Connaissez-vous la résidence fiscale de votre locateur? Si ce n’est pas le cas, vous devriez envisager de vérifier cette information, puisque les locataires payant un loyer à des personnes qui sont, à leur insu, des non-résidents du Canada, peuvent faire face à d’importantes conséquences. Dans l’affaire 3792391 Canada Inc. c. The King[1] , la Cour canadienne de l’impôt a confirmé qu’un locataire est tenu de payer l’impôt de la Partie XIII sur les loyers versés à un locateur non-résident, et ce, même s’il ignore la résidence fiscale de ce dernier.

L’impôt de la partie XIII en bref

Les non-résidents percevant des revenus locatifs au Canada sont généralement soumis à l’impôt de la Partie XIII, laquelle impose une retenue à la source de 25 % sur chaque montant qu’une personne résidant au Canada paie ou crédite à une personne non-résidente[2], à moins qu’une réduction de taux ne s’applique en vertu d’une convention fiscale conclue entre le Canada et le pays de résidence du non-résident. Afin d’assurer la perception de l’impôt de la Partie XIII, l’article 215 de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») prévoit qu’une personne payant un montant soumis à l’impôt de la Partie XIII a l’obligation, malgré toute disposition contraire d’une convention ou d’une loi, de retenir à la source le montant d’impôt approprié et de le remettre à l’Agence du revenu du Canada (« ARC »)[3]. Lorsque le locataire omet d’effectuer la déduction ou la retenue conformément à l’article 215, ce dernier devient personnellement responsable du paiement, au nom de la personne non-résidente, de l’impôt qui aurait dû être retenu[4]. De plus, la personne qui omet de remettre cetimpôt peut être assujettie au paiement d’intérêts et de pénalités[5]. Tout montant payé par le locataire à titre d’impôt de la Partie XIII au nom du locateur non-résident peut toutefois être récupéré par le locataire par déduction ou retenue à l’encontre d’autres paiements qu’il est tenu d’effectuer à son locateur.

L’affaire 3792391 Canada Inc.  

Dans cette décision de la Cour canadienne de l’impôt, 3792391 Canada Inc. (« 391 ») exploitait un centre de conditionnement physique situé à Montréal dans un local loué d’une personne non-résidente entre les années d’imposition 2011 et 2016. Toutefois, 391 n’a jamais retenu l’impôt de la Partie XIII sur les montants bruts qu’elle a versés à sa locatrice pendant toute la durée du bail.  Par conséquent, l’ARC a établi une cotisation à l’égard de 391 pour avoir omis de retenir et de remettre l’impôt de la Partie XIII sur les loyers qu’elle a versés à sa locatrice non-résidente, et lui a imposé des intérêts et des pénalités.

391 a soutenu qu’elle ne devrait pas être tenue de payer l’impôt de la Partie XIII puisqu’elle ne savait pas, et n’avait aucune raison de croire, que sa locatrice était une personne non-résidente du Canada. À cet effet, 391 a fait valoir que sa locatrice possédait une adresse et un numéro de téléphone au Canada, et que l’actionnaire de 391 l’avait rencontrée à plusieurs reprises à Montréal. Cependant, la preuve a également démontré qu’il existait des signes indiquant que la locatrice ne résidait pas au Canada, tels qu’un numéro de téléphone international, une adresse électronique se terminant par « .it » plutôt que « .ca » ou « .com », ainsi qu’une mention dans le bail indiquant que la locatrice l’avait signé en Italie.

Le ministre a quant à lui fait valoir que la connaissance n’était pas requise pour être redevable de l’impôt de la Partie XIII puisque l’article 215 de la LIR exige seulement qu’un résident canadien ne déduise pas ou ne retienne pas cet impôt sur les montants versés à un non-résident.

La cour a accepté les arguments du ministre en ce qui concerne l’absence d’exigence de connaissance à l’article 215. Dans son analyse, le juge a déclaré que le prédécesseur de l’article 215 a d’abord été introduit pour soutenir l’application de la disposition d’assujettissement à l’impôt des personnes non-résidentes. Par conséquent, l’historique de l’article 215 de la LIR révèle que la disposition relative à la retenue ne comportait pas d’exigence de connaissance au moment de son introduction, et qu’aucune n’a été ajoutée depuis. Le juge a également noté que lorsque le législateur souhaite limiter la responsabilité d’un contribuable aux circonstances dont il a une connaissance ou une croyance, il le fait expressément, comme c’est le cas au paragraphe 116(5) de la LIR.

En ce qui concerne les pénalités imposées à 391, le juge a noté qu’une défense fondée sur la diligence raisonnable était possible, mais que 391 n’avait pas démontré qu’elle avait fait preuve d’une diligence raisonnable pour s’assurer qu’elle respectait ses obligations.

Perspectives

Les implications pour les locateurs et les locataires sont claires : les locataires canadiens qui effectuent des paiements à des locateurs non-résidents doivent retenir 25 % du montant brut et de le remettre à l’ARC. L’affaire récente 3792391 Canada Inc. met en lumière les subtilités liées au respect des obligations énoncées dans la partie XIII de la LIR, soulignant ainsi la nécessité pour les locataires de faire preuve d’un niveau de diligence accru pour assurer leur conformité.

Afin de naviguer efficacement à travers ce paysage complexe, il est recommandé aux locataires de solliciter de manière proactive une Attestation du statut de résidence auprès du locateur. Que le locateur soit un particulier, une société ou une fiducie, il a la possibilité de fournir au locataire l’attestation obtenue auprès de l’ARC. Pour ce faire, il est impératif que le locateur veille à ce que ses déclarations d’impôts soient bien remplies et à jour. L’échange de l’attestation s’avère mutuellement bénéfique – tandis que le locateur préserve la confidentialité de ses déclarations de revenus et de ses informations, le locataire gagne en confiance dans sa décision de retenir et de remettre les fonds comme il se doit.

Toutefois, il est essentiel de reconnaître que le statut de résident des locateurs sous la LIR peut changer pendant la durée d’un bail. À titre de mesure proactive, nous encourageons les locataires en processus de négociations de bail à incorporer une clause garantissant que les locateurs les informeront rapidement d’un changement de leur statut de résidence aux fins de la LIR. Cette disposition renforce la transparence et la collaboration, en favorisant une relation fondée sur la conformité et un engagement mutuel en faveur d’une coopération efficace et pratique.

Pour plus d’informations sur le traitement fiscal des loyers pour les locataires et les locateurs, veuillez contacter un membre de l’équipe de fiscalité des entreprises de Miller Thomson.


[1] 2023 CCI 37 [procédure informelle].

[2] Alinéa 212(1)(d).

[3] Paragraphe 215(1).

[4] Paragraphe 215(6).

[5] Paragraphes 227(8) et 227(8.3).