Les conséquences de la nouvelle maladie liée à la COVID-19, élevée au rang de pandémie mondiale par l’Organisation mondiale de la santé, sont déjà visibles dans notre économie. Dans une tentative d’endiguer la propagation du virus (« aplatir la courbe »), les autorités gouvernementales ont annoncé des mesures d’isolement, de quarantaine et de fermetures des lieux publics et des frontières.

De plus, le Gouvernement du Québec a ordonné la suspension de tous les services et activités économiques non-essentiels à compter du mercredi 25 mars à 00:01.

L’industrie de la construction ne fait pas exception à cette mesure. Outre les intervenants impliqués dans l’exécution de travaux de réparation d’urgence et dans les services d’urgence requis afin d’assurer la sécurité du public, tous devront suspendre leurs activités en chantier jusqu’au 13 avril prochain. Il n’est d’ailleurs pas exclu que cette suspension soit prolongée par la suite.

Plusieurs intervenants de l’industrie se questionnent quant à l’impact de cette fermeture des chantiers sur leurs droits et obligations contractuelles. À cet égard, l’analyse des termes des contrats en vigueur s’impose. En effet, ceux-ci peuvent prévoir la survenance de telles circonstances. C’est d’ailleurs vraisemblablement le cas des articles 6.5.2 et 7.2.2 notamment, qui sont présents dans diverses versions des contrats CCDC et ACC, lesquels sont des documents contractuels-types largement répandus dans l’industrie. Nous y reviendrons spécifiquement dans notre section portant sur les clauses prévues aux contrats-types de l’industrie susceptibles de trouver application dans le contexte de la présente suspension des travaux résultant de la pandémie de la COVID-19.

Les circonstances qui prévalent actuellement justifient que l’on aborde également la notion de force majeure dans le cadre de la présente note qui y est largement consacrée. La notion de force majeure peut servir de moyen d’exonération d’une obligation contractuelle lorsque cette dernière est rendue impossible en raison de facteurs externes aux parties.

Le moyen de défense fondé sur la force majeure peut découler de deux sources distinctes et complémentaires l’une à l’autre : d’une part, le contrat entre les parties et, d’autre part, l’article 1470 du Code civil du Québec.

La mise en œuvre des dispositions de force majeure, contractuelles ou légales, pourra également avoir un impact important sur l’obligation corrélative du donneur d’ouvrage, à savoir l’exemption de paiement pour les travaux dont l’exécution est suspendue ou annulée en raison de l’événement de force majeure. Ainsi, selon les circonstances, nous croyons que la notion de force majeure pourrait être invoquée aussi bien par le donneur d’ouvrage que par l’entrepreneur. À cet égard nous ne saurions trop insister sur l’importance de procéder à une analyse détaillée des dispositions contractuelles afin de cerner les droits et obligations de chacune des parties dans les présentes circonstances.

Clauses des contrats-types CCDC et ACC en lien avec la fermeture des chantiers résultant de la COVID-19

Des contrats-types en usage dans l’industrie de la construction contiennent certaines clauses qui pourraient trouver application suite à la fermeture des chantiers ordonnée par le gouvernement. À ce titre, il apparaît hautement pertinent de souligner le libellé de l’article 6.5.2 des Conditions générales qui est inclus dans la majorité des contrats CCDC et ACC[1] :

6.5.2 Si l’entrepreneur ne peut exécuter l’ouvrage dans le délai prévu en raison d’une ordonnance de suspension des travaux émise par un tribunal ou une autre administration publique compétente et pourvu que cette ordonnance n’ait pas été rendue par suite d’une action ou d’une faute de l’entrepreneur ou de toute personne employée ou engagée par lui, directement ou indirectement, le délai d’exécution du contrat doit être prolongé d’une période de temps raisonnable dont le professionnel décide en consultation avec l’entrepreneuret ce dernier doit être remboursé par le maître de l’ouvrage des frais qu’il a raisonnablement encourus en raison de ce retard. (Notre emphase)

Cette disposition très répandue est susceptible de trouver application dans le contexte de la suspension des activités commerciales qui prévaut actuellement.

Selon les termes de l’article 6.5.2, à moins de circonstances particulières ou de l’existence d’une disposition à l’effet contraire, les entrepreneurs auraient vraisemblablement droit à un prolongement du délai d’exécution des travaux et auraient également droit au remboursement par le donneur d’ouvrage des frais raisonnables encourus en raison de ce délai.

Il y a lieu de souligner que cet article 6.5.2 traite de façon distincte les conséquences de la suspension des travaux en raison d’une ordonnance émise par une autorité publique compétente par rapport à d’autres événements de « force majeure » pour lesquels les retards causés sont traités comme étant excusables, mais non compensables[2].

Il est également important de signaler que les mêmes contrats-types prévoient aussi une clause portant sur le droit de l’entrepreneur de résilier le contrat à la suite de l’émission d’une ordonnance de l’autorité publique[3]. L’article pertinent se lit comme suit :

7.2.2 Si l’ouvrage est :

. 1           […]

. 2 arrêté de quelque façon pour une période de 20 jours ouvrables ou plus en vertu d’une ordonnance d’un tribunal ou d’une autre autorité publique compétente, et pourvu qu’une telle ordonnance n’ait pas été émise par suite d’une action ou d’une faute de l’entrepreneur ou de toute personne employée ou engagée directement ou indirectement par lui, l’entrepreneur peut, sans préjudice de tout autre droit ou recours qu’il peut avoir, résilier le contrat, en donnant un avis écrit au maître de l’ouvrage à cet effet. (Notre emphase)

Ainsi, selon les termes de cette disposition, si l’arrêt des chantiers perdurait pendant plus de vingt (20) jours ouvrables, l’entrepreneur pourrait vraisemblablement procéder à la résiliation de son contrat. À cet égard, nous croyons toutefois nécessaire d’émettre un bémol : il sera intéressant de voir quelle interprétation les tribunaux feront de cet article, le cas échéant. En effet, compte tenu des conséquences assez graves qui pourraient découler d’une vague de résiliation de contrats d’entreprise, on peut se demander si les tribunaux considéreront la disposition applicable dans un contexte où ce n’est pas un chantier en particulier qui est l’objet d’une suspension, mais au contraire, l’universalité des chantiers de construction du Québec.

Dans le contexte d’exception qui prévaut actuellement, il sera aussi important de réviser attentivement l’ensemble des documents contractuels pour déterminer si d’autres clauses pourraient avoir pour effet de remplacer, d’écarter, de nuancer ou de compléter des dispositions telles que celles des articles 6.5.2 et 7.2.2. Il s’agit d’une démarche nécessaire afin de chercher à établir quelle modalité prévaudra.

Les entrepreneurs tout comme les donneurs d’ouvrage ont donc intérêt à examiner de manière proactive leurs contrats pour voir si de semblables clauses s’y trouvent et seraient susceptibles de s’appliquer dans les circonstances.

Les clauses de « force majeure »

Il est fréquent de retrouver dans un contrat une clause destinée à établir une liste d’événements dits de « force majeure » et à prévoir la conséquence convenue entre les parties si l’un des événements énumérés se produit. Typiquement, ces dispositions définissent et étendent la notion de force majeure aux fins du rapport contractuel entre deux parties. Le fait que la notion de force majeure définie au Code civil du Québec ne soit pas d’ordre public permet d’agir de la sorte. Il s’agit d’une modalité de répartition entre les parties des risques liés au contrat d’entreprise.

Ces clauses de « force majeure » peuvent :

  • dispenser les parties de l’exécution de leurs obligations et de la responsabilité résultant de l’inexécution lorsque survient un événement répertorié ;
  • indiquer que les parties seront tenues d’exécuter leurs obligations, malgré la survenance d’un événement répertorié ; ou
  • permettre de retarder l’exécution de l’obligation pendant un certain temps après la survenance d’un événement répertorié.

Un exemple de clause de « force majeure » est reproduit ci-dessous :

« Aucune des parties ne sera tenue responsable ou sanctionnée en vertu des termes du présent accord pour manquement à ses obligations résultant d’une guerre, d’une grève, d’une pandémie, d’un cas de force majeure, d’une catastrophe naturelle ou de toute autre blessure échappant au contrôle raisonnable d’une partie (« Force majeure »). Si la force majeure entraîne un retard ou l’inexécution d’une partie aux présentes pour une période de trois (3) mois ou plus, alors chaque partie aura le droit de résilier le présent accord avec effet immédiat sans responsabilité envers l’autre partie. »

Selon les termes de cette clause, les deux parties pourraient être dispensées d’exécuter leurs obligations et prémunies contre la responsabilité découlant normalement de cette inexécution si, en raison de la COVID-19, elles démontraient avoir été empêchées de respecter leurs obligations respectives. Le cas échéant, cette clause de « force majeure » pourrait aussi mener à la résiliation du contrat.

On peut imaginer que d’autres termes que le mot « pandémie » pourraient être inclus dans une clause de « force majeure » et être assimilés aux circonstances entourant la COVID-19, notamment : « épidémie », « urgence de santé publique », « épidémie de maladie transmissible », « quarantaine » ou « urgence nationale ou régionale ». Certaines clauses peuvent être rédigées de façon ouverte et employer un langage qui engloberait des événements « similaires » à ceux énumérés dans la disposition.

Il importe de retenir que l’application d’une clause de « force majeure » et sa portée seront déterminées au cas par cas, en tenant compte du contexte contractuel ainsi que des circonstances particulières créées par la pandémie de la COVID-19.

Nous rappelons par ailleurs que les conséquences de la survenance d’un événement de « force majeure » peuvent varier, et une clause pourrait n’avoir pour effet que de surseoir aux obligations plutôt que de mener à la résiliation du contrat. De plus, si l’événement de « force majeure » était cause de retard, ce retard serait, pour l’entrepreneur, de nature excusable, mais il ne donnerait pas nécessairement ouverture à une réclamation de sa part pour les préjudices subis par lui résultant du retard. À ce titre, l’article 6.5.2 des Conditions générales des contrats CCDC et ACC, ci-haut reproduit, constituerait vraisemblablement une exception digne de mention.

Finalement, les entrepreneurs doivent aussi prendre soin de respecter toute exigence d’avis ou toute autre modalité obligatoire aux fins de tirer avantage d’une clause de « force majeure », ainsi que toute exigence visant l’atténuation des impacts de l’inexécution qui serait stipulée dans la clause.

La force majeure selon le Code civil du Québec

L’article 1470 C.c.Q. comporte la définition de la notion de force majeure telle que conçue en droit commun et il en procure la description des effets juridiques :

« Art. 1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible (…). »

Dans l’état actuel du droit, les autorités et les tribunaux considèrent que si elle est en mesure de prouver que l’inexécution contractuelle résulte d’un événement imprévisible et irrésistible, une partie à un contrat peut se dégager de la responsabilité qui aurait normalement découlé de cette inexécution.[4]

Si un tribunal détermine que l’événement lié à la non-exécution[5] était imprévisible, il pourra relever le débiteur de son obligation contractuelle dans la mesure où il détermine aussi que l’exécution est ou était « absolument » impossible. Ainsi, un simple accroissement du coût ou de la durée des efforts requis pour accomplir la prestation ne respecte pas le critère applicable.

Il est possible que la pandémie en cours puisse, dans certains cas d’espèce ou même plus globalement, donner lieu à une défense fondée sur la force majeure. À l’heure actuelle et en fonction des informations présentement disponibles, tous et chacun a son opinion quant à savoir si l’événement doit être considéré imprévisible. De plus, le caractère irrésistible devra nécessairement être examiné au cas par cas, selon les circonstances de chaque espèce, à moins qu’une approche plus globale soit développée.

Cela dit, il convient de noter que l’exécution des obligations sera normalement considérée comme impossible si elle est empêchée ou interdite par la Loi ou une autorité compétente. Cela a une pertinence particulière au Québec, ces jours-ci, alors que le gouvernement a décrété l’interruption temporaire de toute activité économique non-essentielle en réponse à la pandémie de la COVID-19. De telles mesures gouvernementales pourraient possiblement être invoquées pour montrer l’impossibilité de l’exécution contractuelle en fonction des circonstances particulières de chaque cas.

Conclusion

Tout en tenant bien sûr compte de l’effet obligatoire des ordres émanant du gouvernement, étant donné l’incertitude inhérente et les délais liés au processus judiciaire, à défaut d’entente au sujet de l’existence d’un événement de force majeure, les parties devront soupeser le pour et le contre lors de l’évaluation de l’opportunité de tenter ou non une exécution du contrat, même partielle, ou d’envisager sa renégociation avec leur cocontractant.

Bien sûr, si la COVID-19, ou la fermeture des chantiers qui en résulte, rendaient l’exécution d’une obligation impossible, les parties impliquées devraient réagir de façon constructive et chercher des moyens de minimiser les conséquences négatives. Une telle attitude est généralement considérée comme une exigence afin de bénéficier d’un remède procuré par le contrat ou par la Loi.

Il y aura lieu d’analyser attentivement les dispositions contractuelles applicables afin de bien cerner les droits et obligations de chacune des parties dans les circonstances.

 

 

[1]À titre d’illustration : ACC 1 – Contrat de sous-traitance à forfait (2008) ; ACC 19 – Contrat entre sous-traitant et sous sous-traitant (2011) ; CCDC 2 – Contrat à forfait (2008) ; CCDC 3 – Contrat à prix coûtant majoré (2016) ; CCDC 4 – Contrat à prix unitaires (2011) ; CCDC 5 B – Contrat de gérance de construction – pour services et construction (2010) ;

[2] Voir à cet effet l’article 6.5.3 des Conditions générales d’un des contrats-types mentionnés ci-dessus.

[3] Par exemple : Article 7.2.2 des Conditions générales du CCDC 2- Contrat à forfait (2008) ; Le contrat ACC 1 Contrat de sous-traitance à forfait (2008) prévoit ce même droit de résilier du sous-traitant vis-à-vis l’entrepreneur général.  

[4] Typiquement, seul un assureur s’engage à réparer les conséquences d’une force majeure.

[5] Comme, par hypothèse, la pandémie liée à la COVID-19.

 

Cet article a paru le 26 mars 2020 sur le site web de la Corporation de entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ).

 

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