Dans l’affaire Nahtac Constructions inc. c. Ville de Montréal[1], la Cour supérieure a eu à trancher la question à savoir si un entrepreneur pouvait réclamer les coûts supplémentaires associés à la réalisation de travaux en conditions hivernales rendus nécessaires en raison d’un retard du donneur d’ouvrage dans l’émission de l’ordre de commencer les travaux.
LES FAITS
Le 17 mars 2016, la Ville de Montréal (la « Ville ») publie un appel d’offres visant le remplacement des contreventements du pont Jacques-Bizard menant à L’Île-Bizard.
Le 11 avril 2016, Nahtac Constructions inc. (« Nahtac ») dépose une soumission d’un montant de 1 368 932,86 $. Au moment de l’ouverture des soumissions, Nahtac est la plus basse soumissionnaire avec une marge considérable par rapport au second et au troisième plus bas soumissionnaire. Cet écart s’explique en partie par la méthode de travail de Nahtac qui prévoit l’emploi d’une plateforme amovible suspendue sous le pont et d’une barge pour le déplacement entre les piles. Cependant, cette méthode, plus rapide et moins coûteuse, requiert que les travaux soient réalisés à l’été ou à l’automne, avant l’arrivée de l’hiver.
Bien que l’octroi du contrat ait été confirmé au mois de juin 2016, ce n’est que le 6 septembre 2016 que la Ville transmet l’autorisation de commencer les travaux. Nahtac dispose alors de 18 semaines pour réaliser les travaux de sorte qu’ils devront être terminés au plus tard le 27 janvier 2017.
Au mois d’octobre, à l’arrivée du temps froid, Nahtac envoie une lettre à la Ville demandant la suspension des travaux. Cette demande est refusée par la Ville. Lors de l’exécution des travaux, divers retards sont rencontrés par Nahtac en raison notamment de la présence de glace qui empêche l’utilisation de la barge si bien qu’au 27 janvier 2017, seulement 27 % des travaux prévus au contrat sont exécutés. La réception provisoire des travaux ne sera finalement prononcée que le 31 juillet 2017 soit plus de 6 mois après l’expiration du délai contractuel.
À l’issue des travaux, Nahtac réclame près de 1,8 M$ à la Ville en dommages-intérêts sous divers postes de réclamation. Entre autres, Nahtac réclame la libération des sommes retenues à la suite de l’application de pénalités pour retard, le coût de travaux additionnels occasionnés par l’état de la structure ou des imprévus et, principalement, compensation au motif de conditions d’exécution différentes de celles prévues à l’appel d’offres (compte tenu de la réalisation des travaux en conditions hivernales). Sur ce dernier point, Nahtac soutient avoir prévu d’exécuter les travaux au cours de l’été et du début de l’automne, alors que, dans les faits, la majorité des travaux a été réalisée en conditions hivernales.
En défense, la Ville invoque que rien n’indiquait que les travaux étaient à réaliser à une période en particulier et que, par conséquent, les conditions hivernales étaient à prévoir selon les modalités prévues à l’appel d’offres. Selon la Ville, Nahtac est victime de sa mauvaise lecture du contenu des documents contractuels. La Ville réclame d’ailleurs un peu moins de 50 000 $ pour les honoraires professionnels supplémentaires encourus en plus des pénalités déjà imposées.
LA DÉCISION
Afin de déterminer si les frais supplémentaires pour les conditions hivernales s’appliquent, le tribunal examine la prétention de Nahtac voulant qu’en indiquant : « L’entrepreneur doit prévoir recevoir l’ordre de commencer les travaux dans un délai minimum de trente (30) jours calendrier après la date d’ouverture des soumissions » dans le contrat, la Ville devait donner l’ordre de commencer les travaux dans les 30 jours suivant la date d’ouverture des soumissions. Contrairement à la lecture effectuée par Nahtac, le tribunal considère que cette disposition ne prévoyait pas un délai maximal, mais plutôt un délai minimal dans lequel l’entrepreneur devait être prêt.
Par ailleurs, le tribunal retient que les documents d’appel d’offres étaient suffisamment clairs eu égard à la possibilité que les travaux aient à être réalisés en conditions hivernales pour ainsi imposer à Nahtac l’obligation de se renseigner auprès de la Ville quant à cette possibilité. À ce titre, le tribunal rappelle que Nahtac devait faire les efforts nécessaires pour se procurer l’information générale pertinente à la période envisagée pour les travaux en posant la question directement à la Ville avant de présenter sa soumission. La Ville n’ayant reçu aucune question quant à la période des travaux lors de l’appel d’offres, le tribunal conclut qu’elle n’est pas responsable de la mauvaise interprétation des documents de soumission par Nahtac. La réclamation pour les coûts additionnels de Nahtac est donc rejetée.
Le tribunal rejette également les divers postes de réclamation pour les travaux additionnels que Nahtac prétend avoir réalisés en raison de l’état du pont et de sa structure, ainsi qu’en raison de la période hivernale, à l’exception des coûts associés à un changement de méthode de travail pour le percement de la dalle du pont. Selon la Cour, Nathac avait la responsabilité d’évaluer les difficultés associées aux conditions existantes du site de l’ouvrage et à s’informer sur la période de réalisation. Ces travaux sont inclus au prix forfaitaire présenté. Dans le cas du changement de méthode de percement, puisque les documents de soumission interdisaient le recours à une foreuse au diamant, Nahtac avait prévu utiliser un marteau rotatif. Toutefois, la présence de tiges d’acier d’armature dans la dalle a rendu impossible l’utilisation du marteau rotatif. Le tribunal accorde donc à Nahtac la différence entre le prix du forage rotatif et celui du forage au diamant, en plus des frais administratifs et des profits.
Quant à la libération des sommes retenues par la Ville en guise de pénalités pour retard, le tribunal détermine que la clause de pénalité n’est pas nécessairement abusive en soi, mais que la Ville s’est prévalue de la clause de manière abusive. Si la Ville a raison concernant le fait que la période des travaux n’était pas limitée à l’été et au début de l’automne, l’imposition de pénalités dans un contexte où la Ville profite déjà d’une économie importante sur le prix de soumission, en raison d’une mauvaise interprétation, revient à désavantager Nahtac d’une manière excessive et déraisonnable. Le tribunal considère également que la Ville, dans les circonstances, aurait pu accéder à la demande de Nahtac de suspendre les travaux pendant l’hiver. Le tribunal condamnera donc la Ville à rembourser à Nahtac le montant des pénalités appliquées.
Finalement, le tribunal rejette la réclamation de la Ville pour les honoraires professionnels additionnels en raison de son manque de précision. En effet, la Ville n’a pas départagé les honoraires associés au travail fait par les professionnels ayant un lien causal direct avec le retard de Nahtac de ceux devant malgré tout être encourus dans le cadre de l’échéancier original.
CONCLUSION
Il est facilement concevable que le décalage des travaux occasionnés par les retards dans la réception de l’ordre de commencer les travaux puisse avoir un impact considérable sur l’échéancier de réalisation et le coût des travaux. Cependant, cette décision met en lumière le fait qu’un entrepreneur ne pourra pas nécessairement réclamer des coûts additionnels pour ce motif. En fonction des modalités contractuelles, l’entrepreneur ne peut pas simplement présumer de la date de commencement des travaux ni de la période de réalisation. Il incombe donc à l’entrepreneur de bien lire les documents contractuels et, en cas de doute, de traiter les questions en temps opportun lors de l’appel d’offres. Après tout, il ne faut pas oublier l’obligation primaire de l’entrepreneur de bien se renseigner.
[1] Nahtac Constructions inc. c. Ville de Montréal, 2024 QCCS 574 (CanLII)