Journal Constructo – 21 juin 2019
Alors que l’été se pointe à l’horizon, cette chronique nous ramène aux conditions particulièrement froides et rigoureuses de l’hiver 2008-2009. Tous ont alors vécu les affres de travaux effectués en condition hivernale, incluant les protagonistes qui font l’objet de cet article, soit l’entrepreneur général Opron inc. (« Opron ») et le ministère des Transports du Québec (« MTQ »). Une décision récente de la Cour supérieure porte sur une réclamation d’Opron pour le prolongement et l’accélération d’un chantier hivernal. La Cour se prononce également sur la notion de « frais généraux de chantier ». [1]
Les faits
En juillet 2008, au terme d’un appel d’offres, Opron a conclu un contrat avec le MTQ pour la construction de deux viaducs similaires enjambant l’Autoroute des Cantons-de-l’Est (Autoroute 10), dans la municipalité de Marieville.
Les documents d’appel d’offres prévoyaient que les travaux de la phase 1 débuteraient au plus tard le 4 août 2008 afin d’être terminés avant le 19 décembre 2008, pour une durée totalisant 20 semaines. Cet échéancier, bien que serré, allait permettre la pose d’un revêtement bitumineux temporaire sur les deux viaducs avant les mois rigoureux de janvier et février durant lesquels la pose de béton est normalement proscrite. En seconde phase, il était prévu que l’entrepreneur compléterait notamment les travaux de pavage permanent pour terminer la construction des viaducs. Ces travaux devaient durer quatre semaines.
Cependant, le MTQ a autorisé le début des travaux deux semaines plus tard que prévu aux documents d’appel d’offres, en raison des délais pour compléter le processus d’octroi du contrat. Par conséquent, le premier viaduc a été ouvert à la circulation en février 2009, et le second en juin 2009.
Selon Opron, le MTQ était responsable de ce report, ce qui a entraîné des retards, des demandes d’accélération et l’exécution de travaux en période hivernale. La compagnie a donc réclamé 1,2 million de dollars au MTQ pour ses dommages. Le MTQ contestait le bien-fondé et la recevabilité de cette demande. Il invoquait, entre autres, que les sommes réclamées par Opron étaient exagérées ou limitées par le contrat.
La décision
Le juge a d’abord analysé les raisons entourant le retard de deux semaines du début des travaux. Il a conclu que le MTQ était responsable de ce retard, car il aurait pu donner l’autorisation à Opron de débuter les travaux le 4 août 2008, tel que prévu au contrat, ce qu’il n’a pas fait. Le MTQ a plutôt demandé à Opron de lui fournir des documents relatifs à ses cautionnements et assurances, ce qu’Opron a complété le 7 août 2008. Or, le MTQ a attendu jusqu’au 18 août 2008 avant de donner le feu vert pour débuter les travaux. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une faute du MTQ, au sens légal du terme, le juge a conclu que ce retard était la cause des problèmes qui ont suivi.
Au mois d’octobre 2008, à l’occasion d’une rencontre, le MTQ et Opron ont conclu une entente encadrant la rémunération de cette dernière, vu le chamboulement de l’échéancier. Les parties ont alors convenu d’accélérer les travaux pour terminer un premier viaduc rapidement (alors qu’Opron prévoyait construire les deux viaducs en même temps) et que le MTQ paierait pour les coûts supplémentaires calculés suivant la méthode de régie contrôlée.
Calcul de la valeur des changements
Le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics [2] (« Règlement ») encadre la compensation à laquelle ont droit les entrepreneurs en raison de demandes de changement faites par un donneur d’ouvrage public.
L’article 45 prévoit que la valeur d’un changement est déterminée suivant l’une des méthodes suivantes :
1) Par négociation d’un prix forfaitaire ventilé « qui tient compte, pour les frais généraux, les frais d’administration et les profits de l’entrepreneur » du pourcentage de majoration établi (10 % ou 15 %);
2) Si la nature du changement ne permet pas de procéder par prix forfaitaire, le Règlement prévoit l’application des prix unitaires prévus au contrat ou convenus entre les parties;
3) Enfin, si ni l’une ni l’autre de ces méthodes n’est possible, la compensation pour le changement comporte les coûts réels de l’entrepreneur sur lequel est appliqué la majoration à pourcentage fixe décrite ci-haut. À ce titre, le Règlement prévoit que la majoration inclut « les frais généraux, les frais d’administration et les profits de l’entrepreneur ».
Les coûts réels admissibles sont explicités à l’Annexe 6 du Règlement. Ils sont énumérés en douze paragraphes et comprennent, par exemple, les coûts de main-d’œuvre directe, les frais de déplacement et d’hébergement des salariés additionnels, la location d’équipement, l’achat de matériaux, le chauffage, la protection temporaire, l’enlèvement de débris, les coûts additionnels de contrôle de qualité, et les primes additionnelles de cautionnement et d’assurance. De plus, le douzième paragraphe de l’Annexe 6 prévoit que les coûts réels incluent « tout autre coût de main-d’œuvre, de matériaux et d’équipement additionnel requis, non spécifié aux [onze] paragraphes qui précèdent et attribuable à l’exécution du changement ».
Dans la présente affaire, Opron et le MTQ s’étaient entendus en octobre 2008 pour utiliser la troisième méthode décrite plus haut, soit celle des coûts réels avec majoration. Malgré cette entente, le MTQ s’est opposé à payer ces coûts au motif que certains des frais généraux réclamés par Opron auraient déjà été inclus dans la majoration pour frais généraux et profits.
Le tribunal a tranché en faveur d’Opron. Le nœud de l’affaire consistait à différencier les frais généraux du chantier des frais généraux relatifs au siège social, lesquels sont déjà compris dans la majoration à pourcentage fixe.
Ainsi, le tribunal a condamné le MTQ à payer à Opron et à son sous-traitant les frais généraux de chantier suivants : heures supplémentaires d’octobre à décembre 2008 (13 521 $), location d’équipements et outils additionnels en raison de l’accélération (29 823 $), frais généraux de chantier durant la prolongation de janvier et février 2009 (197 444 $), frais de chauffage du tablier du viaduc durant cette prolongation (151 187 $), frais de déneigement durant cette prolongation (36 796 $), frais pour perte de productivité et encombrement durant cette prolongation (190 702 $), frais du sous-traitant pour louer des équipements (34 758 $), heures supplémentaires durant la prolongation de janvier et février 2009 (7 869 $), ainsi que les frais supplémentaires de chantier du printemps 2009 (179 592 $).
Conclusion
Dans le calcul de la compensation applicable à un changement, les frais généraux de chantier sont directement liés à la prolongation de l’échéancier ou à l’accélération des travaux. Ils doivent être distingués des frais généraux de siège social qui sont déjà couverts par la majoration à pourcentage prévue dans le Règlement.
Nous resterons à l’affût du dénouement de cette affaire opposant Opron au MTQ qui a été portée devant la Cour d’appel du Québec le 11 juin dernier.
[1] Opron inc. c. Procureur général du Québec, 2019 QCCS 1672. Ce jugement fait présentement l’objet d’un appel.
[2] RLRQ c C-65.1, r 5, art.44 à 49.
Cet article est paru dans l’édition du 21 juin 2019 du journal Constructo.