Introduction
En mars 2018, la Cour du Québec a déclaré coupable d’homicide involontaire coupable un employeur pour avoir enfreint des règles prévues au Code de sécurité pour les travaux de construction[1] (qui constitue un règlement découlant de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [2] (ci-après la « LSST »), dans le cadre de travaux d’excavation. [3] L’employé est décédé suivant l’effondrement des parois d’une tranchée dans laquelle il travaillait.
S’il est connu qu’un entrepreneur peut être reconnu coupable de négligence criminelle lorsqu’il fait défaut d’assurer la sécurité d’un travailleur, il s’agissait de la première condamnation pour homicide involontaire coupable au Québec en raison d’une contravention à la LSST.
Cette histoire est certainement venue rappeler la lourde responsabilité imposée aux différents intervenants de l’industrie de la construction en vertu de la LSST. Cette responsabilité vise plus particulièrement le maître d’œuvre sur un chantier de construction qui a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux[4] et qui est l’agent par excellence pour s’assurer de la réalisation de l’objet de la LSST[5].
À ce titre, la LSST impose au maître d’œuvre les mêmes obligations que celles d’un employeur[6]. En plus de ces obligations, des obligations additionnelles sont imposées au maître d’œuvre. Parmi celles-ci, il doit notamment transmettre un avis d’ouverture et de fermeture d’un chantier de construction[7]. Également, lorsque les circonstances l’exigent, il doit transmettre un programme de prévention avant le début des travaux[8], assurer la gestion de la circulation sur le chantier de construction[9] ou veiller à l’affectation d’un agent de sécurité[10].
Outre les conséquences criminelles qu’entraîne le non-respect des obligations imposées au maître d’œuvre par la LSST et ses règlements, la LSST prévoit l’imposition d’amendes lorsque des infractions sont commises[11]. De surcroît, une déclaration de culpabilité résultant d’une infraction à la LSST peut entraîner la suspension ou l’annulation de la licence d’entrepreneur[12].
Par conséquent, il est primordial de déterminer qui est le maître d’œuvre sur un chantier de construction afin qu’il puisse prendre les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité sur le chantier. Le plus souvent, on se pose la question de savoir qui, entre le donneur d’ouvrage et l’entrepreneur général, assume le rôle de maître d’œuvre sur un chantier de construction.
Cette détermination du maître d’œuvre nécessite, en premier lieu, d’identifier le chantier de construction (I. L’identification du chantier de construction). En effet, « l’identification du maître d’œuvre passe par l’identification du chantier de construction puisque la raison d’être du maître d’œuvre est d’y assumer l’exécution de l’ensemble des travaux. »[13] En deuxième lieu, il faut identifier le maître d’œuvre (II. L’identification du maître d’œuvre).
L’identification du maître d’œuvre s’effectue notamment par l’analyse de la documentation contractuelle entre le propriétaire et l’entrepreneur. En effet, la recherche de l’intention des parties est un élément essentiel dans l’analyse qu’effectuent les tribunaux. C’est d’ailleurs pourquoi les contrats utilisés dans l’industrie prévoient normalement des dispositions relatives à la prise en charge des obligations du maître d’œuvre (III. La prise en charge des obligations du maître d’œuvre en vertu d’un contrat).
I. L’identification du chantier de construction
La LSST définit un chantier de construction ainsi :
« Un lieu où s’effectuent des travaux de fondation, d’érection, d’entretien, de rénovation, de réparation, de modification ou de démolition de bâtiments ou d’ouvrages de génie civil exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d’œuvre, y compris les travaux préalables d’aménagement du sol, les autres travaux déterminés par règlement et les locaux mis par l’employeur à la disposition des travailleurs de la construction à des fins d’hébergement, d’alimentation ou de loisirs ».
Bien que cette définition semble simple en apparence, l’identification d’un chantier de construction peut s’avérer un exercice complexe lorsque l’analyse consiste à déterminer si une situation donnée correspond à un ou plusieurs chantiers de construction.
Les critères dégagés
Au fil du temps, les tribunaux ont établi trois critères principaux afin de faciliter la distinction entre un seul chantier de construction et plusieurs[14] :
- Les travaux concourent-ils à la réalisation d’un même ouvrage ?
- Les travaux sont-ils effectués dans des aires de travail localisées sur un même site ?
- Les travaux sont-ils effectués sans arrêt marqué dans le temps ?
En d’autres mots, lorsque les travaux sont exécutés avec l’objectif de réaliser une même œuvre, qu’ils sont effectués sur le même site et qu’ils sont réalisés sans temps d’arrêt marqué, il est probable que l’on soit en présence d’un seul chantier de construction. Cependant, la jurisprudence rappelle qu’il faut procéder à une analyse factuelle propre à chaque situation et qu’il faut faire preuve de souplesse dans l’application de ces critères en analysant l’ensemble de la preuve.[15]
La finalité de l’œuvre
Étant donné qu’il peut y avoir plusieurs chantiers sur un même site[16], il faut alors déterminer si ces travaux ont la même finalité, à savoir s’ils sont exécutés avec l’objectif de réaliser une même œuvre.
Cette notion de finalité de l’œuvre a incité les tribunaux à conclure, par exemple, que des travaux de démolition consistaient en un chantier distinct lorsque ceux-ci devaient être effectués sans que des travaux de reconstruction ne le soient nécessairement[17].
Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal a retenu que les travaux de démolition avaient une finalité qui leur était propre et qu’ils pouvaient être considérés indépendants des travaux de construction. En d’autres mots, le donneur d’ouvrage entendait procéder aux travaux de démolition indépendamment de la décision d’aller de l’avant avec les travaux de construction.
De plus, la construction d’un chemin de contournement et les travaux de remplacement d’un ponceau ont été considérés comme des chantiers distincts en raison de l’urgence de construire le chemin de contournement pour pallier à une mise hors service du ponceau existant.[18]
À l’opposé, le fait qu’un projet de construction soit effectué par phase ou par lot n’entraînera pas nécessairement la création de plusieurs chantiers. En effet, bien qu’il puisse y avoir des entrepreneurs différents qui exécutent chacun des phases ou des lots d’un projet, si ces phases ont la même finalité, on pourra alors conclure à un seul chantier.[19]
L’unicité de temps
La durée des travaux permet également de distinguer la présence d’un seul ou plusieurs chantiers. Le fait, par exemple, qu’il y ait un espacement dans le temps entre la démobilisation d’un entrepreneur et la mobilisation d’un autre pourrait militer en faveur de chantiers distincts, même si ces travaux ont été exécutés sur un même site.[20]
Au même effet, dans le cadre d’un projet de construction résidentiel, la construction d’une deuxième tour d’unités de copropriété assujettie à la prévente d’un certain nombre d’unités fut considérée comme un chantier de construction distinct, et ce, même si elle était pour être exécutée sur le même site que la première tour et que ces tours partageaient un garage commun. Le tribunal a alors notamment déterminé que la première tour et le garage pouvaient exister sans que la deuxième tour soit érigée. De plus, les deux tours n’étaient pas construites en même temps.[21]
Toutefois, dans un contexte similaire, il a été considéré qu’un projet de tour de condominiums prévoyant la construction de deux tours consistait en un seul chantier de construction étant donné, entre autres, que la conception du stationnement commun, qui abritait les fondations de la deuxième tour, n’avait pas une finalité propre en soi.[22]
En somme, l’exercice d’identification d’un chantier de construction peut s’avérer particulièrement délicat puisqu’il résulte de l’analyse des faits propres à chaque situation. L’identification du chantier de construction est cependant primordiale en raison de son influence sur l’identification du maître d’œuvre.
II. L’identification du maître d’œuvre
La LSST définit le maître d’œuvre comme étant « le propriétaire ou la personne qui, sur un chantier de construction, a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux »[23]. Cette définition laisse entendre qu’il ne peut y avoir qu’un seul maître d’œuvre sur un chantier de construction. En revanche, s’il y a plusieurs chantiers de construction, il faut identifier un maître d’œuvre pour chaque chantier. D’où l’importance d’identifier ce chantier de construction.
Les critères dégagés
Au fil du temps, des critères ont été identifiés par les tribunaux pour identifier le maître d’œuvre d’un chantier. Ceux-ci ont été résumés dans l’affaire Résidences du Manoir de la Vallée inc. et Entreprises Landco inc. :
- l’identification du maître d’œuvre doit se faire avant le début des travaux;
- l’identification du maître d’œuvre est faite à partir des documents contractuels, le cas échéant, lesquels sont étudiés dans l’optique de leur mise en application lors des travaux de construction;
- la qualification donnée aux intervenants par les documents contractuels n’est pas déterminante aux fins de l’identification du maître d’œuvre au sens de la LSST;
- le maître d’œuvre est soit le propriétaire, soit la personne qui, sur un chantier de construction, a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux;
- on doit d’abord rechercher s’il existe une personne qui a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux sur un chantier de construction. Cette personne peut être le propriétaire s’il assume la responsabilité de l’exécution des travaux;
- la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux s’entend de la prise en charge, de façon concrète et réelle, de l’ensemble des travaux sur les lieux mêmes où ils s’effectuent;
- la responsabilité de l’approbation, du contrôle ou de la surveillance des travaux à exécuter est une responsabilité distincte de celle de l’exécution de l’ensemble des travaux;
- à défaut de pouvoir identifier, sur un chantier, une personne qui a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux, ce sera alors le propriétaire qui sera maître d’œuvre. [24]
En fonction de ces critères, la Cour d’appel est venue circonscrire la notion de maître d’œuvre dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Hydro-Québec[25]. En analysant la définition de maître d’œuvre donnée dans la LSST et la jurisprudence, la Cour a dégagé quatre éléments :
- Identifier un chantier de construction;
- Déterminer tous les travaux qui doivent être exécutés sur ce chantier;
- Examiner le rapport juridique établi entre le propriétaire et l’entrepreneur afin de voir si la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux a été confiée à ce dernier;
- En l’absence d’un tel lien juridique, le propriétaire est le maître d’œuvre. [26]
Ces éléments établissent ainsi qu’en plus d’identifier le chantier de construction, il faut déterminer les travaux qui doivent être exécutés sur le chantier. Pour ce faire, il faut dresser le « portrait global du projet pour éviter de scinder les étapes successives de réalisation des travaux en autant d’ensembles avec des maîtres d’œuvres [sic] distincts ».[27]
Un des principaux outils pour identifier le maître d’œuvre réside dans la lecture des documents contractuels. L’étude de l’objet du contrat devrait permettre d’identifier l’intention véritable des parties.[28] Il est toutefois nécessaire d’observer le comportement des parties sur le chantier puisque les rapports entre le propriétaire et l’entrepreneur peuvent évoluer au fur et à mesure que le chantier progresse.[29] L’identification du maître d’œuvre implique donc une analyse en deux temps :
[105] L’identification du maître d’œuvre peut donc impliquer une analyse en deux temps. Dans une première étape, le tribunal doit se placer avant le début des travaux et à la lumière des documents contractuels identifier le maître d’œuvre. Dans un second temps, le tribunal doit également prendre en compte la réalité des faits survenus sur le chantier. [30]
L’autorité requise du maître d’œuvre
Le maître d’œuvre doit détenir l’autorité requise sur les divers intervenants d’un chantier pour assurer le respect des règles en matière de santé et de sécurité du travail. C’est d’ailleurs ce qu’en a conclu le juge Granosik dans l’affaire Groupe Hexagone c. Commission des lésions professionnelles, à la suite de l’analyse des dispositions de la LSST et de ses règlements :
[32] Ces dispositions démontrent clairement que la responsabilité ultime de la santé et de la sécurité sur un chantier de construction relève du maître d’œuvre, puisque c’est lui qui a le contrôle sur la gestion du chantier, peut en assurer la coordination, et en conséquence, peut garantir le respect des règles en matière de la santé et de la sécurité du travail. [31]
A contrario, on peut déduire que lorsque l’entrepreneur n’est pas en mesure d’assurer le contrôle sur la gestion du chantier de construction, il revient au propriétaire d’assumer le rôle de maître d’œuvre.
Lorsque le propriétaire attribue des contrats distincts de celui accordé à l’entrepreneur à d’autres, sans qu’il ne délègue à cet entrepreneur la responsabilité de l’exécution de ces travaux et sans qu’il ne lui donne une autorité sur les autres cocontractants, le propriétaire demeure le maître de l’ouvrage.[32]
Il n’est toutefois pas requis que l’entrepreneur général ait un lien contractuel avec tous les intervenants pour agir à titre de maître d’œuvre. Par exemple, lorsque des travaux de déplacement de divers équipements appartenant à des entreprises d’utilité publique sont prévus au contrat et qu’ils vont de concert avec la réalisation d’une même œuvre, l’entrepreneur général pourrait demeurer le maître d’œuvre bien qu’il n’ait aucun lien juridique avec ces entreprises.[33]
Au final, le maître d’œuvre doit être celui qui détient l’autorité requise sur l’ensemble des intervenants du chantier. En ce sens, le juge administratif René Napert dans l’affaire Constructions Gagné et Fils inc. et Syndicat québécois construction décrit bien l’analyse qui doit être effectuée pour déterminer le maître d’œuvre d’un chantier de construction :
[94] En d’autres termes, il s’agit pour les tribunaux de vérifier si l’entrepreneur général a les pouvoirs nécessaires pour faire respecter la planification des travaux ainsi que les obligations qui lui sont dévolues, de même que les consignes de sécurité sur le chantier. Il doit concrètement pouvoir exercer l’autorité qui lui est déléguée par le propriétaire.
[95] Dans l’éventualité où l’entrepreneur général n’a pas l’autorité et le contrôle suffisants sur un cocontractant effectuant des travaux sur le chantier, il faut alors conclure qu’il n’est pas en mesure de remplir ses obligations quant à la sécurité des personnes travaillant pour cet employeur.[34]
III. La prise en charge des obligations du maître d’œuvre en vertu d’un contrat
Il est possible de convenir par contrat qui assumera les obligations du maître d’œuvre. Ces stipulations contractuelles sont reconnues comme étant valides.
L’analyse qui suit présente un exposé de ce principe de validité et une étude des contrats prévoyant de telles clauses.
Le principe de validité des clauses établissant qui sera le maître d’œuvre
Comme la LSST est d’ordre public, la clause contractuelle établissant qui sera le maître d’œuvre ne vaudra cependant qu’entre les parties au contrat.
Ce principe de validité a été établi par le juge Alain dans Corporation d’hébergement du Québec c. Consortium MR Canada ltée[35]. Par les clauses incluses au contrat de construction d’un CLSC-CHSLD confié par la CHQ au Consortium MR, ce dernier s’engageait à agir à titre de maître d’œuvre sur le chantier.
La validité des clauses est ainsi expliquée :
[21] Cependant, le Tribunal est d’avis que CHQ qui agit à titre de « maître d’œuvre » peut sur le plan contractuel convenir qu’un individu ou une entreprise agira à titre de maître d’œuvre sur le chantier et assumera toutes les obligations du maître d’œuvre et même peut s’engager à prendre son fait et cause au cas où il y a contravention aux dispositions concernant la sécurité sur le chantier de construction. CHQ peut alors confier soit à l’intérieur d’un contrat de construction, de mandat, de louage de services ou autrement et convenir avec un individu ou une corporation qu’elle assumera toutes ses responsabilités. Cette convention est valide et peut également être à titre onéreux.
[22] Au plan contractuel et de la responsabilité civile, cette convention ne contrevient pas à l’article 2 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail puisque l’objet de la loi, soit : « l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs », est rempli.[36]
Le Consortium MR avait la responsabilité de ses propres travaux, de ceux de ses sous-traitants ainsi que celle des contracteurs indépendants engagés par la CHQ.
Plus précisément, le contrat stipulait ce qui suit (on note que le Consortium MR était le « fournisseur » au sens de ces clauses) :
[23] (…)
« La Corporation pourra adjuger le cas échéant à d’autres fournisseurs et par contrats distincts, certains travaux dont la liste apparaît aux conditions complémentaires et le fournisseur devra alors prévoir dans sa soumission, le coût des services afférents décrits aux alinéas suivants du présent article.
La Corporation se réserve en outre le droit d’adjuger des contrats distincts à d’autres fournisseurs relativement à des travaux connexes autres que ceux prévus aux conditions complémentaires. Les obligations du fournisseur sont les mêmes que celles décrites plus bas et le délai d’exécution des travaux est alors révisé et le prix augmenté d’un montant équivalent à 8 % du coût desdits contrats.
(…)
Le fournisseur doit coordonner ses travaux avec ceux des autres fournisseurs et assurer les raccordements prévus ou indiqués dans les documents d’appels d’offres.
(…)
Le fournisseur leur fournira l’assistance et les services qu’il fournit habituellement à ses propres sous-traitants et assumera auprès d’eux les obligations de maître d’œuvre telles que définies dans la Loi sur la santé et de la sécurité au travail. [sic] »
Le juge Alain est d’avis que le Consortium assumait contractuellement les obligations du maître d’œuvre et qu’il devait inclure dans le prix de sa soumission toutes les dépenses afférentes aux obligations réservées au maître d’œuvre.
La Cour d’appel a confirmé la décision du juge Alain[37]. Le principe selon lequel le maître d’œuvre d’un chantier de construction aux termes de la LSST peut convenir contractuellement qu’une personne assumera toutes ses obligations quant à la sécurité sur le chantier fait donc autorité.
Appliquant ce même principe, dans l’affaire Société immobilière du Québec et Syndicat québécois construction[38], la Commission des lésions professionnelles a donné raison à la SIQ et a déclaré que le gérant de construction Verreault était le maître d’œuvre du chantier de construction compte tenu des faits et des clauses contractuelles lui confiant cette responsabilité.
L’étude de clauses contractuelles
Dans l’industrie de la construction, les formulaires de contrat du CCDC (Comité canadien des documents de construction) sont considérés comme étant des normes reconnues dans l’industrie. Nous aborderons maintenant ce que les contrats CCDC ont prévu au sujet du maître d’œuvre.
Nous étudierons de plus ce que le ministère des Transports du Québec, dans son Cahier des charges et devis généraux[39], a prévu sur le même sujet.
Tel que mentionné précédemment, le CCDC est un comité national qui est responsable de l’élaboration, de la production et de la révision des documents normalisés de construction, tels des contrats, des formulaires et des guides. Les formulaires de contrat du CCDC sont largement utilisés au Canada dans l’industrie de la construction.
Les contrats du CCDC sous étude sont les suivants :
- Le contrat à forfait entre un donneur d’ouvrage et un entrepreneur général : CCDC 2 Contrat à forfait 2008;
- Le contrat à prix coûtant majoré entre un donneur d’ouvrage et un entrepreneur général : CCDC 3 2016;
- Le contrat de gérance entre un donneur d’ouvrage et un entrepreneur :
- CCDC 5A Contrat de gérance de construction – pour services 2010
- CCDC 5B Contrat de gérance de construction – pour services et construction 2010
- Le contrat de design-construction à forfait : CCDC 14 2013 (design-build)
Le contrat à forfait
L’article CG 9.4 du contrat à forfait stipule clairement que « l’entrepreneur est le seul responsable de la sécurité à l’emplacement de l’ouvrage, de même que de l’application ou de l’utilisation des règles, règlements et méthodes requis par la législation concernant la sécurité des travaux de construction; il doit, à cet égard, mettre en place et maintenir les précautions et programmes de sécurité appropriés se rapportant à l’exécution de l’ouvrage et exercer toute la surveillance qu’ils requièrent ».
Si le maître de l’ouvrage engage d’autres entrepreneurs en vertu de contrats distincts ou s’il embauche son propre personnel pour réaliser des travaux, il devient alors responsable de la santé et de la sécurité des travaux à l’emplacement de l’ouvrage, des installations temporaires et des accidents du travail en vertu de l’article CG 3.2.
Le contrat à prix coûtant majoré
L’article CG 9.4. stipule lui aussi clairement que l’entrepreneur est responsable de la santé et de la sécurité à l’emplacement de l’ouvrage.
Cependant, dans le cas du contrat à prix coûtant majoré, même si le maître de l’ouvrage engage d’autres entrepreneurs en vertu de contrats distincts ou embauche son propre personnel pour réaliser des travaux, l’entrepreneur doit « lorsque les documents contractuels le spécifient et que la législation le permet, assumer la responsabilité générale du respect des lois concernant la santé et la sécurité des travaux de construction à l’emplacement de l’ouvrage », en vertu de l’article CG 3.2.
Le contrat de gérance selon le modèle CCDC :
- CCDC 5A Contrat de gérance de construction – pour services 2010
Le contrat de gérance est celui où le maître de l’ouvrage confie à un gérant de construction les services de gérance du projet qui consistent essentiellement à assurer la coordination et la direction générale de l’exécution du projet. Le maître de l’ouvrage doit engager lui-même le professionnel qui sera responsable des services de conception et doit conclure les contrats avec les entrepreneurs spécialisés.
L’article CG. 3.1.2 stipule que « le maître de l’ouvrage est responsable de la santé et de la sécurité à l’emplacement du projet, conformément aux règles, règlements et méthodes requis par la législation concernant la santé et la sécurité des travaux de construction applicable [sic] ». Le gérant de construction doit quant à lui appliquer et superviser les programmes de santé et sécurité, si ces services lui sont confiés (Rubrique 2.8 de l’Annexe A1 du contrat).
Le formulaire du CCDC prévoit donc clairement que le maître de l’ouvrage assume les responsabilités du maître d’œuvre.
- CCDC 5B Contrat de gérance de construction – pour services et construction 2010
Si le gérant de construction se voit aussi confier les travaux de construction, le contrat CCDC 5B prévoit alors que le gérant de construction est seul responsable de la santé et de la sécurité, en vertu de l’article CG. 9.4 dudit contrat.
Comme pour le contrat à forfait, si le maître de l’ouvrage engage d’autres entrepreneurs en vertu de contrats distincts ou s’il embauche son propre personnel pour réaliser des travaux, il devient alors responsable de la santé et de la sécurité en vertu de l’article CG 3.2.
Autres contrats de gérance
Les parties sont libres d’utiliser leurs propres modèles de contrat. Un contrat de gérance de construction peut prévoir que le gérant de construction assume les responsabilités du maître d’œuvre.
Le fait d’être un gérant de construction, plutôt que d’être un entrepreneur général, ne fait pas obstacle à être qualifié de maître d’œuvre au sens de l’article 1 de la LSST[40]. En effet, la définition de maître d’œuvre prévue à la LSST ne prévoit pas que la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux doit nécessairement être dévolue à un entrepreneur général. Les tribunaux n’adhèrent donc pas à une interprétation restrictive de la notion de maître d’œuvre puisque la LSST ne réfère pas spécifiquement au statut d’entrepreneur général[41].
Le contrat de design-construction à forfait
Le contrat de design-construction est celui où le propriétaire confie à l’entrepreneur la conception et la construction de l’ouvrage. L’entrepreneur doit donc confier lui-même le contrat de conception aux professionnels. L’entrepreneur est désigné dans ce contrat sous le vocable de « design-constructeur ».
Le design-constructeur est seul responsable de la santé et de la sécurité, en vertu de l’article CG. 9.4 du contrat. Si le maître de l’ouvrage engage d’autres entrepreneurs en vertu de contrats distincts ou s’il embauche son propre personnel pour réaliser des travaux, il devient alors responsable de la santé et de la sécurité en vertu de l’article CG 3.2.
Le CCDG
Les entrepreneurs qui contractent avec le ministère des Transports du Québec se voient obligés de respecter les termes du Cahier des charges et devis généraux (ci-après « CCDG »).
L’article 7.4 du CCDG impose à l’entrepreneur d’appuyer les obligations du maître d’œuvre. En outre, l’article 7.4.1. du CCDG prévoit que l’entrepreneur s’engage à tenir indemne le ministère de toute réclamation ou infraction.
En somme, lorsque les modèles de contrat du CCDC sont utilisés, la responsabilité de la santé et de la sécurité des travaux sera différente selon le mode contractuel retenu. L’entrepreneur doit donc vérifier chaque fois s’il en est responsable afin d’ajuster le prix de sa soumission en conséquence. Le propriétaire, qui n’est pas nécessairement équipé pour s’occuper de la santé et de la sécurité, voudra s’assurer que l’entrepreneur assume ces obligations.
Les contrats du CCDC peuvent être modifiés par les parties. Celles-ci doivent le faire en utilisant le formulaire du CCDC appelé « Conditions supplémentaires ».
Lorsque le propriétaire désire confier des contrats à des entrepreneurs autres que l’entrepreneur général sur le même chantier, il peut convenir avec celui-ci d’une convention expresse et précise à l’effet que l’entrepreneur général demeure le maître d’œuvre malgré ces autres contrats. En parallèle, le propriétaire devrait convenir d’une convention dite « de subordination » avec les autres entrepreneurs, selon laquelle ces autres entrepreneurs acceptent d’être subordonnés à l’autorité de l’entrepreneur général en matière de santé et de sécurité.
Cette convention de subordination est prudente parce qu’elle permet au propriétaire de s’assurer que l’entrepreneur général soit le maître d’œuvre et en assume les obligations. Advenant un recours de nature pénale contre le propriétaire, celui-ci pourrait faire valoir qu’il n’est pas le maître d’œuvre.
Conclusion
Il ressort de notre analyse que les notions de maître d’œuvre et de chantier de construction sont étroitement liées. Il est nécessaire d’identifier préalablement le chantier de construction afin d’être en mesure de déterminer qui, sur ce chantier, agit à titre de maître d’œuvre.
L’identification du chantier de construction doit s’effectuer en fonction des critères suivants : 1) l’unicité de temps; 2) l’unicité de lieu; et 3) la finalité de l’œuvre. Toutefois, ces critères doivent être appliqués de façon souple, en fonction des faits propres à chaque situation.
Si un donneur d’ouvrage désire que l’entrepreneur avec lequel il contracte assume le rôle de maître d’œuvre, il est primordial qu’il lui donne les outils juridiques nécessaires afin d’assurer le respect des obligations qui en découlent.
En effet, le maître d’œuvre doit détenir l’autorité requise sur tous les intervenants d’un chantier. Il doit avoir la responsabilité de l’ensemble des travaux[42] et doit pouvoir exercer de manière concrète et réelle toutes les obligations qui lui sont dévolues. Les tribunaux accordent donc une grande importance à l’intention des parties, mais également à la réalité du chantier.
Les contrats prévoient généralement des clauses précisant qui assumera les obligations en matière de santé et de sécurité. Ces stipulations contractuelles sont reconnues comme étant valides par les tribunaux.
Par ailleurs, il y a lieu de noter qu’une entreprise de compétence fédérale ne peut être déclarée maître d’œuvre au sens de la LSST, et ce, indépendamment du fait que les travaux de construction soient exécutés au Québec, car ces entreprises ne sont pas soumises aux dispositions de la LSST.[43]
[1] Code de sécurité pour les travaux de construction, RLRQ c. S-2.1, r.4
[2] Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ c S-2.1
[3] R. c. Fournier, 2018 QCCQ 6747 (CanLII) (requête pour permission d’appeler déférée au banc qui entendra l’appel, C.A., 30-05-2018, 500-10-006693-186, 2018 QCCA 854 (CanLII))
[4] La LSST définit à l’article 1 le maître d’œuvre ainsi : « Le propriétaire ou la personne qui, sur un chantier de construction, a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux »
[5] Constructions Gagné et Fils inc. et Syndicat québécois construction, 2011 QCCLP 4514 (CanLII), par. 61 (révision rejetée, 29-10-2012, 2012 QCCLP 6891 (CanLII))
Note : L’objet de la LSST est défini à l’article 2: « La présente loi a pour objet l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs. Elle établit les mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations, ainsi que des employeurs et de leurs associations à la réalisation de cet objet »
[6] Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 2, art. 196
[7] Id., art. 197
[8] Id., art. 200
[9] Code de sécurité pour les travaux de construction, préc., note 1, art.2.4.4
[10] Id., art. 2.5.3
[11] Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 2, art. 236
[12] Loi sur le bâtiment, RLRQ c B-1.1, art. 70
[13] Commission scolaire de Laval et Entreprises Denpro inc., 2011 QCCLP 4435 (CanLII), par. 35
[14] C.S.S.T. c. Entreprises Jacques Meunier Inc. (T.T.,1984-05-24), SOQUIJ AZ-84147117; Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Electrolux Canada Corp. , 2010 QCCQ 1906 (CanLII)
[15] Hydro-Québec et AITPFSO, section locale 711 (CSN), 2008 QCCLP 6019 (CanLII)
[16] Petro-Canada et (262155) FTQ Conseil Conjoint, 2004 CanLII 74610 (QCCLP); J.E. Verreault & Fils ltée et Entreprises Toitpro inc., 2008 QCCLP 2837 (CanLII); Constructions Gagné & Fils inc. et Architectes Goulet Lebel (2012), 2015 QCCLP 753 (CanLII); Soc. Dév. Fonds Immobilier Québec et CPQMC International, 2015 QCCLP 2792 (CanLII)
[17] 9087-7689 Québec inc. et Tour Pro-Dev inc., 2013 QCCLP 5452 (CanLII); Commission scolaire du Fer et Construction LFG inc., 2017 QCTAT 2709 (CanLII)
[18] Québec (Ministère des Transports) et AITPFSO, section locale 711, 2014 QCCLP 5861 (CanLII)
[19] Commission scolaire des Affluents et Tanaka Construction Inc., 2000 CanLII 35343 (QC CLP); Hydro-Québec (gestion accident travail) et 9244-3175 Québec inc., 2012 QCCLP 4212 (CanLII)
[20] Commission scolaire du Fer et Construction LFG inc., préc., note 17; Québec (Ministère des Transports) et AITPFSO, section locale 711, préc., note 18
[21] Cité des Pionniers (phase 4) inc. et CPQMC international, 2014 QCCLP 1969 (CanLII)
[22] Condos Bella Vista du Nouveau Saint Laurent inc. et CPQMC International, 2015 QCCLP 259 (CanLII)
[23] Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 2, art.1
[24] Résidences du Manoir de la Vallée inc. et Entreprises Landco inc., 2009 QCCLP 1484 (CanLII), par. 20
[25] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Hydro-Québec, 2011 QCCA 1314 (CanLII)
[26] Id., par. 19
[27] Id., par. 22
[28] Id., par. 23
[29] Id., par. 24 et 25
[30] Division Louisbourg (Excavation) et Québec (Ministère des Transports), 2013 QCCLP 2907 (CanLII), par. 105
[31] Groupe Hexagone c. Commission des lésions professionnelles, 2015 QCCS 2793 (CanLII), par. 32
[32] Résidences du Manoir de la Vallée inc. et Entreprises Landco inc., 2009 QCCLP 1484 (CanLII); Québec (Transports) (Re), 2006 CanLII 69724 (QC CLP); CH Maisonneuve-Rosemont et CPQMC, 2008 QCCLP 3127 (CanLII); Québec (Ministère des Transports) et ASSS Côte-Nord, 2015 QCCLP 5117 (CanLII)
[33] Construction Polaris inc. et Québec (Ministère des Transports), 2016 QCTAT 4884 (CanLII)
[34] Constructions Gagné et Fils inc. et Syndicat québécois construction, préc., note 5, par. 94 et 95
[35] Corporation d’hébergement du Québec c. Consortium MR Canada ltée, 2006 QCCS 760 (appel rejeté, C.A., 25-09-2007, 200-09-005515-066, 2007 QCCA 1288 (CanLII))
[36] Id., par. 21-22
[37] Consortium MR Canada ltée c. Corporation d’hébergement du Québec, 2007 QCCA 1288, par. 8 :
[8] L’appelante ne fait pas voir d’erreur dans le jugement dont appel. Il n’est pas contraire à l’ordre public que les deux parties à un contrat s’entendent, pour valoir entre elles seulement, pour que l’une d’entre elles assume certaines obligations, par ailleurs prévues dans une loi d’ordre public, par exemple celles relatives au rôle du « maître d’œuvre » et, singulièrement, celle de fournir un ou plusieurs agents de sécurité. Même si les contrats liant les parties pouvaient être qualifiés de contrats d’adhésion, il n’y aurait pas lieu de mettre de côté une telle clause.
[38] Société immobilière du Québec et Syndicat québécois construction, 2011 QCCLP 7809 (CanLII)
[39] Ministère des Transports, Cahier des charges et devis généraux : « Le Cahier des charges et devis généraux contient les principales exigences relatives aux travaux de construction d’infrastructures routières exécutés par l’entreprise privée pour le compte du ministère des Transports. »
[40] Société immobilière du Québec et Syndicat québécois construction, 2011 QCCLP 7809 (CanLII)
[41] Id., par. 40 et s
[42] Roireau c. Raffinerie de sucre du Québec (C.S., 1983-07-04), SOQUIJ AZ-83149031, p. 9
[43] Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent et Construction Injection EDM inc., 2015 QCCLP 1479 (CanLII) (pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, 24-05-2016, 500-17-087742-154, 2016 QCCS 2579 (CanLII); requête pour permission d’appeler rejetée, C.A., 13-07-2016, 500-09-026171-165, 2016 QCCA 1175 (CanLII); demande d’autorisation d’appeler rejetée, C.S.C. 02-02-2017, 37239, 2017 CanLII 4190 (CSC))