Le 1er février dernier, Donald Trump a signé un décret imposant des tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits canadiens qui entrent en sol américain. Le décret prévoyait une exception pour les produits énergétiques (pétrole, gaz, etc.), lesquels ne seraient tarifés qu’à 10 %. La mesure devait entrer en vigueur le 4 février dernier, mais elle a été suspendue jusqu’au 1er mars.
En riposte, le Canada a annoncé que des tarifs pourraient être imposés sur plusieurs produits américains. Le gouvernement québécois envisage également certaines mesures, dont une pénalité aux entreprises américaines, dans le but d’augmenter de 25 % le prix de leurs soumissions pour l’octroi de contrats publics par appels d’offres.
Depuis, les 10 et 11 février 2025, le président Trump a signé deux nouveaux décrets prévoyant des tarifs douaniers de 25 % sur les produits en acier et en aluminium. Ces tarifs s’ajouteront à ceux annoncés le 1er février, de sorte que ces matières pourraient se voir imposer des tarifs douaniers totalisant 50 %.
Le Canada n’a pas encore annoncé s’il répliquera avec des tarifs sur les importations d’acier et d’aluminium en provenance des États-Unis comme ce fut le cas en 2018. Cependant, dans un contexte où en 2023, le Canada était le deuxième principal importateur d’acier américain avec un peu plus de 46 % de toutes les exportations, cette situation fait craindre une augmentation du prix de certains matériaux.
L’allocation du risque d’augmentation des prix varie en fonction du contrat
Dans le cadre d’un contrat à prix coûtant majoré (cost plus), la réponse est relativement simple puisque l’entrepreneur facture normalement le donneur d’ouvrage selon le prix de revient des matériaux achetés aux fins des travaux. Ainsi, lorsque le coût d’achat de certains matériaux augmente, le donneur d’ouvrage doit, sauf exception, en payer la note.
Par contre, la situation est différente en présence d’un contrat forfaitaire. En effet, le Code civil du Québec fait reposer le risque d’une augmentation du prix des matériaux en cours de contrat sur les épaules de l’entrepreneur :
2109. Lorsque le contrat est à forfait, le client doit payer le prix convenu et il ne peut prétendre à une diminution du prix en faisant valoir que l’ouvrage ou le service a exigé moins de travail ou a coûté moins cher qu’il n’avait été prévu.
Pareillement, l’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut prétendre à une augmentation du prix pour un motif contraire.
Le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifications aient été apportées aux conditions d’exécution initialement prévues, à moins que les parties n’en aient convenu autrement.
Par le passé, les tribunaux ont refusé d’accorder un ajustement au prix du contrat en raison de l’augmentation du prix de matières premières.
La théorie de l’imprévision n’est pas un concept juridique reconnu en droit québécois, il ne suffira donc pas en principe pour l’entrepreneur d’invoquer que ces tarifs étaient imprévisibles au moment de la conclusion du contrat. Au même titre, il pourrait s’avérer difficile d’invoquer la force majeure en raison de l’augmentation du prix des matériaux consécutive à l’imposition de tarifs douaniers.
En effet, pour qu’un événement puisse se qualifier de la sorte, il est nécessaire de démontrer son caractère imprévisible, irrésistible et provenant d’une cause étrangère. L’événement qui rend l’exécution simplement plus difficile ou plus périlleuse ou plus onéreuse pour l’entrepreneur ne tombe pas dans la catégorie des cas de force majeure.
De plus, les contrats contiennent fréquemment une clause prévoyant que le prix du contrat inclut toutes les taxes et tous les frais de douanes :
Le prix du contrat comprend toutes les taxes fédérales, provinciales et municipales, frais et droits de douane, permis, licences, redevances pour la fourniture et l’emploi des dispositifs, appareils ou procédés brevetés, toutes les dépenses connexes nécessaires à l’exécution des travaux ainsi que tous les autres frais qui découlent des documents contractuels.
Or, ce type de clause a été considéré comme incluant les taxes futures[1]. Il n’est donc pas impossible, selon les circonstances, que les tribunaux arrivent à une conclusion similaire concernant l’imposition de frais de douane.
La solution : la clause d’ajustement de prix dans le contrat
Les parties ont tout avantage à inclure dans leur contrat une clause d’ajustement de prix. Une clause d’ajustement de prix limite les risques de différends découlant d’une augmentation subite du prix des matériaux en raison de tarifs douaniers. En plus, elle évite au donneur d’ouvrage de payer un prix plus élevé du fait que l’entrepreneur couvre un risque d’augmentation des prix qui ne se matérialisera peut-être pas.
À titre d’exemple, l’article 10.1.2 du CCDC 2CcQ – 2024 Contrat à forfait (Code civil du Québec) prévoit la possibilité d’ajuster le prix du contrat en cas de changements au niveau des taxes et droits de douane après le dépôt de la soumission :
10.1.2 Toute augmentation ou diminution des frais de l’entrepreneur attribuable à des modifications aux taxes ou droits compris dans le prix du contrat et survenant après la clôture de l’appel d’offres doit entraîner une augmentation ou une diminution correspondante du prix du contrat.
Une clause de cette nature a d’ailleurs été avalisée par la Cour d’appel afin de tenir compte de l’entrée en vigueur de la TPS dans les années 1990, alors que les prix de l’entrepreneur ne reflétaient pas l’ajout de cette taxe.
En conclusion, la situation des tarifs douaniers sera assurément à suivre au cours des prochaines semaines et des prochains mois, en ce que ceux-ci pourraient avoir des impacts majeurs sur vos contrats, et vos chantiers.
[1] Construction G. Di Iorio inc. c. Pointe-Claire (Ville de), (C. S., 1991-09-23), SOQUIJ AZ-91021552 ; Marcel Charest & Fils inc. c. Rivière-du-Loup (Ville de), (C.A., 1993-02-17), SOQUIJ AZ-93011303