l’article 52, établit une interdiction criminelle générale à l’égard des publicités trompeuses en interdisant toute indication fausse ou trompeuse portant sur un point important donnée sciemment ou sans se soucier des conséquences. Le régime civil, prévu à l’article 74.01, interdit expressément la fourniture au public, aux fins de promouvoir un produit, un service ou des intérêts commerciaux, d’indications fausses ou trompeuses sur un point important.

Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation

La Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation comporte des dispositions sur les renseignements figurant sur les étiquettes des produits de consommation non alimentaires. L’article 7 interdit aux fournisseurs de présenter de l’information fausse ou trompeuse se rapportant à un produit ou pouvant raisonnablement donner cette impression[7].

Loi sur l’étiquetage des textiles

La Loi sur l’étiquetage des textiles comporte des dispositions sur la vente, l’importation et la publicité de biens textiles de consommation. À l’instar de la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, l’article 5 de la Loi sur l’étiquetage des textiles interdit aux fournisseurs de présenter de l’information fausse ou trompeuse se rapportant à un produit ou pouvant raisonnablement donner cette impression[8].

Au cours des dernières années, le Bureau de la concurrence a commencé à mener des enquêtes sur des organisations à la suite de plaintes alléguant le non-respect des dispositions citées ci-dessus.

Keurig contrainte de payer 4 M$ pour des indications fausses sur la recyclabilité

En début 2022, le Bureau de la concurrence a conclu que Keurig Canada Inc. (« Keurig ») avait donné des indications fausses ou trompeuses sur la recyclabilité de ses capsules de café à usage unique, puisqu’elles ne sont pas couramment acceptées par les programmes de recyclage municipaux, sauf en Colombie-Britannique et au Québec.

Le Bureau de la concurrence et Keurig ont conclu une entente de règlement aux termes de laquelle Keurig s’est engagée à payer une amende de 3 millions de dollars, à faire un don de 800 000 $ à un organisme de bienfaisance canadien voué à la protection de l’environnement, et à payer les frais d’enquête de 85 000 $ du Bureau de la concurrence[9]. Keurig doit également modifier son emballage et publier des avis signalant les changements[10].

Enquête en cours sur l’Association canadienne du gaz

L’automne dernier, des médecins, des infirmières et des militants en santé publique, appuyés par l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, ont déposé une plainte auprès du Bureau de la concurrence, alléguant que l’Association canadienne du gaz (« ACG ») avait donné des indications fausses ou trompeuses au public en qualifiant le gaz naturel de « propre » et « abordable ».

Comme le gaz naturel est composé à 70-90 % de méthane, un gaz qui emprisonne beaucoup plus facilement la chaleur que le dioxyde de carbone[11], les plaignants ont fait valoir qu’il était trompeur de le qualifier de propre. Ils ont également mis en doute l’affirmation selon laquelle le gaz naturel est abordable, étant donné que les thermopompes coûtent généralement moins cher que les systèmes énergétiques résidentiels au gaz et qu’on prévoit une forte augmentation du prix du gaz naturel au cours des prochaines années en raison des politiques sur le climat[12].

En novembre 2022, le Bureau de la concurrence a indiqué à l’ACG qu’il avait ouvert une enquête sur son discours entourant le gaz naturel. Cette enquête est en cours. Si le Bureau de la concurrence conclut que les indications sont fausses ou trompeuses, l’ACG serait tenue de retirer ses publicités et de se rétracter publiquement, et elle pourrait être tenue de payer une amende allant jusqu’à 10 millions de dollars[13].

Le Bureau de la concurrence mène aussi actuellement une enquête pour écoblanchiment au sujet d’une des plus grandes banques du Canada et de son discours sur l’action climatique[14].

Dépôt d’une plainte contre la Sustainable Forestry Initiative

En décembre 2022, de nombreuses organisations environnementales canadiennes d’envergure ont déposé une plainte auprès du Bureau de la concurrence, alléguant que les descriptions données par la Sustainable Forest Initiative (« SFI ») pour ses normes de certification forestière (« durable », « certifiée durable » ou permettant d’avoir des « forêts aménagées durablement ») sont fausses et trompeuses.

Selon les plaignants, les normes de certification forestière SFI énoncent des étapes qui peuvent mener à une foresterie durable, mais n’exigent aucune pratique qui réponde à la définition de « durable », de « foresterie durable » ou d’« aménagement forestier durable »[15].

La SFI propose le système de certification forestière le plus important en Amérique du Nord : plus de 140 millions d’hectares de forêt ont cette certification sur le continent[16]. Selon les plaignants, la SFI promet une foresterie durable tout en contribuant à l’exploitation forestière non durable dans le monde, et à très grande échelle au Canada[17].

Le Bureau de la concurrence n’a pas encore annoncé d’enquête sur la SFI.

Dépôt d’une plainte contre Gazoduq

En juin 2021, le Centre québécois du droit de l’environnement (« CQDE ») a déposé une plainte auprès du Bureau de la concurrence contre Gazoduq Inc. (« Gazoduq ») et son actionnaire majoritaire, Société en commandite Symbio Infrastructure (« Symbio »), au motif qu’elles auraient fourni à plusieurs reprises des indications fausses ou trompeuses au public sur leur projet de construction et d’exploitation d’un pipeline servant à transporter du gaz méthane de l’Ouest canadien jusqu’au Saguenay. Le CQDE prétend que Gazoduq et Symbio ont faussement affirmé que ce projet serait carboneutre et permettrait la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale[18].

Le Bureau de la concurrence n’a pas encore annoncé d’enquête à ce sujet, mais une évaluation d’impact intégrée de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada est en cours[19].

À retenir

Les enquêtes sur Keurig et l’ACG démontrent que le Bureau de la concurrence s’active à contrer l’écoblanchiment au Canada. En 2021, le Bureau de la concurrence a archivé un guide sur les déclarations environnementales qu’il avait publié en 2008 avec l’Association canadienne de normalisation à l’intention de l’industrie et des publicitaires[20], en prenant soin de mentionner que le document « ne tient pas compte des dernières normes et de l’évolution des préoccupations environnementales »[21]. Les entreprises ont donc peu d’indications fiables de la part du Bureau de la concurrence sur l’écoblanchiment.

En mars 2022, la Commission européenne a proposé de nombreuses modifications à apporter à la directive sur les pratiques commerciales déloyales et la directive relative aux droits des consommateurs. Elles visent à donner des indications plus claires aux entreprises sur les façons d’éviter l’écoblanchiment dans l’Union européenne. Les entreprises seraient tenues de prouver leurs déclarations environnementales à l’aide des méthodes de l’empreinte environnementale de produit et de l’empreinte environnementale d’organisation, lesquelles énoncent 16 catégories d’impact environnemental à étudier pour mesurer la performance environnementale d’un produit ou d’une organisation dans toute sa chaîne de valeur et tout au long de son cycle de vie.

On propose également l’interdiction de nombreuses pratiques commerciales, dont les suivantes :

  • L’utilisation d’un label de durabilité qui n’est pas fondé sur un système de certification ou qui n’est pas établi par des autorités publiques.
  • Le fait de faire une allégation environnementale concernant le produit dans son ensemble, lorsqu’elle ne concerne en réalité qu’un des aspects du produit.
  • L’omission d’informer les consommateurs des caractéristiques qui limitent la durabilité ou la réparabilité d’un produit, ou le fait de faire de fausses déclarations sur la durabilité ou la réparabilité d’un produit.
  • L’omission d’informer les consommateurs qu’un produit utilise des biens consommables, des pièces de rechange ou des accessoires qui ne sont pas fournis par le producteur d’origine[22] [23].

Comme les lois et les politiques nationales et internationales sur l’écoblanchiment sont en pleine évolution, les entreprises ont intérêt à être très prudentes lorsqu’elles veulent faire des déclarations environnementales sur leurs produits et services. Elles doivent s’assurer que leurs déclarations :

  • n’induisent pas en erreur et ne sont pas susceptibles d’être mal interprétées;
  • sont exactes et précises, notamment en accompagnant toute déclaration générale sur le caractère écologique d’un produit d’une justification et en évitant de sous-entendre que le produit est approuvé par une organisation tierce (sauf s’il l’est vraiment);
  • sont fondées et vérifiables;
  • sont pertinentes, c’est-à-dire qu’elles concernent un produit ou un service en particulier et qu’elles tiennent compte de tous les aspects pertinents du cycle de vie[24].

Si vous avez des questions sur l’écoblanchiment ou souhaitez obtenir des conseils pour l’éviter, veuillez communiquer avec Christie McLeod ([email protected]) ou AmandaCutinha ([email protected]), ou avec tout autre membre de notre groupe Responsabilité sociale d’entreprise et marché du carbone.

MC Marque de commerce Miller Thomson SENCRL


[1]     Gouvernement du Canada, « Le gouvernement du Canada ouvre une enquête sur l’utilisation présumée de dispositifs de mise en échec par Volkswagen dans le but de contourner la réglementation sur les émissions » (22 septembre 2015), en ligne : .

[2]     Gouvernement du Canada, « Volkswagen Aktiengesellschaft condamnée à payer une amende de 196,5 millions de dollars après avoir plaidé coupable à 60 chefs d’accusation d’infraction à la législation environnementale fédérale » (22 janvier 2020), en ligne : .

[3]     R v. Volkswagen AG, 2020 ONCJ 398.

[4]     Gouvernement du Canada, « Bureau de la concurrence Canada » (22 septembre 2022), en ligne : .

[5]     Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, partie VI, paragr. 52(1).

[6]     Id., art. 74.01.

[7]     Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, L.R.C. 1985, ch. C-38, art. 7.

[8]     Loi sur l’étiquetage des textiles, L.R.C. 1985, ch. T-10, art. 5.

[9]     Gouvernement du Canada, « Keurig Canada paiera une sanction de 3 millions de dollars pour répondre aux préoccupations du Bureau de la concurrence concernant les indications sur le recyclage des capsules de café » (6 janvier 2022), en ligne : .

[10]    The Canadian Press, « Keurig Canada fined $3 million for misleading claims over coffee pod recycling » (7 janvier 2022), en ligne : .

[11]    Karine Lacroix et al., « Should it be called “natural gas” or “methane”? » (1er décembre 2020), en ligne : .

[12]    Association canadienne des médecins pour l’environnement, « Le Bureau de la concurrence du Canada ouvre une enquête sur les allégations d’écoblanchiment de l’Association canadienne du gaz selon lesquelles le méthane serait propre » (10 novembre 2022), en ligne : .

[13]    Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, paragr. 74.1(1).

[14]    Jaela Bernstien, « Why Environmentalists went after Canada’s biggest bank for alleged greenwashing » (16 octobre 2022), en ligne : .

[15]    Ecojustice, « Application for Inquiry: False and Misleading Representations by the Sustainable Forest Initiative about their Forest Certification Standard » (s.d.), en ligne : [« plainte contre la SFI »], p. 1.

[16]    Sustainable Forestry Initiative, « Retombées de SFI pour la conservation : Une décennie de succès » (juin 2022), en ligne : .

[17]    Plainte contre la SFI, p. 1.

[18]    Centre québécois du droit de l’environnement, « Projet Gazoduq : le CQDE dépose une plainte pour informations fausses ou trompeuses au Bureau de la concurrence » (29 juin 2021), en ligne : .

[19]    Gouvernement du Canada, « Projet Gazoduq » (dernière modification le 19 décembre 2022), en ligne : .

[20]    Gouvernement du Canada, « Déclarations environnementales : Guide pour l’industrie et les publicitaires » (juin 2008), en ligne : .

[21]    Gouvernement du Canada, « Déclarations environnementales et écoblanchiment » (20 janvier 2022), en ligne : .

[22]    Proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL modifiant les directives 2005/29/CE et 2011/83/UE pour donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique grâce à une meilleure protection contre les pratiques déloyales et à de meilleures informations, COM/2022/143 final, en ligne :

[23]    Anna Gumbau, « EU to tackle ‘green claims’ with unified product lifecycle methodology » (dernière modification le 4 février 2022), en ligne :

[24]    Bureau de la concurrence du Canada, « Il ne suffit pas de qualifier son produit de “biologique” ou d’“écologique” pour qu’il le soit. Les entreprises qui le font sont coupables d’écoblanchiment, une pratique interdite par la loi. » (23 janvier 2017), en ligne : .

[A1]Dans la note de bas de page en anglais, on mentionne la partie « VII.2 » de la Loi sur la concurrence. Or le paragraphe 52(1) se trouve à la partie VI de la loi.