Dans notre publication du 6 juin 2022, nous faisions état du projet de loi 96, intitulé Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (le « projet de loi 96 »), sanctionné le 1er juin 2022, qui modifie la Charte de la langue française (la « Charte »). Cette publication résume certaines des incidences de ce projet de loi et explique en quoi il modifie de façon importante les obligations des entreprises exerçant leurs activités au Québec.

Dans notre publication du 30 mars 2023, nous avons élaboré davantage sur les répercussions du projet de loi 96 pour les titulaires de marques de commerce.

Règlement sur la langue du commerce et des affaires

Comme nous l’indiquions alors, le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le « Règlement ») énonce certaines exceptions à la Charte et il était attendu que ce règlement allait être modifié afin de tenir compte du projet de loi 96.

En effet, bien que la plupart des dispositions du projet de loi 96 soient déjà entrées en vigueur, des modifications relatives (1) à l’étiquetage et l’emballage des produits et (2) à l’affichage public, entreront en vigueur le 1er juin 2025.

Les modifications au Règlement visent notamment à tenir compte de ces changements à venir. Après des mois d’attente, le gouvernement du Québec a finalement publié, le 10 janvier 2024, un projet de Règlement modifiant principalement le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le « projet de Règlement »).

Tel qu’indiqué dans le projet de Règlement, ce dernier vise ce qui suit :

  • préciser certains cas dans lesquels une inscription sur un produit peut être rédigée dans une autre langue que le français;
  • prévoir les règles applicables en matière d’affichage public des marques de commerce et des noms d’entreprises;
  • actualiser le libellé de certaines dispositions du Règlement afin d’en assurer la concordance avec les modifications apportées par le projet de loi 96, notamment au niveau des contrats d’adhésion.

Modifications à la Charte au niveau des marques de commerce

Rappelons d’abord la nature des modifications à la Charte qui entreront en vigueur le 1er juin 2025.

À l’heure actuelle, une marque qui n’est pas une marque de commerce enregistrée (marque dite de common law) peut bénéficier d’une exception permettant son inscription dans une langue autre que le français sur un produit, son emballage et les documents afférents. Aux termes des nouvelles dispositions, seules pourront bénéficier de cette exception les marques de commerce enregistrées au Canada dont aucune version correspondante en français n’est enregistrée. De plus, si une marque enregistrée contient un générique ou un descriptif du produit dans une langue autre que le français, ce terme générique ou cette description devra également figurer en français sur le produit ou sur un support qui s’y rattache de manière permanente.

En ce qui a trait à l’affichage public, à l’heure actuelle, une marque qui n’est pas une marque de commerce enregistrée (marque dite de common law) peut bénéficier d’une exception permettant son affichage dans une langue autre que le français. Le Règlement prévoit néanmoins actuellement l’obligation d’avoir une « présence suffisante » du français lorsqu’une marque de commerce dans une autre langue que le français est affichée à l’extérieur d’un immeuble.

Aux termes des nouvelles dispositions, seules pourront bénéficier de ces exceptions les marques de commerce enregistrées au Canada dont aucune version correspondante en français n’est enregistrée. De plus, dans l’affichage public « visible depuis l’extérieur d’un local », le français devra figurer de façon « nettement prédominante », lorsqu’une marque y figure dans une autre langue que le français. Le projet de loi 96 prévoit des règles similaires pour les « noms d’entreprises » qui comportent une expression tirée d’une langue autre que le français, mais il n’est pas toujours aisé de faire la distinction entre un nom d’entreprise et une marque de commerce.

Le projet de Règlement est très technique et il est assez facile de se perdre dans les divers concepts et les diverses nuances. L’objectif de cet article est de faire état des principes généraux de façon résumée. Nous pouvons constater d’emblée que pour l’essentiel, le projet de règlement précise certains éléments mais ne prévoit pas de nouvelles exceptions notables à la Charte, ce qui risque de décevoir beaucoup de parties intéressées.

Inscription sur un produit, son emballage et les documents afférents

Le projet de Règlement corrige d’abord une incohérence dans le projet de loi 96 en précisant qu’un produit inclut son contenant ou son emballage ainsi que tout document ou objet qui l’accompagne.

Le projet de Règlement précise de plus ce qu’on entend par les termes suivants :

  • un descriptif réfère à un ou plusieurs mots décrivant les caractéristiques d’un produit;
  • un générique réfère à un ou plusieurs mots décrivant la nature d’un produit.

Il est par ailleurs prévu qu’aucun générique ou descriptif d’un produit se trouvant dans une marque de commerce rédigé dans une autre langue ne doit l’emporter sur celui rédigé en français ou être accessible dans des conditions plus favorables, ce qui signifie que la version française doit être au moins aussi prédominante que la version anglaise.

Rappelons que pendant l’examen du projet de loi 96 en commission parlementaire, le ministre responsable de la Langue française a fourni un exemple d’application : une marque de commerce enregistrée « BEAUTY SHOP » pourrait figurer sur l’emballage d’un produit sans version française. En revanche, la marque de commerce enregistrée « SOFTSOAP BRAND, Lavender and Shea Butter, washes away bacteria, deeply moisturize to hydrate skin, refill 50 ounces, 1.56 QT, 1.47 liters, refill over 673 ounces, use 48 less plastic per ounces, 7.5 ounces pumps » devrait s’accompagner d’une version française pour tout ce qui suit « SOFTSOAP BRAND ».

Le gouvernement du Québec a récemment diffusé un exemple de l’application de cette nouvelle règle :

Exemple de changements (Source: Jean-François Roberge / X)

Il est important de souligner que le projet de Règlement énonce deux exceptions notables :

  • une marque de commerce qui est en cours d’enregistrement, à compter de la date de production de la demande d’enregistrement auprès du Registraire des marques de commerce du Canada, est considérée être une marque de commerce enregistrée;
  • une période de grâce est prévue, jusqu’au 1er juin 2027, pour les produits non conformes aux nouvelles règles s’ils ont été fabriqués avant le 1er juin 2025 et qu’il n’existe pas de version française de la marque de commerce qui est enregistrée au Canada.

Affichage public

Le projet de Règlement précise que le français figure de façon « nettement prédominante » lorsque le texte rédigé en français a un impact visuel beaucoup plus important que le texte rédigé dans une autre langue. Les critères prévus au projet de Règlement sont très similaires à ceux auparavant prévus pour déterminer dans quels cas le français figure de façon « nettement prédominante » (ce concept est en effet déjà utilisé dans d’autres contextes que ceux où il y a présence d’une marque de commerce dans une langue autre que le français). Selon les nouveaux critères :

  • le texte en français doit se trouver dans le « même champ visuel » que le texte rédigé dans une autre langue, c’est-à-dire que tous que les composants de l’affichage doivent être visibles et lisibles en même temps sans qu’il soit nécessaire de se déplacer;
  • un texte rédigé en français a un impact visuel beaucoup plus important (1) s’il est au moins deux fois plus grand (au cumulatif de tous les textes rédigés dans le même champ visuel) que celui rédigé dans une autre langue, et (2) si sa lisibilité et sa visibilité permanente sont au moins équivalentes à celles du texte rédigé dans une autre langue (incluant leur éclairage) de façon à ce qu’il soit possible de les lire en tout temps, facilement et de manière simultanée;
  • certains termes ne comptent pas comme un texte en français, tels que les heures d’ouverture, les adresses, les chiffres, etc.

Plus spécifiquement en ce qui a trait aux marques de commerce et aux noms d’entreprises dans une autre langue que le français, le projet de Règlement prévoit de plus ce qui suit :

  • l’affichage public est « visible depuis l’extérieur d’un local » lorsqu’il peut être vu (1) de l’extérieur d’un espace, fermé ou non, y compris sur un immeuble, un ensemble d’immeubles ou à l’intérieur d’un centre commercial ou (2) sur une borne ou une autre structure indépendante, y compris celle de type enseigne pylône (sauf, dans ce dernier cas, lorsque plus de deux marques de commerce ou noms d’entreprise y figurent);
  • l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local d’une marque de commerce ou d’un nom d’entreprise dans une langue autre que le français, doit être accompagné de termes en français soit : (1) un générique (selon la définition précitée), (2) un descriptif des produits ou des services (selon la définition précitée) ou (3) un slogan;
  • l’actuelle exception, dans le Règlement, pour toute combinaison artificielle de lettres, de syllabes ou de chiffres, ou l’utilisation de pictogrammes, de chiffres, ou encore de sigles, est maintenue;
  • contrairement aux inscriptions pour les produits, il n’y a pas d’exception pour les marques de commerce en cours d’enregistrement.

Le gouvernement du Québec a récemment diffusé deux exemples de l’application des nouvelles règles :

Exemple de marque de commerce accompagnée d’un générique

Exemple de marque de commerce accompagnée d’un slogan

(Source: Jean-François Roberge / X)

Publications commerciales

La Charte prévoit que les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux, les bons de commande et tout autre document de même nature qui sont disponibles au public doivent être rédigés en français. Une version peut être disponible au public dans une autre langue que le français si la version française est accessible dans des conditions au moins aussi favorables.

Le projet de Règlement précise que cette disposition s’applique aux sites Internet et aux médias sociaux, ce qui n’est pas une surprise puisqu’il s’agit de la position de longue date de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

Il est intéressant de noter que l’exception prévue au Règlement pour les marques de commerce dans un tel contexte de publications commerciales n’a pas été modifiée et qu’elle continue donc de s’appliquer tant aux marques de commerce enregistrées que non enregistrées (à moins que le Règlement soit modifié ultérieurement).

Autres dispositions d’intérêt

En ce qui a trait aux règles relatives aux inscriptions sur les produits, selon lesquelles le français doit être aussi prédominant que toute autre langue, le projet de Règlement prévoit que l’inscription sur un produit comprend l’inscription qui s’y affiche pour l’utilisateur ou l’utilisatrice au moyen d’un logiciel embarqué.

Cette nouvelle disposition vise vraisemblablement à éliminer une échappatoire en raison d’une décision de la Cour du Québec de 2016 ayant conclu qu’un logiciel servant de système de commandes vocales de navigation d’un véhicule disponible en anglais seulement ne contrevenait pas à la Charte.

Le projet de Règlement prévoit également certaines précisions au sujet des « contrats d’adhésion », lesquels doivent être offerts en français en même temps que la version dans une autre langue, et ce, depuis le 1er juin 2023, faute de quoi ils peuvent être frappés de nullité.

Prochaines étapes

Toute personne intéressée ayant des commentaires à formuler au sujet du projet de Règlement peut le faire par écrit, au ministre de la Langue française, dans un délai de 45 jours à compter de la date de publication (le 10 janvier 2024).

Selon le gouvernement du Québec, la grande majorité des commerces respecteraient déjà les nouvelles règles. Un tel commentaire peut toutefois surprendre. Il est à noter que l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC) et l’International Trademark Association (INTA) ont été invités par l’Office québécois de la langue française à discuter du projet de Règlement et à faire part de leurs commentaires.

Le groupe de Marketing, publicité et conformité des produits est prêt à vous assister afin de mieux comprendre les obligations que le projet de loi 96 prévoit pour vous et votre entreprise.