Introduction
Récemment, la Cour supérieure s’est prononcée sur le caractère abusif des clauses de pénalité pour retard contenues dans les documents d’appel d’offres dans le cadre de l’étude du bien?fondé de la réclamation de l’entrepreneur Groupe Civicam inc. (« Civicam ») lequel a exécuté des travaux de construction d’une conduite d’eau pour le compte de la Ville de Montréal (« Ville »)[1].
Bien que la validité de ces clauses ait été confirmée maintes fois par les tribunaux, l’utilisation de celles-ci n’est pas sans limites. En effet, dans le jugement opposant Civicam à la Ville, la Cour a déclaré abusive l’application de la clause pénale en alléguant notamment le principe de la bonne foi contractuelle.
Ce jugement aborde également un autre sujet intéressant, soit la nécessité de suivre la procédure d’autorisation formelle par une autorité compétente de la Ville pour l’exécution de travaux extracontractuels.
Faits
Civicam a obtenu un contrat s’élevant au prix de 2 499 007,57 $ suite à un appel d’offres de la Ville pour la réalisation de travaux de construction d’une conduite d’eau à Sainte-Anne-de-Bellevue.
Les documents contractuels prévoyaient la complétion des travaux de Civicam dans un délai de 80 jours. Or, ceux-ci se sont finalement achevés en 138 jours.
Alléguant que les conditions de réalisation des travaux furent différentes de ce qui était décrit dans les documents d’appel d’offres, Civicam réclame notamment le remboursement d’un montant de 15 527,35 $ pour les pénalités imposées par la Ville en lien avec les délais d’exécution et un montant de 19 809,28 $ pour l’exécution de certains travaux extracontractuels, soit la réfection de pavage[2].
Pour sa part, la Ville conteste le bien-fondé des réclamations de Civicam et estime avoir droit à une pénalité pour retard de 15 527,35 $, représentant 21 jours de retard qu’elle prétend être attribuables à Civicam.
Décision
a) Le remboursement de la pénalité pour retard (15 527,35 $)
Les clauses de pénalité pour retard sont fréquemment utilisées dans les contrats publics et permettent de quantifier, au préalable, le montant dû en cas de retard dans l’échéancier.
Pour soutenir ses prétentions quant au remboursement de la pénalité pour retard, Civicam allègue que le délai de 80 jours pour l’exécution du contrat était irréaliste, qu’aucun reproche n’a été adressé par la Ville quant à la qualité de ses travaux, qu’elle n’a jamais reçu d’avis quant à l’application de ladite pénalité pour retard et qu’une entente est intervenue entre les parties quant à la prolongation des délais du chantier.
La Cour débute son raisonnement quant au caractère abusif de la clause pénale en énonçant le principe selon lequel le bien-fondé de l’application d’une clause pénale s’étudie en fonction des circonstances propres à chaque dossier.
En l’espèce, la Cour ne se prononce pas sur le partage de responsabilité entre les parties quant aux retards dans l’échéancier des travaux. Toutefois, citant la Cour d’appel, la juge mentionne que lorsque des retards sont dus à des fautes partagées entre les cocontractants, la pénalité peut être divisée ou même, dans certains cas, abolie.
Vu les circonstances du dossier, la Cour tranche en faveur de Civicam en alléguant que l’application d’une clause pénale dans ce cas-ci irait à l’encontre du principe de la bonne foi qui doit gouverner la conduite des parties.
Afin de justifier son raisonnement, la Cour a pris en considération les facteurs suivants :
« La durée du contrat; la valeur du contrat versus le coût des pénalités; les forces économiques en présence; les discussions ayant porté sur les pénalités; et le retard à appliquer ou aviser des pénalités »[3].
Ces éléments peuvent être pertinents afin d’évaluer si l’application d’une clause pénale par un donneur d’ouvrage est abusive.
b) Les frais supplémentaires pour des travaux extracontractuels de réfection de pavage
Ensuite, la Cour aborde un autre volet intéressant de la réclamation de Civicam, soit la réclamation pour frais supplémentaires pour des travaux de réfection de pavage effectués hors contrat et demandés par un employé de la Ville.
La Ville refuse de payer la somme de 19 809,28 $ au motif que Civicam n’a pas obtenu l’autorisation de procéder à des travaux contingents par une autorité compétente.
En effet, Civicam n’a pas suivi la procédure prévue dans le cahier des clauses administratives générales pour faire approuver des travaux additionnels par la Ville.
La Cour conclut en faveur de la Ville à l’effet que celle-ci n’est pas liée par les décisions de son surveillant et qu’en « l’absence d’une résolution ou d’un règlement du conseil municipal ou encore d’une délégation de pouvoirs valide, il y a absence d’autorité d’un fonctionnaire municipal d’engager financièrement une municipalité ».
Conclusion
Les clauses de pénalités pour retard peuvent avoir un impact financier majeur pour tout entrepreneur. Dans l’affaire précitée, la Cour rappelle l’importance du principe de la bonne foi contractuelle dans l’application desdites clauses.
Au surplus, ce jugement démontre la nécessité pour tout entrepreneur de suivre la procédure formelle d’approbation prévue par les municipalités avant d’entamer des travaux extracontractuels additionnels, au risque de s’en voir refuser le paiement.
[1] Groupe Civicam inc. c. Ville de Montréal, 2022 QCCS 2717 (CanLII).
[2] Ibid., Par. 7.
[3] Groupe Civicam inc. c. Ville de Montréal, 2022 QCCS 2717 (CanLII), par. 95.
Cet article est paru dans l’édition du 17 novembre 2022 du journal Constructo.