Journal Constructo – 18 février 2021
Introduction
Dans leurs appels d’offres, les donneurs d’ouvrage peuvent parfois exiger des soumissionnaires qu’ils nomment les sous-traitants qu’ils entendent retenir aux fins de réalisation du projet. Lorsqu’ils sont ainsi incorporés dans l’offre de l’entrepreneur général, les sous-traitants peuvent-ils réclamer une indemnisation dans l’éventualité où la sous-traitance ne leur est pas accordée lorsque l’entrepreneur général est l’adjudicataire du contrat au terme du processus d’appel d’offres?
Récemment, la Cour d’appel a statué sur l’existence d’une telle obligation dans l’affaire Opsis gestion d’infrastructures inc. c. GM Développement inc. [1] eu égard notamment à la décision Naylor Group inc. c. Ellis-Don Construction Ltd [2] rendue par la Cour suprême en 2001.
Dans cette décision, la Cour suprême avait déterminé qu’Ellis-Don — l’entrepreneur général — devait indemniser Naylor Group — le sous-traitant — puisqu’il l’avait inclus dans la soumission qu’il a présentée au donneur d’ouvrage sans par la suite lui octroyer le contrat.
Les faits
Au cours de l’année 2008, un appel d’offres est lancé par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (« TPSGC ») dans le but de conclure un bail emphytéotique pour les bureaux des ministères fédéraux. Afin de pouvoir déposer une offre financière, dans le cadre du processus d’appel d’offres, les soumissionnaires devaient préalablement présenter une demande de qualification auprès de TPSGC.
Le 8 avril 2009, un consortium mené par GM Développement inc. (« GM ») présente une demande de qualification qui comprend un volet pour la gestion immobilière dans lequel il est indiqué qu’Opsis Gestion d’infrastructures inc. (« Opsis ») assurera cette gestion en collaboration avec GM.
Le consortium se qualifie et le 17 juillet 2009, il dépose une offre financière réitérant que la gestion immobilière sera du ressort d’Opsis et de GM. Le 17 mars 2010, satisfait de l’offre du consortium, TPSGC conclut le contrat.
Le 7 juin 2010, le consortium octroie le contrat de gestion de l’immeuble à un tiers, soit la société Reximo. Étant notamment [3] d’avis que le contrat devait lui revenir, Opsis entreprend un recours en dommages contre GM pour perte de profits. En première instance, le recours est rejeté et Opsis décide de faire appel de la décision.
Alors qu’en première instance Opsis prétendait qu’une entente était intervenue entre elle et GM de sorte que le contrat lui revenait, en appel, un nouvel argument est soulevé. Selon Opsis, le fait d’avoir été incluse dans l’offre du consortium auprès de TPSGC obligeait GM à lui octroyer un contrat de sous-traitance pour la gestion immobilière conformément aux principes du contrat « A » et du contrat « B ».
S’appuyant sur l’arrêt Naylor Group [4], Opsis avançait que le fait pour l’entrepreneur général d’inclure un sous-traitant dans sa soumission auprès d’un donneur d’ouvrage engageait celui-ci à contracter avec le sous-traitant dans l’éventualité où il serait l’adjudicataire du contrat.
Selon Opsis, l’objectif de cette obligation serait d’éviter qu’un entrepreneur général effectue du « bid shopping » en requérant des soumissions de sous-traitants dans le but d’obtenir de meilleur prix auprès d’autres.
La décision
Opsis va échouer dans son appel de la décision de première instance. Outre le fait que le nouvel argument présenté par Opsis n’avait pas été soulevé en première instance, la Cour souligne que l’appel d’offres lancé par TPSGC n’était pas standard. Le processus d’octroi comprenait trois étapes à savoir la qualification, la proposition et la conclusion éventuelle d’un contrat, et non simplement le dépôt d’une offre monétaire.
De plus, la Cour d’appel souligne que la décision Naylor Group n’établit pas de principe général en vertu duquel les entrepreneurs généraux s’obligent à octroyer un contrat aux sous-traitants qu’ils mentionnent dans leur soumission. Entre autres, la Cour d’appel note que l’affaire Naylor Group a été rendue dans un contexte très particulier, notamment du fait que le contrat entre le donneur d’ouvrage et Ellis-Don obligeait ce dernier à « avoir recours aux services des sous-traitants qu’il a proposés par écrit et qui ont été acceptés par le propriétaire » [5].
Or, le contrat entre TPSGC et le consortium ne prévoyait pas une telle obligation. À l’inverse, les documents de soumission indiquaient au gestionnaire immobilier qu’il pouvait conclure des ententes de service, sans identifier spécifiquement les sous-traitants. De telles ententes devaient prévoir une clause d’annulation avec un préavis de 30 jours.
Selon la Cour d’appel, la question « de savoir si des entrepreneurs principaux s’engagent envers les sous-traitants qu’ils incluent dans les documents d’appel d’offres est intimement liée au contexte particulier de l’affaire et au cadre législatif et réglementaire applicable, comme il a été possible de le constater dans l’arrêt Naylor Group » [6].
La Cour a donc conclu que, malgré l’inclusion d’Opsis dans sa demande de qualification et son offre financière, GM n’avait pas l’obligation de contracter avec elle.
Conclusion
On retient de cette décision qu’il est malheureusement impossible d’établir une règle qui serait applicable à tous les cas. [7] Un sous-traitant désigné dans la soumission de l’entrepreneur général devra démontrer l’existence d’une obligation de lui octroyer la sous-traitance afin d’être en mesure de réclamer des dommages dans l’éventualité où il serait écarté. Le sort de son recours dépendra ultimement des faits particuliers du dossier.
[1] Opsis gestion d’infrastructures inc. c. GM Développement inc., 2020 QCCA 1756 (CanLII)
[2] Naylor Group inc. c. Ellis-Don Construction Ltd, 2001 CSC 58
[3] En plus de prétendre que la sous-traitance devait lui revenir, Opsis prétendait qu’un ancien employé, par l’entremise de sa compagnie Reximo, avait violé son obligation de loyauté avec le concours de GM en obtenant la sous-traitance. Ce volet du recours qui s’articule autour du devoir de loyauté n’est pas discuté dans le présent article.
[4] Naylor Group inc. c. Ellis-Don Construction Ltd, préc. note 2.
[5] Id., par. 44
[6] Opsis gestion d’infrastructures inc. c. GM Développement inc., préc. note 1, par. 45.
[7] Id., par. 46.
Cet article est paru dans l’édition du 18 février 2021 du journal Constructo.