Les entreprises canadiennes doivent se préparer à des changements majeurs en matière d’écoblanchiment (ou de mascarade verte), à la suite de l’adoption, le 20 juin dernier, du projet de loi C-59[1] (PL C-59), qui modifie la Loi sur la concurrence (LC).
Ce que le PL C-59 change
Ces modifications législatives obligeront quiconque à étayer toutes affirmations environnementales rendues publiques. Cette réforme renforce également les pouvoirs du Bureau de la concurrence du Canada (BCC) pour encadrer, analyser et sanctionner les cas d’écoblanchiment, qui consistent pour certaines sociétés à dissimuler leurs activités polluantes sous un vernis écologiquement responsable. Pour les dirigeants et conseils d’administration d’entreprise, cela signifie une vigilance accrue afin d’éviter des conséquences juridiques et de préserver la confiance des consommateurs.
De plus, à partir du 20 juin 2025, ce projet de loi offrira la possibilité pour les parties privées d’avoir recours sur permission aux tribunaux de la concurrence pour les affaires de pratiques commerciales trompeuses impliquant l’écoblanchiment et met au rancard l’obligation d’avoir recours au BCC pour de telles procédures. Cette évolution répond à la demande croissante des consommateurs pour plus de transparence et de responsabilité de la part des entreprises face à l’incidences de leurs activités sur l’environnement.
Une étude récente du Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment souligne l’augmentation des litiges liés au « climate-washing », une forme d’écoblanchiment, soit le fait pour une compagnie de mentir sur ses progrès vers l’atteinte de cibles environnementales. En 2023, 47 affaires ont été signalées contre des entreprises et des gouvernements. Sur les 140 cas de « climate-washing » portés entre 2016 et 2023, 54 ont été remportés par les plaignants. Ces chiffres mettent en évidence la nécessité d’une conformité rigoureuse et d’une responsabilité authentique lorsqu’il s’agit d’allégations environnementales.
Deux nouvelles dispositions
Le PL C-59 introduit deux nouvelles dispositions concernant les pratiques commerciales trompeuses liées aux allégations de performance environnementale :
La première exige que l’entreprise soit en mesure de démontrer qu’une déclaration concernant les avantages d’un produit ou d’un service pour la protection ou la restauration de l’environnement ou pour l’atténuation des causes ou des effets environnementaux, sociaux et écologiques des changements climatiques est fondée sur une « épreuve suffisante et appropriée ».
Elle doit appuyer ses propos sur les avantages environnementaux de ses produits ou services par une analyse, une vérification ou un test visant à prouver le résultat ou l’effet allégué de ceux-ci. Quant au caractère « suffisant » ou « approprié » des épreuves effectuées, le Tribunal de la concurrence a établi qu’il dépendait de l’indication donnée, telle que comprise par une personne ordinaire.
Ce nouveau texte ne change pas réellement la donne pour les entreprises puisqu’elle reprend le libellé de l’alinéa 74.01(1)(b) qui existait avant les changements apportés par le PL C‑59 et visait déjà implicitement les attributs environnementaux ou climatiques d’un produit ou d’un service, sans toutefois les mentionner explicitement. Il renverse cependant le fardeau de preuve en ce qui a trait à ce type d’allégation en le faisant porter sur les épaules de l’entreprise déclarante.
La deuxième disposition est plus novatrice. Les entreprises devront être notamment en mesure d’établir que toute indication ou déclaration sur les avantages qu’apportent leurs activités pour l’atténuation des causes ou des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques est fondée sur « des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale », un nouveau concept qui n’a pas encore subit l’épreuve des tribunaux.
Nous pensons qu’une méthodologie internationalement reconnue devrait être fondée sur des preuves scientifiques largement reconnues, fondées sur des méthodologies solides comme celles élaborée conformément aux meilleures pratiques en matière de transparence, de consultation des parties prenantes, de la communauté scientifique, de l’industrie et de la société civile (telles que les nouvelles règles de divulgation proposées par le Conseil canadien des normes sur la durabilité). Cette méthodologie devra avoir fait l’objet d’un examen indépendant par des paires, des experts qualifiés dans le domaine et publiée dans la littérature scientifique internationalement reconnue (telles que les normes ISO ou les méthodes d’évaluation de l’impact environnementale PEF ou OEF développées par l’Union Européenne).
Une consultation publique sur les nouvelles dispositions encadrant l’écoblanchiment
Par ailleurs, le BCC a récemment lancé une consultation publique pour recueillir des commentaires sur ces nouvelles dispositions encadrant l’écoblanchiment et ainsi utiliser les résultats pour établir rapidement des directives sur leur interprétation. D’ici là, lors de la mise en marché de leurs produits ou services, les entreprises seront tenues de porter une attention particulière aux termes qu’elles emploieront, par exemple : « respectueux de l’environnement/de la nature, vert, écologique, bon pour l’environnement/le climat, à faible intensité carbone, biodégradable ou économe en énergie ».
En résumé, il serait impératif pour les entreprises de mettre en place un plan de transition vers une activité bas carbone réaliste doté d’objectifs mesurables et assortis d’échéances ainsi que d’autres éléments pertinents requis à l’appui de sa réalisation et qui ferait l’objet d’une vérification régulière par un tiers expert indépendant. De plus, la gouvernance de ce plan devrait être confiée au conseil d’administration ou à l’un de ses comités, et son application à la haute direction de l’entreprise. Désormais, les allégations environnementales doivent être considérées avec la même importance que celle donnée aux informations financières.
Le groupe Responsabilité sociale d’entreprises et marché du carbone est prêt à répondre à toute question relative à ces nouvelles règles régissant l’écoblanchiment. N’hésitez pas à communiquer avec l’un ou l’autre de ses responsables. Consultez notre bulletin MT Biosphère sur l’écoblanchiment.
[1] Articles 231 et ss de la Loi d’exécution de l’énoncé économique, automne 2023, en particulier le paragraphe 236(1) pour les changements aux alinéas 74.01(1)(b.1) et (b.2) de la LC concernant les pratiques commerciales trompeuses impliquant de l’écoblanchiment, en vigueur depuis le 20 juin 2024, et le paragraphe 254(1) pour l’élargissement de l’accès privé au Tribunal de la concurrence, qui entrera en vigueur le 20 juin 2025.