Rares sont les projets où les travaux originellement décrits par les plans et devis sont exécutés sans changements. Aussi, les contrats à prix forfaitaire comportent habituellement des clauses pour régir les cas de changements. Elles conditionnent fréquemment le droit pour l’entrepreneur d’être compensé au respect préalable d’une procédure où l’écrit est de mise. L’entrepreneur doit donc se familiariser avec ces clauses et en comprendre la portée car à défaut de suivre rigoureusement le processus qu’elles dictent, il risque de perdre le droit d’être compensé pour les changements qu’il exécute.
Une problématique qui mérite une attention particulière à laquelle les entrepreneurs sont parfois confrontés est celle de l’évaluation des coûts d’impact découlant des changements. On entend par coûts d’impact, ceux associés à la prolongation du projet tels : coûts de personnel de gérance, partie des coûts du siège social, coûts de cautionnements, mais aussi ceux associés au déplacement d’activités originellement prévues durant des périodes moins propices. Il n’est en effet pas toujours facile de mesurer la portée et l’ampleur de ces coûts d’impact au moment où un changement particulier est requis surtout si plusieurs autres changements inattendus lui succèdent. Dans ces cas, l’entrepreneur qui est confronté à une demande de fixation de prix pour un changement précis aura tout intérêt à réserver son droit d’être compensé pour ses coûts d’impact ou, à tout le moins, signaler son désaccord quant au fait que le prix qu’on lui propose est complet. En présence de clauses qui suggèrent que le prix fixé pour le changement englobe ceux inhérents aux délais, l’absence de manifestation claire de l’entrepreneur quant au fait que le prix n’englobe pas les coûts d’impact pourra lui être coûteuse. C’est ce qu’illustre un jugement rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Développement Tanaka inc. c Corporation d’hébergement du Québec.
Les faits
En mai 2003, Développements Tanaka inc. (ci-après « Tanaka ») et la Corporation d’Hébergement du Québec (ci-après « CHQ ») signent un contrat pour la construction d’un nouveau pavillon servant d’annexe au Centre hospitalier des Vallées de l’Outaouais. En raison de divers changements requis en cours de travaux, le projet s’exécutera sur une période plus longue qu’originellement anticipée. À l’exception du cas de certains changements qui demeureront en litige, la CHQ et Tanaka signeront mutuellement en cours de projet des ordres de changement (ci-après « ODC ») engendrant des ajustements au prix du contrat. Incapables de s’entendre sur le cas de certains changements, mais aussi et surtout, sur le caractère redevable d’une compensation réclamée par Tanaka pour frais inhérents à la prolongation des délais d’exécution (coûts d’impact), les parties porteront leurs différends devant la Cour supérieure.
Sur le point des coûts d’impact, Tanaka avance que la responsabilité du retard incombe à la CHQ qui aurait tardé à émettre certains ODC. La juge Hélène Langlois lui donnera partiellement raison sur ce point puisqu’au terme du jugement qu’elle rendra, elle ordonnera à la CHQ de verser à Tanaka la somme de 80 591 $, ladite somme étant établie en fonction du nombre de jours de retard causés par la CHQ (arbitré par la juge à 31) multiplié par des frais de retard quotidien constitués en outre de frais de personnel de gérance et de maintien de chantier ainsi que du siège social.
L’appel
Le jugement de la Cour supérieure sera porté en appel de part et d’autre. Le principal point sur lequel la Cour s’attardera dans le jugement rendu est la question à savoir si, eu égard aux stipulations contractuelles, les coûts de prolongement de chantier sont redevables par la CHQ. La CHQ soutient pour sa part que ceux-ci sont inclus dans le prix des changements sur lesquels elle s’est entendue avec Tanaka.
Après avoir analysé le contenu des clauses du contrat, la Cour donne raison à la CHQ. La Cour retient en effet qu’eu égard aux termes spécifiques du contrat en cause, la proposition de l’entrepreneur en réponse à une demande de changement devait prévoir les effets du changement sur les délais d’exécution. L’arbitrage à posteriori de coûts n’est de mise que si devant l’impasse, la CHQ exige l’exécution du changement nonobstant l’absence d’accord sur le prix. Or, la Cour d’appel signale que les ODC à l’origine du retard ont entièrement été payés, mais surtout que ni le jugement de première instance ni les pièces versées au dossier ne font état d’une quelconque protestation de Tanaka à l’occasion de la détermination du prix de chacun des ODC par rapport aux coûts pouvant découler de la prolongation des délais d’exécution.
Faute de protestation, la Cour retient donc que les ODC ont entièrement compensé Tanaka pour les frais inhérents à la prolongation des délais d’exécution. Le volet du jugement condamnant la CHQ à payer ces frais sera donc renversé.