1. CONTEXTE

Au mois de juin dernier, la Cour supérieure s’est prononcée dans un litige d’importance sur la responsabilité des divers intervenants ayant participé à la conception et à la construction du système de traitement des eaux situé à Sainte-Catherine[1].

Les parties, Allen Entrepreneur Général inc. (« Allen ») et la Régie d’assainissement des eaux du bassin de La Prairie (« La Régie »), sont liées par un contrat de type « clé en main » visant la conception, la construction et la mise en service d’un système de biométhanisation permettant la transformation des boues municipales.

À la suite de l’exécution du contrat, Allen réclame à la Régie la somme de 2 061 683,48 $ avant taxes, correspondant aux sommes retenues par la Régie.

De son côté, la Régie conteste cette réclamation et se porte demanderesse reconventionnelle pour une somme de 13 037 921,63 $, représentant le préjudice qu’elle estime avoir subi et le coût des travaux correctifs qu’elle allègue avoir payés en raison des déficiences du système. Cette somme est réclamée à Allen ainsi qu’à sa caution, Intact Assurances, et ce, en vertu du cautionnement d’exécution qui les lie.

2. PARTIES

Afin de faciliter la compréhension du présent résumé, vous trouverez ci-dessous un tableau des parties impliquées ainsi que la responsabilité qui leur est attribuée :

  • Allen : À titre de concepteur-constructeur
  • Les services EXP inc. : À titre de consultant et rédacteur du devis de performance
  • Terix-Envirogaz inc. : À titre de sous-traitant d’Allen pour l’ingénierie de procédé et l’exploitation de l’usine, ainsi que fournisseur de certains équipements
  • Intact Assurances : Aux termes du cautionnement d’exécution
  • Régie : À titre de donneur d’ouvrage

3. FAITS ET PROBLÉMATIQUES RENCONTRÉES

Allen, en tant que concepteur-constructeur, devait livrer à la Régie un système de biométhanisation conforme au devis de performance préparé par le consultant de cette dernière, soit Les services EXP inc. (« EXP »).

Terix-Envirogaz inc. (« Terix »), agissant en tant que sous-traitant d’Allen, devait concevoir le système de biométhanisation. Ce contrat, d’un montant de 2 209 000 $, prévoyait notamment que Terix devait exécuter tous les ouvrages nécessaires au respect des exigences et des performances stipulées dans le contrat principal liant Allen à la Régie.

À la suite de la construction du système, plusieurs problématiques ont été rencontrées, d’où le présent litige. En termes simples, la capacité de la pompe servant à alimenter l’hydrolyseur en boues municipales, l’un des équipements composant le système de biométhanisation, s’est avérée insuffisante.

Les défaillances de cette pompe, située au début de la chaîne du système de biométhanisation, se sont répercutées sur l’ensemble du système, provoquant même des arrêts complets de ce dernier.

Un autre problème majeur concernait les déficiences affectant la désulfurisation du biogaz produit par le système. Comme l’a expliqué la Cour, le biogaz contient une quantité appréciable de H2S généré par la biométhanisation, ce qui cause des problèmes d’odeurs, de corrosion, « voire de sécurité ». Cette problématique a écourté la durée de vie de certaines composantes du système.

De plus, le séchoir VOMM devait fonctionner avec le biogaz produit par le système de biométhanisation. Or, sur les 1 000 m3 de biogaz qui devaient être stockés, moins de 4 % pouvaient être utilisés. Cette réserve n’était donc pas opérationnelle et, selon la Régie, ne répondait pas à ses exigences en raison de l’absence de gazomètre[2], l’une des composantes du système au cœur du présent litige.

Comme ce problème était le plus important et qu’il n’a pas été corrigé, la Régie n’a jamais émis le certificat d’acceptation définitive.

Au surplus, des avis de non-conformité ont été émis conformément à la Loi sur la qualité de l’environnement en raison notamment de rejets de contaminants dans l’atmosphère. Face à cette situation, la Régie a décidé de cesser d’alimenter l’usine en boues municipales.

4. CORRECTIFS ET RÉCLAMATION DE LA RÉGIE

Compte tenu des problématiques rencontrées, la Régie a fait appel à la firme SNC, désormais nommée Atkins Realis, pour qu’elle procède à la revue du système et recommande les correctifs à apporter. À la suite de l’émission du rapport des professionnels, la Régie a lancé un appel d’offres pour la réalisation des travaux correctifs. La seule firme ayant soumissionné pour réaliser ces travaux est Deric Construction inc.

La Régie réclame une somme totale de 13 037 921,63 $, représentant essentiellement les montants payés à Deric Construction inc. pour la réalisation des travaux correctifs, les frais de disposition des boues municipales et les frais de financement.

  1. DÉCISION

Pour les fins du présent résumé, j’aborderai uniquement la décision de la Cour concernant l’absence de gazomètre intégré dans le système de biométhanisation et l’impossibilité de stocker 1000 m3 de biogaz utilisables, l’enjeu majeur du dossier.

À ce titre, Allen soutient notamment avoir fourni et installé un système de biométhanisation conforme à sa proposition, lequel a été approuvé par EXP, consultant de la Régie. Ladite proposition ne prévoyait effectivement pas de gazomètre. Selon Allen, l’absence de cette composante était clairement indiquée dans sa soumission et EXP avait établi que celle-ci était conforme aux plans et devis sans soulever de problématiques.

Dans son analyse de la position d’Allen, la Cour cite de nombreuses clauses du devis qui énoncent la nécessité de munir le système d’un gazomètre. Pour le tribunal, « il est clair que dans le devis, la Régie exige des gazomètres permettant de stocker 1 000 m3 de biogaz ».

De même, citant des extraits des interrogatoires tenus avant l’audience, la Cour mentionne qu’Allen a choisi de ne pas intégrer de gazomètre dans le système.

Or, la Cour considère qu’Allen avait une obligation de résultat quant à la fourniture d’un stockage de 1 000 m3 de biogaz utilisable. L’entreprise a donc failli à son obligation de fournir le résultat attendu et doit donc en supporter les conséquences.

Quant à EXP, consultant de la Régie et rédacteur du devis, la Cour considère qu’il est fautif puisqu’il n’a pas fait une lecture attentive de la soumission d’Allen quant à l’impossibilité de produire 1 000 m3 de biogaz. EXP est donc responsable des coûts des travaux correctifs nécessaires à l’ajout du gazomètre.

Cependant, cette faute d’EXP ne peut exonérer Allen de sa responsabilité. En tant que concepteur-constructeur du projet, Allen avait l’obligation de veiller à ce que l’ouvrage soit fonctionnel et apte à répondre aux objectifs de son client.

Après avoir étudié l’ensemble des problématiques rencontrées, la Cour évalue le coût des travaux correctifs permettant de rendre le système conforme aux résultats attendus à une somme de 3 352 149 $.

À cette somme s’ajoutent les coûts des professionnels mandatés par la Régie pour la conception et la surveillance des travaux correctifs, dont Allen est responsable à la hauteur de 160 000 $, les coûts de financement liés à la perte d’une partie de subvention de la Régie, soit une somme de 372 011,91 $, et les frais de disposition des boues municipales au montant de 2 074 983 $.

En somme, la Cour conclut que la réclamation de la Régie est fondée à hauteur de 6 202 142,30 $, en sus des intérêts applicables, de l’indemnité additionnelle et des frais d’experts. Allen est donc condamné à payer une somme de 4 129 805,21 $, après compensation de la retenue contractuelle.

Enfin, Terix, sous-traitant d’Allen ayant failli à son obligation de concevoir un système conforme, a été tenu responsable envers Allen d’une grande partie du montant dû à la Régie, soit une somme de 5 464 650,85 $.

À noter également qu’Intact Assurances a été condamnée à payer solidairement avec Allen une partie des sommes dues en vertu de l’application du cautionnement d’exécution qui les lient, mais uniquement pour les réclamations reliées à la réalisation des travaux.

Cette décision d’intérêt rappelle l’étendue de la responsabilité attribuée au concepteur-constructeur.


[1] Allen Entrepreneur général inc. c. Régie d’assainissement des eaux du bassin de Laprairie, 2024 QCCS 2572 (CanLII).

[2] Tel qu’exprimé par la Cour, un gazomètre se définit comme un réservoir souple dans lequel le biogaz produit est emmagasiné à volume variable. Le gazomètre permet de stocker et réguler le biogaz en provenance du digesteur.