Introduction
Le budget fédéral de 2022 a été déposé à la Chambre des communes le 7 avril 2022 par l’honorable Chrystia Freeland, vice-première ministre et ministre des Finances du Canada. Dans son avant-propos, la vice-première ministre a commencé par adresser ses remerciements aux Canadiennes et aux Canadiens pour leur mobilisation visant à faire face à la pandémie de COVID-19 au cours des 25 derniers mois. Elle a également souligné les répercussions économiques et autres de la guerre en Ukraine et a abordé les défis des prix inabordables – en particulier dans le domaine du logement – auxquels de nombreux Canadiens doivent faire face aujourd’hui et a présenté une série de nouvelles mesures législatives et fiscales.
L’équipe de droit fiscal de Miller Thomson a passé en revue les mesures fiscales proposées dans le budget de 2022. Dans cette analyse, nous avons souligné et abordé certaines mesures importantes pertinentes pour nos secteurs de pratique et pour notre clientèle dans tout Canada. Nous continuerons à suivre l’évolution de certaines mesures et, comme toujours, nous serons heureux de recevoir vos questions, commentaires et points de vue.
Mesures visant l’impôt sur le revenu des particuliers
Règles relatives à la revente précipitée de propriétés résidentielles
Le budget de 2022 propose une nouvelle règle de présomption dans le but de contrer l’incidence de la revente précipitée de propriétés sur les prix de l’immobilier. Les nouvelles règles proposées visent à répondre aux préoccupations selon lesquelles des particuliers s’adonnent à la « revente précipitée » des immeubles résidentiels en peu de temps et profitent du traitement fiscal des gains en capital lors de la vente de la propriété, ou réclament la déduction pour résidence principale, alors qu’une imposition complète sur les bénéfices devrait s’appliquer.
Selon les règles proposées, les bénéfices tirés de la vente d’un immeuble résidentiel détenu depuis moins de 12 mois (y compris les immeubles locatifs) seront considérés comme un revenu d’entreprise et ne pourront donc pas bénéficier du traitement fiscal des gains en capital ni de l’exonération pour résidence principale. Des exonérations sont prévues pour certains événements de la vie comme le décès, l’invalidité, la séparation, l’insolvabilité, l’arrivée d’un nouveau venu dans le ménage, la sécurité personnelle ou des dispositions involontaires.
Les nouvelles règles entreront en vigueur le 1er janvier 2023.
Nouvelles exigences de déclaration annuelle pour les REER et les FERR
Les institutions financières doivent déclarer chaque année les versements et les contributions effectués dans le cadre d’un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) et d’un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR).
Le budget de 2022 propose d’augmenter l’exigence de déclaration pour inclure la juste valeur marchande totale des biens détenus dans un REER ou un FERR à la fin de l’année civile. Cette exigence de déclaration concorde avec les exigences de déclaration semblables auxquelles les institutions financières sont assujetties pour les comptes d’épargne libre d’impôt.
Mesures visant l’impôt sur le revenu des sociétés
Dividende pour la relance du Canada et imposition d’une taxe supplémentaire aux banques et aux assureurs-vie
Le budget de 2022 introduit un dividende temporaire pour la relance du Canada imposé aux groupes de banques et d’assureurs-vie. Ces mesures visent à faire en sorte que les grandes institutions financières contribuent à soutenir la relance du Canada après la pandémie de COVID-19.
Le dividende pour la relance du Canada consiste en un impôt ponctuel de 15 % qui sera imposé sur le revenu imposable pour les années d’imposition se terminant en 2021 (au prorata pour toute année d’imposition abrégée) à payer en versements annuels égaux sur cinq ans à compter de l’année d’imposition 2022. Les groupes de banques et d’assureurs-vie (composés d’une banque ou d’un assureur-vie et de toute autre institution financière liée) seraient autorisés à répartir une exonération de revenu imposable de 1 milliard de dollars entre les membres du groupe.
Le budget de 2022 introduit également un impôt supplémentaire de 1,5 % sur le revenu imposable des groupes de banques et d’assureurs-vie (composés d’une banque ou d’un assureur-vie et de toute autre institution financière liée). Cet impôt supplémentaire s’appliquerait aux années d’imposition se terminant après le jour du dépôt du budget (au prorata pour toute année d’imposition qui comprend le jour du dépôt du budget). Les groupes de banques et d’assureurs-vie seraient autorisés à accorder une exonération du revenu imposable de 100 millions de dollars entre les membres du groupe.
Actions accréditives pour les activités pétrolières, gazières et du charbon
Dans le cadre de l’abandon par le gouvernement fédéral des subventions accordées aux activités du secteur des combustibles fossiles, le budget de 2022 propose d’éliminer les régimes d’actions accréditives pour les activités du secteur des combustibles fossiles. En général, les actions accréditives permettent aux émetteurs de transférer certaines dépenses d’exploration aux détenteurs d’actions (ou d’y « renoncer ») jusqu’à concurrence du montant investi.
En ce qui concerne les conventions d’émission d’actions accréditives conclues après le 31 mars 2023, les dépenses d’exploration et d’aménagement du pétrole, du gaz et du charbon ne pourront plus faire l’objet d’une renonciation au profit des détenteurs d’actions accréditives.
Déduction accordée aux petites entreprises
Certaines sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC) bénéficient d’un taux d’imposition fédéral réduit applicable au revenu provenant d’une entreprise exploitée activement admissible, soit 9 % par opposition au taux de 15 % généralement applicable. Ce taux pour les petites entreprises s’applique à un revenu allant jusqu’à 500 000 $ par année d’imposition (le « plafond des affaires pour petites entreprises »). Le plafond des affaires pour petites entreprises est réduit selon la méthode linéaire lorsque : i) le capital imposable utilisé au Canada par la SPCC concernée, ainsi que celui des sociétés associées, se situe entre 10 et 15 millions de dollars; ou ii) le « revenu de placement total rajusté » de la SPCC, ainsi que celui des sociétés associées, se situe entre 50 000 et 150 000 dollars. Le plafond pour les petites entreprises correspond au moins élevé des deux montants établis par les réductions mentionnées ci-dessus.
Le budget de 2022 propose de faire passer le plafond supérieur de la fourchette du montant de capital imposable utilisé au Canada de 15 millions à 50 millions de dollars. Lorsque le montant du capital imposable utilisé au Canada est le critère applicable, l’effet de ce changement sera une réduction plus progressive du plafond des affaires d’une SPCC une fois que le seuil de 10 millions de dollars sera dépassé, réduisant ainsi complètement le plafond des affaires pour petites entreprises à 50 millions de dollars au lieu des 15 millions de dollars actuels. Compte tenu des nombreuses réductions des avantages associés aux SPCC, l’augmentation du plafond supérieur du capital imposable utilisé devrait être un changement appréciable des règles et devrait s’inscrire dans l’évolution du point de vue sur la portée et la signification d’une petite entreprise.
Application de la règle générale anti-évitement aux attributs fiscaux
Le budget de 2022 propose d’étendre l’application de la règle générale anti-évitement (RGAE) de l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi de l’impôt ») afin d’inclure les attributs fiscaux comme avantages fiscaux potentiellement assujettis à l’application de la RGAE.
Les modifications proposées à la RGAE découlent de la décision rendue en 2018 par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire 1245989 Alberta Ltd. c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 114 (« Wild »). Dans l’affaire Wild, le contribuable avait mis en œuvre une réorganisation d’entreprise qui a entraîné une augmentation du capital versé au titre des actions détenues par le contribuable dans sa société de portefeuille. En règle générale, le capital versé peut être restitué au contribuable en franchise d’impôt et constitue donc un attribut fiscal précieux. Le ministre a établi une nouvelle cotisation pour le contribuable en vertu de la RGAE afin de diminuer le capital versé au titre des actions. L’appel du contribuable concernant la nouvelle cotisation a été rejeté par la Cour canadienne de l’impôt, mais la Cour d’appel fédérale l’a accueilli en infirmant la décision de la Cour canadienne de l’impôt. La Cour d’appel fédérale a jugé que, bien que la réorganisation ait modifié les attributs fiscaux des actions, créant ainsi la possibilité d’une distribution en franchise d’impôt, ce potentiel n’avait pas encore été réalisé et qu’il n’y avait pas eu, à ce jour, mauvaise utilisation ou abus relativement à la Loi de l’impôt. Même si le capital versé au titre des actions a été augmenté, l’augmentation en soi, sans distribution en franchise d’impôt, ne constituait pas un avantage fiscal aux fins de la RGAE.
En réponse à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Wild, le budget de 2022 propose de modifier la définition d’« avantage fiscal » à l’article 245 de la Loi de l’impôt afin d’y ajouter une réduction, une augmentation ou la préservation d’un montant susceptible d’être pertinent aux fins du calcul d’un avantage fiscal dans le futur ou susceptible d’entraîner un avantage fiscal dans le futur. La définition de « conséquences fiscales » sera également modifiée pour comprendre tout montant qui est, ou pourrait être à un moment ultérieur, pertinent aux fins du calcul du revenu ou de l’impôt en vertu de la Loi de l’impôt. Le budget de 2022 propose également d’élargir la portée des dispositions relatives à l’avis de détermination prévues dans au paragraphe 152(1.11) de la Loi de l’impôt pour permettre au ministre de déterminer tout montant susceptible d’être, à un moment ultérieur, pertinent aux fins du calcul du revenu ou de l’impôt à payer.
Dans l’affaire Wild, La Cour d’appel fédérale a noté que son jugement était sans préjudice de la possibilité du ministre de réévaluer les contribuables à l’avenir, lorsque les avantages fiscaux auront été effectivement réalisés. Le gouvernement fédéral présente donc les modifications non pas comme des changements aux règles en soi, mais comme des mesures qui augmenteront la certitude pour les contribuables qui ne seront pas dans l’obligation d’attendre plusieurs autres années pour confirmer les conséquences fiscales d’une transaction. Toutefois, du point de vue du contribuable, les changements peuvent entraîner une évaluation fiscale défavorable avant qu’un avantage fiscal n’ait été réalisé et sans que le contribuable n’ait reçu d’avantages financiers ou économiques à l’égard desquels des impôts supplémentaires sont exigibles. Les transactions contestées doivent seulement « paver la voie » pour un possible avantage fiscal futur.
Les changements proposés s’appliqueront aux avis de détermination émis à compter du 7 avril 2022.
Le budget de 2022 prévoit également que le gouvernement fédéral a l’intention de publier « dans un proche avenir » un document de consultation sur la modernisation de la RGAE, qui comportera une période de consultations menées tout au long de l’été 2022 et le dépôt des propositions législatives visées d’ici la fin de 2022.
Véritables transferts d’actions intergénérationnels
La lutte contre la pratique du « dépouillement de surplus » — dans le cadre de laquelle les contribuables convertissent des dividendes imposables en gains en capital moins imposés — se poursuit. L’été dernier, le projet de loi C-208 émanant d’un député a reçu la sanction royale. Ce projet de loi prévoyait une exception à la règle historique du dépouillement de surplus afin de faciliter les transferts intergénérationnels d’entreprises. Depuis son annonce, le ministère des Finances s’est dit préoccupé par le fait que le projet de loi pourrait involontairement permettre le dépouillement de surplus sans exiger qu’un véritable transfert intergénérationnel d’entreprise ait lieu.
La modification fondamentale visée par le projet de loi C-208 est que celle-ci ne s’applique qu’aux situations impliquant une « action admissible de petite entreprise » ou une « action du capital-actions d’une société agricole familiale ou d’une société de pêche familiale ». Ce projet de loi visait à corriger les iniquités de la Loi de l’impôt qui s’appliquent aux transferts intergénérationnels de sociétés exploitant une petite entreprise, de sociétés agricoles familiales et de sociétés de pêche familiales et qui favorisaient un acheteur non lié par rapport à un acquéreur faisant partie de la famille.
Dans le budget de 2022, le gouvernement a annoncé la tenue d’un processus de consultation qui prendra fin le 17 juin pour permettre aux Canadiens de transmettre leur point de vue sur la façon dont les règles actuelles pourraient être modifiées afin de protéger l’intégrité du système fiscal tout en continuant de faciliter les véritables transferts intergénérationnels d’entreprises. Le gouvernement fédéral a annoncé son intention de présenter une loi, si nécessaire, qui pourrait être intégrée dans un projet de loi déposé cet automne après la conclusion du processus de consultation.
Sociétés privées sous contrôle canadien en substance
Le budget de 2022 vient confirmer l’objectif général de neutralité fiscale pour les particuliers qui gagnent un revenu directement plutôt qu’indirectement par l’entremise d’une société. À l’heure actuelle, les revenus de placement passifs et les gains en capital gagnés dans une société privée sont assujettis à certains régimes d’impôts remboursables en vertu de la Loi de l’impôt. Ces régimes visent généralement à assujettir les sociétés privées au même niveau d’imposition sur ces revenus avant leur distribution aux actionnaires.
Le budget propose des modifications aux opérations cibles dans le cadre desquelles une société privée cesserait d’être une SPCC (tout en demeurant résidente au Canada) et, par conséquent, ne serait pas assujettie à l’impôt remboursable sur certains types de revenus de placement et de gains en capital. Plus particulièrement, le budget introduit le nouveau concept de « SPCC en substance » : il s’agit, en règle générale de sociétés privées résidant au Canada et qui ne sont pas par ailleurs des SPCC, mais qui sont ultimement contrôlées en droit ou en fait par un ou plusieurs particuliers résidant au Canada. Les nouvelles règles comprennent une définition élargie du contrôle, selon lequel une société serait considérée comme étant contrôlée par des particuliers résidant au Canada si ces particuliers possèdent, directement ou indirectement, cumulativement suffisamment d’actions pour contrôler la société. Une société qui est une SPCC en substance serait généralement assujettie aux mêmes impôts remboursables sur l’ensemble de son revenu de placement et de ses gains en capital que si elle était une SPCC, bien que la société continuerait d’être traitée comme une non-SPCC à toutes les autres fins de la Loi de l’impôt. Le concept de SPCC en substance sera étayé par une règle anti-évitement spécifique visant les efforts pour éviter le nouveau régime de SPCC en substance, ainsi que par des mesures visant à soutenir l’administration des nouvelles règles.
Les changements susmentionnés relatifs aux SPCC en substance s’appliquent généralement aux années d’imposition qui se terminent le jour du dépôt du budget ou après cette date (avec une exception limitée dans certaines circonstances impliquant une opération conclue avant le jour du dépôt du budget).
Le budget de 2022 propose également d’apporter des modifications ciblées à la Loi de l’impôt relativement aux revenus de placement passifs gagnés par les SPCC et leurs investisseurs individuels par l’entremise de sociétés non résidentes qui sont des sociétés étrangères affiliées contrôlées en vertu de la Loi de l’impôt. Ces modifications visent à éliminer un avantage de report dont bénéficient les SPCC et leurs actionnaires particuliers qui gagnent des revenus de cette manière, et à assurer une meilleure intégration générale. Cet objectif serait atteint grâce à un certain nombre de mesures, notamment l’application du même facteur fiscal pertinent aux particuliers, aux SPCC et aux SPCC en substance dans le calcul de leurs déductions disponibles du revenu étranger accumulé, tiré de biens (REATB); la limitation de certains montants qui peuvent être ajoutés au solde du compte de revenu à taux général d’une SPCC; et l’inclusion de certains montants dans les comptes de dividendes en capital des SPCC (et des SPCC en substance).
Ces mesures relatives au revenu de placement gagné par des sociétés étrangères affiliées contrôlées s’appliqueraient aux années d’imposition commençant à compter du jour du dépôt du budget.
Mesures visant la fiscalité internationale
Réforme fiscale internationale
Dans le Cadre inclusif de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, en octobre 2021, le Canada et 136 autres pays membres ont convenu d’un plan pour la réforme fiscale internationale reposant sur deux piliers (la « Déclaration d’octobre »). Le budget de 2022 résume le contexte de ce plan et décrit les prochaines étapes que devra suivre le Canada pour faciliter la mise en œuvre du premier et du deuxième pilier.
Pilier 1
Le Pilier 1 vise la réaffectation des droits d’imposition afin d’assurer que les bénéfices des entreprises multinationales (EMN) les plus importantes (dont le chiffre d’affaires annuel mondial est supérieur à 20 milliards d’euros) soient assujettis à l’impôt dans les juridictions où se trouvent leurs utilisateurs et leurs clients. En vertu des règles actuelles, un pays n’est généralement autorisé à assujettir à l’impôt que les bénéfices d’une EMN étrangère qui sont associés à une filiale ou à un « établissement stable » dans ce pays. Il est reconnu dans la Déclaration d’octobre que les règles actuelles sont désuètes et qu’elles n’ont pas été conçues pour répondre à une économie qui devient de plus en plus numérique.
À quelques exceptions près, le Pilier 1 prévoit un cadre de répartition qui s’appliquerait aux EMN dont le chiffre d’affaires mondial est supérieur à 20 milliards d’euros et dont la marge bénéficiaire est supérieure à 10 %. Selon ce cadre, 25 % des bénéfices résiduels (c’est-à-dire les bénéfices supérieurs à 10 % du revenu) seraient affectés aux pays de marché au moyen d’une clé de répartition fondée sur le revenu.
Le gouvernement fédéral poursuit le travail auprès de ses partenaires internationaux pour développer le cadre et la formule de répartition appropriée, et a l’intention d’introduire la législation de mise en œuvre une fois que les modalités auront été mutuellement acceptées.
Si la convention multilatérale mettant en œuvre le Pilier 1 n’entre pas en vigueur d’ici le 1er janvier 2024, le Canada a l’intention d’imposer sa propre taxe sur les services numériques (TSN). Des avant-projets de loi pour une taxe sur les services numériques ont été publiés en décembre 2021 et le gouvernement fédéral examine actuellement les commentaires reçus lors des consultations publiques.
Pilier 2
Le Pilier 2 définit un cadre applicable aux grandes entreprises multinationales (dont le chiffre d’affaires annuel s’élève à au moins 750 millions d’euros) afin d’assurer que leurs bénéfices soient assujettis à un taux effectif d’imposition (TEI) minimum de 15 % dans chaque juridiction où elles exercent leurs activités. En règle générale, une grande entreprise multinationale est tenue de calculer le TEI sur ses bénéfices dans chaque juridiction dans laquelle elle exerce ses activités et si le TEI d’une juridiction donnée est inférieur à 15 %, l’entreprise multinationale sera assujettie à un « impôt supplémentaire » qui portera le TEI sur ses bénéfices dans cette juridiction au taux minimum de 15 %.
Afin de faciliter la mise en œuvre coordonnée et d’assurer l’uniformité, le Cadre inclusif a approuvé un modèle de règles détaillées (les « Règles types »), publié le 20 décembre 2021, ainsi qu’un commentaire prévoyant des directives sur leur interprétation et leur fonctionnement, publié le 14 mars 2022.
Dans le budget de 2022, le gouvernement a annoncé le démarrage de consultations publiques sur la mise en œuvre au Canada des Règles types et d’un impôt supplémentaire minimum national.
Partage de renseignements fiscaux sur les vendeurs en ligne de l’économie numérique
Les opérateurs de plateformes numériques sont devenus la norme dans l’économie numérique. La pandémie a entraîné une augmentation des achats en ligne de biens et de services ce qui a entraîné une croissance sans précédent de l’économie numérique. Toutefois, les vendeurs en ligne ne sont pas tous au courant des obligations fiscales attribuables à leurs activités en ligne; ces activités peuvent également être largement invisibles pour les autorités fiscales comme l’Agence du revenu du Canada (ARC), ce qui rend difficile la détection de toute situation de non-respect des lois fiscales nationales.
L’OCDE a élaboré des règles types de déclaration par les opérateurs de plateformes numériques concernant les vendeurs en ligne. Ce cadre prévoit le partage de renseignements entre les administrations fiscales pour faciliter le respect des obligations fiscales.
Selon les règles types de l’OCDE, une plateforme en ligne communiquerait les renseignements à une juridiction et cette dernière partagerait ensuite les renseignements avec les autorités fiscales concernées en fonction de la résidence de chaque vendeur ayant gagné des revenus au moyen de la plateforme et selon l’emplacement des biens immobiliers loués au moyen de la plateforme. Pour consulter les règles types, visitez le site de l’OCDE à l’adresse suivante : https://www.oecd.org/fr/ctp/echange-de-renseignements-fiscaux/regles-types-de-declaration-a-l-intention-des-vendeurs-relevant-de-l-economie-du-partage-et-de-l-economie-a-la-demande.htm.
Le budget de 2022 propose d’assurer l’application des règles types dans les lois canadiennes.
Les entités résidant au Canada qui exploitent une plateforme numérique et qui exercent les activités suivantes seraient assujetties à une obligation de déclaration portant sur les points suivants :
- la conclusion de contrats directement ou indirectement avec les vendeurs afin de mettre à la disposition des vendeurs le logiciel qui gère une plateforme pour être connecté à d’autres utilisateurs; ou
- la perception d’une compensation pour les activités pertinentes facilitées par la plateforme.
Les mesures de déclaration s’appliquent également aux opérateurs de plateforme qui ne résident pas au Canada ni dans une juridiction partenaire.[1], mais qui facilitent des activités (décrites en détail ci-dessous), telles que des ventes par des vendeurs qui résident au Canada ou relativement à la location de biens immobiliers situés au Canada. Par exemple, des propriétés répertoriées sur Airbnb situées dans le comté de Prince Edward, mais qui appartiennent à un vendeur en Chine, seraient toujours assujetties aux exigences de déclaration.
Voici quelques exemples de services concernés :
- les services personnels (c’est-à-dire les services comportant un travail, en temps ou en tâches, accompli par une ou plusieurs personnes à la demande d’un utilisateur, par exemple les services de transport et de livraison, le travail manuel, etc.);
- la location de biens immobiliers (bien résidentiel ou commercial, emplacements de stationnement);
- la location de moyens de transport.
Un vendeur soumis à déclaration serait un utilisateur actif inscrit sur une plateforme pour fournir les services concernés ou vendre des biens. Les opérateurs de plateforme soumis à déclaration doivent mettre en application des mesures de diligence raisonnable pour identifier les vendeurs soumis à déclaration et leur juridiction de résidence.
Un opérateur de plateforme soumis à déclaration pourra s’appuyer sur les procédures de diligence raisonnable d’une année précédente, à condition d’avoir vérifié l’adresse du vendeur au cours des 36 derniers mois et de ne pas avoir de raison de mettre en doute ses renseignements antérieurs. Selon les règles de l’OCDE, l’ARC partagerait automatiquement (envoi et réception) avec les juridictions partenaires les renseignements reçus des opérateurs de plateforme canadiens sur les vendeurs résidant dans la juridiction partenaire et sur les biens locatifs situés dans la juridiction partenaire.
Les partages de renseignements se feront dans le cadre des dispositions relatives au partage de renseignements contenues dans les conventions fiscales, qui prévoient d’importantes garanties pour protéger la confidentialité des contribuables et assurer que les renseignements partagés ne soient pas utilisés de manière incorrecte.
Les mesures de déclaration s’appliqueraient aux années civiles commençant après 2023. Le partage de renseignements aura lieu au début de 2025 pour l’année civile 2024.
L’ARC a déjà annoncé publiquement son intention de poursuivre les influenceurs numériques qui engrangent des revenus en offrant des promotions en ligne pour des plateformes telles que YouTube et TikTok. Il est naturel et attendu que les prochaines étapes consistent à poursuivre des fournisseurs tels que Etsy (pour les biens) ou Airbnb (pour les immeubles locatifs). L’économie numérique fait partie de la scène mondiale, de sorte que le partage de renseignements avec les juridictions partenaires est une façon logique de chercher à surveiller et à faire respecter les lois fiscales nationales du Canada. Il faut voir maintenant avec quelle fluidité la collecte et le partage des données se feront et de quelle manière ce processus évoluera.
Coupons d’intérêts détachés
Le budget de 2022 propose de nouvelles règles visant les mécanismes de coupons d’intérêts détachés qui tentent de contourner la retenue d’impôt au Canada sur les intérêts payés par un débiteur résident du Canada à un non-résident en vertu de l’alinéa 212(1)b) de la Loi de l’impôt.
Un mécanisme de coupons d’intérêts détachés désigne un mécanisme par lequel un prêteur non-résident transfère à une autre partie son droit de recevoir de futurs paiements d’intérêts (c.‑à‑d., des coupons d’intérêts) relativement à un prêt à rembourser par un débiteur résidant au Canada ayant un lien de dépendance.
Le budget de 2022 propose l’ajout d’une règle anti-évitement spécifique visant à éviter la réduction de la retenue d’impôt au Canada à l’aide de mécanismes de coupons d’intérêts détachés semblables à ceux décrits ci-dessus.
Plus particulièrement, le paragraphe 212(21) proposé dans la LIR définit les circonstances dans lesquelles la règle anti-évitement proposée s’appliquerait, notamment dans les situations suivantes :
- un débiteur résidant au Canada paie un montant à une personne ou à une société de personnes (le « détenteur d’un coupon d’intérêts ») ou porte ce montant à son crédit, à titre d’intérêts sur une dette (autre qu’une « obligation de dette offerte publiquement ») qu’il doit à une personne non résidente avec laquelle il a un lien de dépendance ou à une société de personnes autre qu’une société de personnes canadienne (le « prêteur ayant un lien de dépendance »);
- la retenue d’impôt au Canada qui aurait été payable sur le montant d’intérêts payé au prêteur ayant un lien de dépendance ou porté à son crédit est supérieure à la retenue d’impôt au Canada payable sur le montant d’intérêts payés au détenteur d’un coupon d’intérêts ou porté à son crédit.
Lorsque les conditions du paragraphe 212(21) proposé sont remplies, le paragraphe 212(22) proposé prévoit que le débiteur résidant au Canada soit réputé avoir payé un montant d’intérêts au prêteur ayant un lien de dépendance, de sorte que la retenue d’impôt payable au Canada est égale à la retenue d’impôt au Canada qui aurait été exigible si le mécanisme de coupons d’intérêts détachés n’avait pas été mis en place. Les règles proposées ne s’appliqueront pas à certains titres de créance offerts publiquement.
Les règles proposées s’appliqueront aux intérêts payés ou payables par un débiteur résidant au Canada à un détenteur d’un coupon d’intérêts, qui ont couru à compter du 7 avril 2022. Toutefois, une règle partielle de droits acquis s’applique à l’égard de tout montant d’intérêts :
- sur une dette engagée par le débiteur résidant au Canada avant le 7 avril 2022;
- payé ou payable à un détenteur d’un coupon d’intérêts qui n’a pas de lien de dépendance avec le prêteur non résident et qui obtient le coupon d’intérêts en raison d’un accord ou d’un autre mécanisme conclu et constaté par écrit avant le 7 avril 2022.
Dans ce cas, les règles proposées s’appliqueront aux intérêts payés ou payables par le débiteur résidant au Canada qui ont couru à compter du 7 avril 2023.
Mesures visant les taxes de vente et d’accise
Le budget de 2022 comprend deux mesures très ciblées visant les taxes de vente.
- TPS/TVH sur la cession d’un contrat de vente à l’égard d’un logement résidentiel par des particuliers. Le budget de 2022 propose que toute cession d’un contrat d’achat et de vente d’un immeuble résidentiel à logement unique nouvellement construit ou ayant fait l’objet de rénovations majeures soit réputée taxable aux fins de la TPS/TVH. Tout montant payé à titre de dépôt par le cédant au constructeur serait exonéré du montant réputé taxable sur la vente par cession. Cette mesure vise à apporter clarté et cohérence à l’égard de ces types de transactions et à remplacer l’analyse factuelle qui était exigée auparavant.
- Remboursement de la TPS/TVH pour les soins de santé. En général, les organismes de bienfaisance et certains organismes à but non lucratif peuvent demander un remboursement pour récupérer partiellement la TPS/TVH payée dans le cadre de leurs fournitures exonérées. Le budget de 2022 propose d’élargir les conditions d’admissibilité au remboursement de la TPS/TVH aux hôpitaux afin de reconnaître le rôle croissant des infirmiers praticiens dans la prestation de services de soins de santé, y compris dans les régions non éloignées.
Le gouvernement fédéral a également confirmé son intention d’aller de l’avant avec les propositions législatives relatives à la Loi sur la taxe sur certains biens de luxe et les mesures relatives au minage de cryptoactif, toutes deux publiées plus tôt cette année, ainsi que les mesures confirmées dans le budget de 2016 concernant le choix des coentreprises en matière de TPS/TVH.
Augmentation du financement accordé à l’ARC
En plus des mesures susmentionnées, et conformément aux récents budgets fédéraux, le budget de 2022 prévoit une augmentation du financement accordé à l’ARC. Selon le gouvernement fédéral, l’ARC a investi de manière importante dans les ressources visant à vérifier l’observation des règles fiscales prévues dans le budget de 2016. Le budget de 2022 continue dans cette direction en proposant d’accorder un financement de 1,2 milliard de dollars sur cinq ans à l’ARC afin d’élargir les audits des grandes sociétés et des non-résidents qui participent à une planification fiscale abusive, et d’accroître le nombre d’enquêtes et de poursuites criminelles visant des personnes qui participent à l’évasion fiscale.
Changements applicables aux organismes de bienfaisance enregistrés
Le budget de 2022 propose des changements importants qui auront une incidence sur les organismes de bienfaisance enregistrés, notamment :
- Modifications des règles relatives au contingent des versements (« CV ») pour les organismes de bienfaisance enregistrés. Même si le projet de loi n’a pas encore été publié, les modifications proposées sont décrites comme suit :
- Augmenter le taux du CV de 3,5 % à 5 % pour la portion au-delà de 1 million de dollars des biens d’un organisme de bienfaisance enregistré qui ne servent pas à des activités de bienfaisance ou à l’administration;
- Préciser que les dépenses pour l’administration et la gestion ne sont pas considérées comme des dépenses admissibles dans le but d’atteindre le CV d’un organisme de bienfaisance;
- Donner à l’ARC le pouvoir discrétionnaire de réduire l’obligation de CV d’un organisme de bienfaisance pour une année d’imposition donnée et permettre à l’ARC de communiquer publiquement ces décisions;
- Éliminer la règle sur l’accumulation de biens, qui dispense les organismes de bienfaisance de l’inclusion de certains biens dans le calcul de leur CV.
- Permettre aux organismes de bienfaisance de travailler avec des donataires non reconnus. Le budget de 2022 comprend de nouvelles mesures visant à faciliter les versements par les organismes de bienfaisance enregistrés à des organismes qui ne sont pas des donataires reconnus en vertu de la Loi de l’impôt. Le nouveau cadre permettrait aux organismes de bienfaisance enregistrés d’effectuer des « versements admissibles » à des donataires non reconnus (les bénéficiaires), à condition de respecter certaines exigences. Le versement doit servir à la réalisation des fins de bienfaisance de l’organisme et ce dernier doit s’assurer que les fonds sont utilisés pour des activités de bienfaisance par le bénéficiaire. Aucun projet de loi n’a encore été présenté et les détails sont inconnus, mais selon toute vraisemblance, la proposition devrait contenir un certain nombre de mesures de reddition de comptes très contraignantes à respecter lorsqu’un organisme de bienfaisance fournit des ressources à des organismes qui ne sont pas des organismes de bienfaisance enregistrés.
Pour tout complément d’information au sujet des propositions relatives aux organismes de bienfaisance et pour tout autre renseignement, consultez l’édition du budget fédéral de 2022 dans le bulletin du groupe d’impact social.
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[1] La définition de « juridiction partenaire » présentée dans l’Avis de motion de voies et moyens est la suivante : Une juridiction partenaire serait une juridiction qui a mis en œuvre des exigences semblables de déclaration visant les opérateurs de plateformes et qui a accepté de partager des renseignements avec l’ARC sur les vendeurs en ligne soumis à déclaration.