Journal Constructo – 24 juin 2021
Introduction
La Loi sur les contrats des organismes publics [1] (« Loi ») a été adoptée dans le but d’encadrer les conditions applicables en matière de contrats publics qu’un organisme public peut conclure avec un contractant. Ces conditions ont été mises sur pied dans le but d’offrir à tous les concurrents qualifiés, la possibilité de participer à un appel d’offres lancé par un organisme public et dans le but de favoriser un traitement équitable.
Divers règlements encadrent le processus d’appel d’offres selon des domaines particuliers. À titre d’exemple, le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics [2] prévoit notamment, les éléments à être intégrés aux documents d’appel d’offres ainsi que les conditions d’admissibilité des concurrents. Il est possible pour un donneur d’ouvrage de restreindre le nombre de soumissionnaires admissibles à certains appels d’offres par exemple, en exigeant l’usage d’un produit particulier ou d’une marque spécifique, sous réserves de certaines conditions [3]. Des exigences trop limitatives et ayant pour effet d’éliminer la concurrence risquent toutefois d’être remises en question. Il s’agira alors de faire une analyse au cas par cas des motifs justifiant une telle exigence.
En vertu de l’article 10 de la Loi, tout organisme public doit recourir à la procédure d’appel d’offres public pour l’octroi de tout contrat d’approvisionnement, de services ou de travaux de construction comportant une dépense supérieure à 100 000 $.
Il sera toutefois possible pour un organisme public de conclure un contrat de gré à gré, conformément à l’article 13 de la Loi notamment, « 2° lorsqu’un seul contractant est possible en raison d’une garantie, d’un droit de propriété ou d’un droit exclusif, tel un droit d’auteur ou un droit fondé sur une licence exclusive ou un brevet, ou de la valeur artistique, patrimoniale ou muséologique du bien ou du service requis ».
Le 8 juin dernier, la Cour supérieure déclarait que le ministère des Transports du Québec ( « MTQ ») a agi illégalement, en omettant de procéder à un appel d’offres conformément à la Loi [4].
Les faits
CMC Électronique inc. (« CMC ») s’est adressée à la Cour supérieure afin que le contrat conclu de gré à gré, entre le MTQ et Viking Air Limited (« Viking »), soit annulé, le MTQ ayant fait défaut de respecter les dispositions de la Loi.
Le contrat conclu entre le MTQ et Viking visait à moderniser les équipements avioniques des avions-citernes CL-415. Ces avions-citernes servent à la lutte contre les feux de forêt au Québec, au Canada ainsi qu’ailleurs. En juin 2016, Viking faisait l’acquisition de tous les droits des avions amphibies de Bombardier, y incluant les droits de propriété intellectuelle liés à la conception des avions CL-415.
En décembre 2017, Viking approcha le Gouvernement du Québec afin de lui présenter un programme de modernisation des avions, devenus désuets. Un représentant du MTQ a alors été mandaté pour analyser la problématique, rédiger les documents d’appel d’offres et évaluer les différents modes d’acquisition. Dans le cadre leurs discussions, Viking informait le MTQ qu’elle était la seule propriétaire de l’information requise aux fins du projet, si bien qu’elle verrait à requérir la conclusion d’un contrat de licence entre elle et le gagnant de l’appel d’offres.
Le MTQ décida finalement d’accorder le contrat à Viking, lequel fut conclu de gré à gré, invoquant qu’elle détenait les droits de propriété intellectuelle et devenait, par le fait même, « la seule firme en mesure de concevoir la modernisation des équipements avioniques des avions-citernes de type CL-415 ».
La décision
Le contrat conclu entre Viking et le MTQ est assujetti aux dispositions de la Loi, s’agissant d’un contrat d’approvisionnement, de services ou de travaux de construction comportant une dépense supérieure à 100 000 $ [5].
Pour s’en soustraire, le MTQ devait démontrer que les conditions de l’article 13(2) étaient satisfaites, à savoir :
i) l’existence d’un droit de propriété ou d’un droit exclusif;
ii) qu’un seul contractant n’est possible en raison de ce droit de propriété ou de ce droit exclusif.
Il est entendu que les exceptions prévues à l’article 13 de la Loi, permettant à un organisme public de procéder de gré à gré, plutôt que par appel d’offres, doivent être interprétées restrictivement. La Cour est également d’avis que l’organisme public devra procéder à une vérification sérieuse de l’existence des conditions requises pour l’application de l’article.
L’Honorable Marie-Paule Gagnon, j.c.s., a ici conclu que l’existence d’un droit de propriété intellectuelle n’est pas suffisant. En effet, ce droit doit empêcher tout autre contractant d’effectuer le contrat. Or, le fait pour Viking de détenir les droits de propriété intellectuelle relatifs aux avions ne faisait pas d’elle la seule contractante possible et qualifiée pour le projet. Viking le confirmait, d’ailleurs, elle-même lorsqu’elle soulevait, au MTQ, la possibilité de conclure un contrat de licence avec le gagnant de l’appel d’offres.
Au surplus, le MTQ semblait n’avoir effectué aucune recherche dans le but de vérifier si les conditions de l’article 13 étaient réunies et satisfaites. Il n’était donc pas raisonnable de s’en remettre entièrement à Viking, hautement intéressée à obtenir le contrat, afin de déterminer qu’elle était la seule contractante possible en l’espèce.
Bref, la Cour confirme que le MTQ a agi illégalement et qu’il devait procéder par appel d’offres public. L’annulation du contrat de Viking n’a toutefois pas été ordonnée étant donné que la réalisation du contrat était bien avancée et qu’il aurait fallu procéder à des travaux afin de remettre l’avion dans son état initial.
Conclusion
En somme, les dérogations à la règle générale de procéder par appel d’offres public seront interprétées restrictivement et ce, conformément aux principes d’égalité des soumissionnaires, d’une saine concurrence et dans le meilleur intérêt public. Ainsi, afin que l’organisme public soit dispensé d’octroyer un contrat par voie d’appel d’offres public, il devra se prêter à une vérification rigoureuse et sérieuse en regard du respect des conditions énoncées à l’article 13 de la Loi.
Il est à noter noter qu’en date des présentes, il est toujours possible pour les parties de se pourvoir en appel de ce jugement.
Cet article est paru dans l’édition du 24 juin 2021 du journal Constructo.
[1] chapitre C-65.1
[2] chapitre C-65.1, r. 5
[3] Meclox inc. c. Société de transport de l’Outaouais, 2011 QCCS 2789
[4] CMC Électronique inc. c. La Procureure Générale du Québec, aux droits du Ministère des transports du Québec, C.S. Québec, no 200-17-030496-194, 8 juin 2021, j. Gagnon.
[5] Loi, art. 10.