Tout récemment, dans l’affaire Couillard Construction limitée c. Procureur général du Québec (Ministère des Transports du Québec)[1], la Cour a rappelé l’importance pour un donneur d’ouvrage de rédiger ses documents d’appel d’offres en des termes clairs et d’agir avec précaution avant de déclarer une soumission non conforme.
Les faits
En août 2014, le ministère des Transports (« MTQ ») lance un appel d’offres pour la construction d’un tronçon de la nouvelle route 112 qui reliera Thetford Mines à Saint-Joseph-de-Coleraine. Le Devis spécial joint aux documents d’appel d’offres demande aux soumissionnaires de limiter le montant prévu au poste Organisation de chantier et locaux de chantiers (« OCLC ») à 6 % du montant total de la soumission. À défaut de respecter cette exigence, le Devis spécial indique que la soumission sera déclarée non conforme et rejetée automatiquement.
À l’ouverture des soumissions, Couillard Construction limitée (« Couillard ») se classe au premier rang avec une soumission de 14 437 000 $, 1,78 M$ plus basse que le deuxième plus bas soumissionnaire et inférieure de 23 % au montant estimé par le MTQ. Toutefois, lors de l’analyse des soumissions, le MTQ constate que le montant soumis par Couillard pour le poste OCLC représente 11,6 % du montant total de sa soumission. En conséquence, le MTQ rejette la soumission de Couillard et octroie le contrat au deuxième plus bas soumissionnaire.
Couillard conteste cette décision et considère que le MTQ a commis une faute contractuelle en déclarant sa soumission non conforme. Couillard estime que si la soumission était bien affectée d’une irrégularité, celle-ci était mineure et que le MTQ aurait dû lui permettre de la corriger. La répartition des frais relatifs au poste OCLC ne change rien au prix final de la soumission. En plus, la décision du MTQ de rejeter sa soumission constitue, selon Couillard, un manquement envers la collectivité qui est privée d’une économie substantielle. Un recours en dommages est donc entrepris afin de réclamer le profit perdu.
Pour sa part, le MTQ défend la légalité de l’appel d’offres qu’il juge cohérent et coercitif. Le MTQ avance qu’il devait rejeter la soumission Couillard afin de respecter l’équité entre les soumissionnaires. La mesure exigée dans le Devis spécial pour le poste OCLC découlait d’un projet pilote dont l’objectif est, entre autres, d’éviter que les entrepreneurs gonflent le poste OCLC dans l’optique d’obtenir un paiement anticipé plus important et illégitime en début de contrat.
À l’audience, les parties admettent que de limiter le prix du poste OCLC n’affecte pas le prix final des soumissions ni le rang des entrepreneurs soumissionnaires. Le montant réclamé par Couillard fait également l’objet d’une admission.
La décision
La Cour détermine que Couillard s’est conformée aux exigences de l’appel d’offres même si elle ne respectait pas le plafond de 6 % pour le poste OCLC demandé au projet pilote. Elle estime que l’irrégularité alléguée par le MTQ n’affecte pas l’équité entre les soumissionnaires de sorte que le rejet de la soumission Couillard était fautif.
En omettant d’inclure le plafond de 6 % dans les Instructions aux Entrepreneurs, la préséance de ce document sur le Devis spécial fait en sorte que Couillard n’avait pas à respecter la mesure imposée dans le Devis spécial pour le poste OCLC. D’ailleurs, si les frais associés au poste OCLC dépassaient 6 % du prix de la soumission, les soumissionnaires devaient répartir l’excédent dans les autres items du bordereau, ce qui est contraire à l’interdiction de débalancer les soumissions prévue aux Instructions aux Entrepreneurs.
Selon la Cour, les documents d’appel d’offres comportaient de multiples erreurs de rédaction ce qui constituait un obstacle dans l’analyse de la conformité de la soumission de Couillard. Le MTQ avait l’obligation de rédiger les documents d’appel d’offres en termes clairs afin que les soumissionnaires sachent ce qui était attendu d’eux. L’irrégularité soulevée par le MTQ était le résultat d’une confusion occasionnée par l’incohérence de la documentation.
De plus, la Cour juge que l’application du projet pilote par le MTQ n’a aucune incidence sur le prix des soumissions. En fait, le projet pilote relevait plutôt d’une question de budgétisation interne pour le MTQ, de sorte qu’il ne s’agissait pas, aux yeux de la Cour, d’une exigence de fond de l’appel d’offres.
La Cour conclut qu’un donneur d’ouvrage public doit faire preuve de prudence avant de rejeter la plus basse soumission reçue puisque l’objectif de l’appel d’offres est de permettre aux autorités publiques de conclure un contrat au meilleur prix possible. Pour la Cour, il s’agit d’une question d’intérêt public et en refusant d’accorder le contrat au plus bas soumissionnaire, le MTQ n’a pas protégé les intérêts de la collectivité, en plus de commettre une faute envers l’entrepreneur.
Le MTQ a donc été condamné à payer à Couillard le profit perdu qui s’élevait à 1,8 M$.
Conclusion
Il est important pour un donneur d’ouvrage de pouvoir motiver adéquatement sa décision d’écarter la plus basse soumission reçue. En l’absence de considérations juridiques décisives, il s’expose au risque de devoir indemniser le soumissionnaire lésé. Le délai d’appel n’étant pas encore expiré au moment de la rédaction de ce texte, il faudra attendre de voir quelle suite sera donnée à cette décision.
[1] Couillard Construction limitée c. Procureur général du Québec (Ministère des Transports du Québec), 2022 QCCS 2069 (CanLII)