Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec déclarait l’état d’urgence sanitaire sur tout le territoire québécois en raison de la pandémie de la COVID-19. La suspension des chantiers de construction qui en a suivi a fait couler beaucoup d’encre dans l’industrie, notamment en ce qui concerne la question de la force majeure.

Deux ans plus tard, les dossiers nés des impacts de la COVID-19 commencent à percoler du système de justice. Tout récemment, la Cour supérieure a rendu une décision dans l’affaire Construction J. & R. Savard ltée c. Dynamitage Hardroc inc.[1], un dossier où un entrepreneur cherchait à invoquer les impacts de la COVID-19 pour justifier son inexécution contractuelle.

Les faits

En février 2019, le ministère des Transports, Mobilité durable et Électrification des transports du Québec (« MTQ ») publie un appel d’offres pour la construction d’une voie de contournement sur la route 169 à Alma. L’entrepreneur général, Construction J. & R. Savard ltée (« J. & R. »), confie les travaux de dynamitage à Dynamitage Hardroc inc. (« Hardroc »). Ce contrat prévoit que des « avis par écrit doivent être donnés pour tout délai ou retard prévisible dès que possible ».

Les travaux doivent se dérouler sur deux ans et Hardroc effectue une première partie de ses travaux de forage et de dynamitage en 2019. À l’arrivée de l’hiver, les travaux au chantier sont suspendus jusqu’au printemps 2020.

Le 24 mars 2020, le gouvernement du Québec décrète la suspension de tous les travaux en raison de la pandémie de la COVID-19, de sorte que J. & R. et Hardroc voient leurs travaux suspendus pour une période indéterminée.

À la fin du mois d’avril 2020, J. & R. planifie la reprise des activités au chantier et avise Hardroc que ses travaux reprendront dans la semaine du 25 mai 2020. Le jour venu, Hardroc livre une cargaison complète de matelas sur le chantier, mais le 27 mai 2020, elle fait volte-face et informe J. & R. qu’elle ne pourra finalement pas se présenter sur le chantier puisqu’elle est déjà mobilisée sur un autre chantier où les travaux sont prolongés en raison de la découverte de roc supplémentaire.

Le 28 mai 2020, J. & R. informe le MTQ d’un retard de son sous-traitant et met en demeure Hardroc de se présenter au chantier, faute de quoi elle demandera à un autre sous-traitant d’exécuter les travaux.

En réponse à la mise en demeure, Hardroc invoque avoir été prise de court par la pandémie. Bien qu’elle soit prête à honorer ses engagements, des délais supplémentaires sont nécessaires étant donné, entre autres, les importantes mesures sanitaires qui l’obligent à réduire le nombre de travailleurs sur les chantiers.

Le 1er juin 2020, le MTQ questionne J. & R. pour savoir si les retards sont causés par la COVID-19, car dans un tel cas, une démonstration doit en être faite. Le jour même, Hardroc, par le biais de ses avocats, invoque de nouveau une impossibilité d’agir causée par la situation d’urgence sanitaire et demande un délai jusqu’au 22 juin 2020 pour se mobiliser.

J. & R. refuse d’accorder ce délai et décide de retenir un autre entrepreneuren dynamitage pour mener le projet à terme. Un recours sera ensuite entrepris par J. & R. afin de récupérer les coûts supplémentaires encourus découlant de l’exécution des travaux prévus au contrat de Hardroc par un tiers.

Dans le cadre de sa réclamation, J. & R. soutient qu’Hardroc a résilié le contrat de sous-traitance en refusant de se présenter au chantier. Selon lui, le prétexte de la COVID est arrivé à la dernière minute alors que le défaut d’Hardroc est plutôt le résultat de sa mauvaise planification.

En défense, Hardroc soutient qu’il s’agit d’un cas de force majeure résultant du déphasage des différents chantiers, ce qui a rendu impossible l’achèvement de ses travaux du chantier d’Alma. De façon subsidiaire, elle prétend que J. & R. a résilié le contrat de façon unilatérale sans fondement.

Décision

Dans le cadre de sa décision, le tribunal est appelé à déterminer, en premier lieu, si la COVID-19 est un évènement de force majeure comme le prétend Hardroc. Pour ce faire, il rappelle qu’Hardroc avait le fardeau de démontrer le caractère imprévu et irrésistible de l’évènement.

En l’espèce, la situation à laquelle Hardroc a été confrontée n’avait rien d’imprévisible et d’irrésistible selon le tribunal. La reprise des travaux avait été planifiée et mise en œuvre. La prétention quant aux effets de la COVID-19 avait été soulevée à la dernière minute alors que rien n’empêchait les trois équipes d’Hardroc de travailler sur deux autres chantiers différents.

Le tribunal considère donc que l’argument de la COVID-19, qui n’était appuyé d’aucune preuve formelle, n’est pas la panacée à tous les maux d’Hardroc. Une planification prudente, diligente et avisée aurait évité le dérapage.

Au terme de son jugement, le tribunal conclura que le refus d’Hardroc de se présenter au chantier au moment prévu, alors qu’elle était en demeure de le faire, constituait une résiliation fautive de son contrat de sous-traitance et elle sera ultimement condamnée à verser des dommages.

Il est intéressant de noter que le juge conclut également au manquement d’Hardroc à son obligation de collaboration et de bonne foi. Pour le tribunal, si la situation avait été dénoncée à temps, le résultat aurait été vraisemblablement différent, mais ce ne fut pas le cas. En annonçant soudainement qu’elle ne pouvait pas se présenter, Hardroc est allée à l’encontre des obligations minimales de bonne foi et de collaboration et a placé J. & R. en difficulté à une étape cruciale des travaux sur un chantier d’importance.

Conclusion

La COVID-19 a certainement pu occasionner d’importantes perturbations sur les chantiers de construction. Cependant, cette décision rappelle qu’il ne suffit pas pour un entrepreneur de simplement invoquer les effets de la pandémie pour être excusé d’un manquement à ses obligations contractuelles. Il demeure nécessaire de démontrer les caractères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et, en principe, d’extériorité lorsque l’on veut qualifier un évènement de force majeure. Surtout, il faut que cet évènement soit réellement la cause du manquement.

[1] Construction J. & R. Savard ltée c. Dynamitage Hardroc inc., 2022 QCCS 4017 (CanLII)

Cet article est paru dans l’édition du 9 décembre 2022 du journal Constructo.