Dans l’arrêt Maçonnerie Guy Rochefort c. Pomerleau[1], la Cour d’appel s’est penchée sur la réclamation d’un entrepreneur soumissionnaire, ayant déposé une soumission par le truchement du Bureau des soumissions déposées du Québec (« BSDQ »), pour récupérer les profits dont il a été privé. En effet, l’entrepreneur destinataire a octroyé le contrat à un autre entrepreneur un an après la clôture de l’appel d’offres du BSDQ alors que Maçonnerie Guy Rochefort était la plus basse soumissionnaire.
L’entrepreneur destinataire aurait agi ainsi puisqu’il prétendait que la soumission de l’entrepreneur soumissionnaire était non conforme aux obligations prévues dans le préambule du Code de soumission BSDQ (« Code BSDQ ») et, plus spécifiquement, aux principes de saine concurrence et à l’effort sérieux pour fournir le meilleur prix.
Les faits
Pomerleau inc. (« Pormerleau ») remporte un appel d’offres lancé par la Société québécoise des infrastructures pour la construction d’un établissement de détention à Amos.
Afin de préparer sa soumission, Pomerleau, par le truchement du BSDQ, a procédé à un appel d’offres pour les travaux de maçonnerie.
À l’échéance du dépôt des soumissions spécialisées au BSDQ, Pomerleau a reçu trois soumissions : de Construction Savite inc. (« Savite ») à 7 897 000 $, de Maçonnerie Guy Rochefort (« Rochefort ») à 11 870 000 $ et de Maçonnerie Thibeault ltée à 12 680 000 $.
Une journée avant la date limite du dépôt de la soumission de Pomerleau, Savite a retiré sa soumission au BSDQ. Pomerleau maintient toutefois dans sa soumission générale le montant soumis par Savite, puisqu’elle considère ce montant comme représentant la valeur réelle des travaux.
Pomerleau remporte finalement l’appel d’offres avec le prix soumis par Savite pour les travaux de maçonnerie.
Puisque Pomerleau considère que la soumission de Rochefort ne représente pas le prix du marchéet puisque les travaux de maçonnerie doivent être exécutés seulement vers la fin du projet, Pomerleau laisse écouler un an, le tout conformément à l’article I-6 du Code BSDQ. Elle octroie par la suite le contrat à un autre entrepreneur en maçonnerie.
Voyant ceci, Rochefort entreprend des procédures contre Pomerleau pour la perte de profits que le contrat de Pomerleau lui aurait générés.
Première instance
En première instance, le juge conclut que la soumission de Rochefort n’était pas conforme au Code BSDQ puisque sa soumission ne respectait pas deux des principes énoncés dans son préambule, soit la saine concurrence entre les soumissionnaires et l’effort sérieux du soumissionnaire de fournir son meilleur prix.
Le juge conclut ainsi que Pomerleau n’a pas commis de faute en laissant écouler un délai d’un an afin de lui permettre d’octroyer le contrat à un autre entrepreneur.
Également, le juge précise que la réclamation pour la perte de profits de Rochefort ne peut être accordée puisque si Pomerleau avait considéré la soumission de Rochefort dans sa soumission, Pomerleau n’aurait pas été la plus basse soumissionnaire et elle n’aurait pas remporté l’appel d’offres.
La réclamation de Rochefort est donc rejetée.
Appel
La Cour d’appel maintient le jugement de première instance. Elle considère que si Pomerleau avait inclus la soumission de Rochefort dans sa propre soumission ni elle ni Rochefort n’aurait obtenu le contrat. Ainsi, la faute de Pomerleau n’a pas de lien causal avec le préjudice réclamé.
La Cour d’appel se prononce par la suite sur la conclusion du juge de première instance indiquant que la soumission de Rochefort n’était pas conforme au préambule du Code BSDQ puisqueRochefort n’avait pas été en mesure de prouver que sa soumission respectait le principe de la saine concurrence entre les soumissionnaires et l’effort sérieux pour fournir le meilleur prix.
Selon la Cour d’appel, bien que les principes énoncés dans le préambule soient importants dans l’interprétation du Code BSDQ, ils ne constituent pas pour autant des conditions permettant de conclure ou non à la conformité d’une soumission. Conclure autrement pourrait permettre à un entrepreneur général d’écarter une soumission pour non-conformité seulement en raison du prix ou d’un soupçon de collusion.
L’article I-1.1(c) du Code BSDQ contient d’ailleurs un mécanisme permettant à un entrepreneur qui considère que toutes les soumissions reçues comportent un prix déraisonnable de demander à un comité spécial de déclarer un rappel d’offres afin de recevoir de nouvelles soumissions.
Ce faisant, la Cour d’appel infirme la conclusion du jugement de première instance quant à la non-conformité de la soumission de Rochefort.
Conclusion
Il appert donc que le principe de la saine concurrence entre les soumissionnaires et l’effort sérieux pour fournir le meilleur prix prévu au préambule du Code BSDQ ne constituent pas des motifs de non-conformité d’une soumission.
[1] 2020 QCCA 454
Cet article a paru dans l’édition du 2 avril 2020 de l’infolettre construction.