Vous avez probablement déjà conclu un contrat contenant une clause de dommages-intérêts liquidés. On en trouve fréquemment dans les contrats de construction et les contrats commerciaux généraux.

Clauses de dommages-intérêts liquidés et clauses pénales

Les clauses de dommages-intérêts liquidés (ou stipulés) sont des estimations, produites lors de la formation du contrat, des pertes qu’une partie subira en cas d’inexécution contractuelle. Habituellement, ces clauses sont jugées exécutoires si elles représentent une tentative authentique des parties d’estimer à l’avance la perte[1].

Si la clause est considérée non pas comme une estimation préalable authentique, mais plutôt comme une somme [traduction] « extravagante et exorbitante en comparaison de la plus grande perte qui pourrait concevablement être prouvée comme conséquence de la violation », on jugera alors qu’il s’agit d’une « clause pénale » inexécutoire[2]. Une clause pénale sert essentiellement à décourager une partie d’enfreindre le contrat, sans égard à la perte anticipée.

Quels facteurs déterminent le caractère exécutoire ou inexécutoire de la clause?

Pour déterminer si la clause contractuelle constitue une estimation préalable authentique, on regarde principalement le quantum des dommages[3]. Le critère traditionnel est le suivant : la somme est-elle extravagante et exorbitante, ou découle-t-elle d’une tentative raisonnable et appropriée de calcul des dommages qu’une partie pourrait subir? C’est une question mixte de fait et de droit, mais l’incapacité à quantifier précisément le montant lors de la formation du contrat n’emporte pas automatiquement la qualification de clause pénale.

Plus récemment, les tribunaux ont commencé à évaluer le caractère exorbitant à la lumière des circonstances de la formation du contrat. La détermination du caractère exorbitant (et donc inexécutoire) suppose une analyse en deux volets : 1) Le pouvoir de négociation était-il inégal? 2) Les modalités du contrat étaient-elles très injustes[4]? Dans ce contexte, le tribunal vérifiera généralement si la partie a prouvé les quatre éléments suivants :

  • (a) le caractère grossièrement injuste et inconsidéré de l’opération;
  • (b) l’absence de conseils juridiques indépendants ou d’autres conseils convenables;
  • (c) le déséquilibre flagrant dans le pouvoir de négociation causé par l’analphabétisme d’une partie, sa méconnaissance des affaires ou sa méconnaissance de la langue des négociations;
  • (d) le fait que l’autre partie a profité sciemment de cette vulnérabilité[5].

Et si les dommages ont été sous-estimés?

Dans l’affaire Elsley c. J.G. Collins Ins. Agencies, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur le traitement des cas où le montant indiqué dans la clause de dommages-intérêts liquidés a été largement sous-estimé. Si la perte réelle excède le montant de la clause, il faut appliquer les règles d’exécution ordinaires et limiter le recouvrement au montant convenu[6]. En l’absence d’oppression, le tribunal ne doit pas invalider la clause; une telle intervention brimerait la liberté contractuelle. Dans sa décision, la Cour suprême explique qu’une partie ne doit pas être en mesure de profiter de la force d’intimidation que peut avoir la clause pénale pour forcer l’exécution et ensuite la laisser de côté quand il s’avère avantageux de le faire[7]. Ainsi, le montant convenu en cas d’inexécution représente le maximum recouvrable[8].

Cependant, dans l’affaire 1252662 Ontario Inc. v. Swisslog Logistics, Inc., la demanderesse voulait que le tribunal déclare qu’elle avait le droit de réclamer à la défenderesse des dommages-intérêts en common law pour inexécution contractuelle. La demanderesse affirmait qu’elle pouvait, à la lumière de l’ensemble du contrat, réclamer plus que les dommages préalablement estimés en cas de retard. La juge Conway a adopté l’approche générale selon laquelle un contrat commercial doit être interprété [traduction] :

  • (a) comme un tout, de manière à donner effet à toutes ses modalités et à éviter une interprétation qui priverait d’effet l’une ou l’autre de ses modalités;
  • (b) en déterminant l’intention des parties d’après les mots utilisés dans le document écrit et la « présomption cardinale » selon laquelle les parties voulaient ce qu’elles ont écrit;
  • (c) à la lumière des preuves objectives quant au contexte factuel entourant la négociation du contrat, sans égard à l’intention subjective des parties; et (dans la mesure où le contrat est ambigu)
  • (d) conformément aux bonnes pratiques commerciales et au bon sens commercial, de manière à éviter toute absurdité commerciale[9].

En se fondant sur le sens ordinaire du contrat dans son intégralité, la juge a conclu que la demanderesse avait le droit de réclamer les dommages-intérêts en question et n’était pas limitée par la clause de dommages-intérêts liquidés[10]. Attention : le tribunal n’avait pas à déterminer si la demanderesse avait effectivement droit aux dommages-intérêts demandés ou si elle en avait fait la preuve – il a seulement établi qu’elle pouvait faire une demande. Le tribunal a souligné la présence d’une disposition contractuelle accordant à la demanderesse [traduction] « tous les droits et les recours prévus par la loi et le présent contrat ». Ainsi, si la clause de dommages-intérêts liquidés est soumise à une autre clause donnant droit au recouvrement de tous les dommages, cette première clause pourrait ne pas limiter le droit au recouvrement.

Conclusion

Pour assurer le caractère exécutoire de la clause de dommages-intérêts liquidés qu’elles rédigent, les parties doivent, autant que possible, produire une estimation authentique de leurs pertes en cas d’inexécution contractuelle. Si une partie réclame une somme « extravagante » ou « exorbitante », les tribunaux pourraient conclure que la clause est une « clause pénale » inexécutoire. Inversement, si une partie sous-estime ses dommages, les tribunaux pourraient limiter le recouvrement aux dommages stipulés dans le contrat, à moins qu’une autre disposition contractuelle ne donne droit au plein recouvrement.


[1] H.F. Clarke Ltd. v Thermidaire Corp., 1974 CarswellOnt 253F (SCC) at para 28

[2] Haas v. Viscardi, 2018 ONSC 2883, confirmée par 2019 ONCA 133, paragr. 12.

[3] Id., paragr. 15.

[4] Birch v. Union of Taxation Employees, Local 70030, 2008 ONCA 809, paragr. 45.

[5] Titus v. William F. Cooke Enterprises Inc., 2007 ONCA 573, paragr. 38.

[6] Elsley c. J.G. Collins Ins. Agencies, 1978 CarswellOnt 1235 (C.S.C.), paragr. 47.

[7] Ibid.

[8] Id., paragr. 48.

[9] 1252662 Ontario Inc. v. Swisslog Logistics, Inc., 2016 ONSC 90, paragr. 17.

[10] Id., paragr. 20-21.