Pénalités pour retards : attention aux obligations de l’entrepreneur

6 février 2024 | Jérôme Coderre

Une décision récemment rendue par la Cour d’appel du Québec[1] rappelle les obligations qui incombent à un entrepreneur qui signe un contrat assujetti à des clauses de pénalités pour retard.

Les faits

Le 6 mars 2011, la Ville de Pointe-Claire lance un appel d’offres d’une valeur de plus de 12,5 M$ pour le projet de réfection du collecteur St‑Jean. Les travaux comprennent l’augmentation de sa capacité, le remplacement des conduites (arrivées en fin de vie utile), l’installation d’un nouveau collecteur, la construction d’une station de pompage, la réalisation de travaux d’infrastructure et de pavage sur des artères avoisinantes ainsi que le raccordement du collecteur à un intercepteur de l’agglomération de la Ville de Montréal.

Les documents d’appel d’offres prévoyaient un échéancier de travaux serré, accompagné de pénalités de retard allant de 1 500 $ à 2 500 $ selon la phase du projet.

En novembre 2013, soit deux mois après la fin des travaux, les procédures judiciaires s’amorcent lorsque l’entrepreneur ABC signifie une demande introductive d’instance à la Ville réclamant le paiement de diverses sommes pour des travaux supplémentaires, des coûts additionnels de chantier et des pertes de production ainsi que pour la libération de la première retenue contractuelle encore détenue par la Ville.

La Ville, de son côté, réclame les coûts de travaux correctifs et les coûts pour l’affectation de personnel. En outre, elle réclame les pénalités pour retard; ce sur quoi se penchera cet article.

En première instance, le juge Bison de la Cour supérieure ordonne à ABC de payer à la Ville la somme de 712 500 $ en pénalités de retard, soit l’équivalent de 475 jours de retard.

Devant la Cour d’appel, ABC évoque quatre motifs de contestation de la décision :

  • L’exception d’inexécution;
  • L’absence de faute de sa part;
  • L’erreur du juge de première instance dans le calcul de la pénalité;
  • Le caractère abusif des pénalités de retard.

Analysons donc maintenant chacun de ces motifs.

L’exception d’inexécution

ABC plaide qu’elle a réalisé ses travaux en retard puisque la Ville a elle-même manqué à ses obligations en n’effectuant pas certains travaux d’électricité majeurs qu’elle se devait de réaliser.

ABC reproche également à la Ville de ne pas avoir conclu d’entente avec Hydro-Québec dans les meilleurs délais, ce qui lui aurait permis d’exécuter les travaux plus tôt.

Or, la Cour rejette cet argument, car ABC n’a pas réussi à démontrer que la Ville avait commis une faute.

L’absence de faute de la part d’ABC

ABC plaide également ne pas avoir commis de faute, si bien qu’elle ne peut se voir imposer de pénalités de retard.

La Cour rappelle à cet effet que le devoir de l’entrepreneur d’exécuter les travaux à l’intérieur du délai prévu dans le contrat constitue une obligation de résultat. Pour rappel, l’obligation de résultat est « celle pour la satisfaction de laquelle le débiteur est tenu de fournir au créancier un résultat précis et déterminé ».

Par conséquent, même si ABC n’avait commis aucune faute, cela n’aurait aucune incidence compte tenu de la nature de l’obligation. Pour éviter de se voir imposer la pénalité, ABC se devait plutôt de prouver que les retards subis étaient attribuables à des causes qui ne lui étaient pas imputables, à savoir notamment la faute de la Ville elle-même ou bien une situation de force majeure.

Puisque la pénalité s’imposait dès la simple constatation d’un retard et vu l’incapacité d’ABC de prouver la faute de la Ville ou la force majeure, le tribunal rejette l’argument.

L’erreur du juge de première instance dans le calcul de la pénalité

La Ville plaide également que le juge de première instance a commis une faute dans le calcul de la pénalité.

La Cour d’appel se prononce peu sur la question, rappelant simplement qu’ABC se devait de démontrer clairement qu’une erreur de calcul avait été commise dans la décision de première instance, ce qu’elle n’a pas réussi à faire, si bien que cet argument est également rejeté.

Le caractère abusif des pénalités de retard

Finalement, ABC plaide que le juge aurait dû appliquer l’article 1623 C.c.Q., afin de réduire le montant dû à titre de pénalité :

1623. Le créancier qui se prévaut de la clause pénale a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu’il a subi. Cependant, le montant de la peine stipulée peut être réduit si l’exécution partielle de l’obligation a profité au créancier ou si la clause est abusive.

L’argument d’ABC repose notamment sur le fait que les pénalités de retard ont été appliquées alors que les travaux étaient essentiellement terminés et que la Ville imposait cette pénalité alors qu’elle pouvait malgré tout se servir des installations.

La Cour d’appel rejette cet argument.

Conclusion

Cette décision rappelle une fois de plus le caractère intransigeant des clauses de pénalité de retard dans les contrats de construction. Bien souvent, la simple constatation d’un retard suffit pour permettre d’appliquer la pénalité, sans possibilité pour l’entrepreneur de la contester. Avec la multiplication récente de ce type de clause, il s’agit assurément là de quelque chose à surveiller!


[1] Ville de Pointe-Claire c. Asphalte Béton Carrières Rive-Nord inc., 2023 QCCA 1565

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