SOMMAIRE

Le 27 mars 2023, l’AMP révoquait l’autorisation de contracter de Neptune, l’inscrivant automatiquement au RENA pour une période de cinq ans. En effet, selon l’AMP, Neptune ne répondait pas aux exigences d’intégrité auxquelles le public est en droit de s’attendre.

Après avoir obtenu le sursis de la décision de l’AMP jusqu’à l’audition de son pourvoi en contrôle judiciaire, Neptune a finalement vu son recours rejeté par la Cour supérieure. Selon le tribunal, il n’y avait pas lieu d’annuler la décision de l’AMP, même si cette dernière n’avait pas donné l’occasion à Neptune de satisfaire aux exigences d’intégrité par l’imposition de mesures correctrices En effet, selon le tribunal, il était raisonnable pour l’AMP de conclure que les manquements de Neptune ne donnaient pas ouverture à de telles mesures.

LES FAITS

Depuis le 2 juin 2022, l’Autorité des marchés publics (« AMP ») dispose de la compétence exclusive d’assurer l’intégrité, la transparence et la protection de l’intérêt public en matière de contrats publics.

Le 13 septembre 2022, l’AMP transmettait à Neptune Security Services inc. (« Neptune ») un avis d’examen de l’intégrité de l’entreprise, conformément à l’article 21.48.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics (« LCOP »), l’informant qu’elle avait entrepris l’examen de son intégrité et qu’elle détenait de l’information qui pourrait démontrer que Neptune ne répondait pas aux exigences d’intégrité prévues par la LCOP. L’AMP requérait alors de Neptune la communication de plusieurs informations, dont des renseignements financiers.

Le 27 mars 2023, au terme de son processus de vérification et à la suite d’une rencontre avec des représentants de Neptune, l’AMP révoquait l’autorisation de contracter ou de sous-contracter avec un organisme public (« Autorisation ») de Neptune. De ce fait, elle l’inscrivait automatiquement au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (« RENA ») pour une période de cinq ans[1]. En effet, selon l’AMP, Neptune aurait omis de déclarer ses réels dirigeants, aurait eu recours à des sous-traitants dans le cadre de l’exécution de ses contrats avec des organismes publics et aurait une structure organisationnelle lui permettant d’échapper à la loi au sens de l’article 21.28 al. 2 par. 10 de la LCOP, permettant également à d’autres entreprises de s’y soustraire.

Le 28 mars 2023, Neptune déposait un pourvoi en contrôle judiciaire à l’endroit de la décision de l’AMP et en demandait le sursis. Selon Neptune, l’AMP aurait enfreint plusieurs règles d’équité procédurale lors du processus de vérification de son intégrité, n’aurait pas permis à Neptune de remédier à son défaut par des mesures correctrices et aurait rendu une décision à caractère déraisonnable.

Le 6 avril 2023, la Cour supérieure ordonnait le sursis de la décision de l’AMP jusqu’à l’audition du pourvoi en contrôle judiciaire, au motif que l’AMP n’avait pas imposé l’application de mesures correctrices permettant à Neptune de satisfaire aux exigences d’intégrité, y voyant là une question sérieuse d’équité procédurale portant préjudice pour Neptune[2].

Le 28 mai 2024, la Cour supérieure rendait son jugement au fond et rejetait le pourvoi en contrôle judiciaire logé par Neptune[3]. Selon le tribunal, il n’y avait pas lieu d’annuler la décision de l’AMP en l’espèce, et ce, pour les motifs exprimés ci-dessous.

LA DÉCISION

Avant de procéder à son analyse, le tribunal se penche sur l’intention du législateur en promulguant la LCOP. Il conclut qu’en raison de leur caractère final et péremptoire, les décisions de l’AMP doivent faire l’objet d’une importante déférence de la part des tribunaux et que le contrôle judiciaire de ces décisions demeure l’exception.

Au soutien de son pourvoi, Neptune soulevait divers manquements à l’équité procédurale, y compris :

  • l’AMP ne lui aurait pas, au stade de l’avis d’examen, communiqué tous les renseignements qu’elle avait en sa possession et qui étaient susceptibles de démontrer que Neptune ne satisfaisait pas aux exigences d’intégrité[4];
  • l’AMP n’aurait pas accordé à Neptune un délai suffisant pour répondre et présenter ses observations[5];
  • l’AMP n’a pas proposé de mesures correctrices à Neptune lui permettant de satisfaire aux exigences d’intégrité, alors que la LCOP lui imposerait cette obligation.

Pour les fins du présent article, nous n’aborderons que le dernier reproche.

L’AMP a-t-elle raisonnablement exercé sa compétence en ne proposant pas de mesures correctrices à Neptune?

Selon le tribunal, l’article 21.48.4 de la LCOP n’oblige pas l’AMP à permettre à une entreprise de satisfaire aux exigences d’intégrité par l’imposition de mesures correctrices. En effet, l’AMP dispose d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard et il lui revient à elle seule de décider si une entreprise est réhabilitable ou non. Le tribunal reconnaît ainsi qu’il peut exister des situations où l’AMP estime qu’aucune mesure correctrice ne serait de nature à permettre à une entreprise de satisfaire aux exigences d’intégrité.

En l’espèce, le tribunal estime que la décision de l’AMP de révoquer l’Autorisation de Neptune sans lui imposer de telles mesures correctrices était raisonnable, puisqu’elle était basée sur les deux principaux motifs exposés ci-dessous.

D’abord, Neptune n’avait pas divulgué l’identité de ses réels dirigeants. En effet, la preuve avait convaincu l’AMP que la dirigeante déclarée de Neptune n’avait pas une réelle connaissance des opérations et de la gestion de l’entreprise. Selon le tribunal, le fait pour Neptune de ne pas déclarer ses réels dirigeants fait obstacle à la réalisation de la mission confiée à l’AMP par le législateur et crée une entrave importante à la LCOP. Au surplus, le tribunal souligne que l’examen d’intégrité porte non seulement sur l’intégrité de l’entreprise elle-même, mais également sur celle de chacun de ses dirigeants.

Ensuite, Neptune avait recours à diverses sociétés pour lui fournir toute la main-d’œuvre nécessaire à l’exécution de ses contrats de surveillance et sécurité. Sans ces sociétés, il aurait été impossible pour Neptune d’exécuter ses contrats puisque celle-ci ne disposait elle‑même d’aucun employé assujetti au Décret sur les agents de sécurité. Par ailleurs, les deux dernières sociétés avec lesquelles Neptune avait fait affaire ne détenaient pas d’autorisation de contracter de l’AMP. Par conséquent, selon le tribunal, la structure opérationnelle de Neptune lui permettait d’échapper à l’application de la LCOP, en plus de permettre à d’autres sociétés d’y échapper à leur tour.

Selon l’AMP, « [l]orsqu’une entreprise tente de contourner la loi et la surveillance de l’AMP, c’est l’honnêteté même de l’entreprise et de ses dirigeants qui s’en trouvent affectés ». Ainsi, l’AMP estimait que la problématique d’intégrité était trop intrinsèque à la structure de Neptune et qu’aucune mesure correctrice ne pourrait permettre à l’entreprise de satisfaire aux exigences d’intégrité requises par la LCOP.

En l’espèce, le tribunal estime que l’AMP a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en concluant que Neptune ne pouvait bénéficier d’aucune mesure correctrice lui permettant de répondre aux exigences d’intégrité requises. Le tribunal se devant de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de cette décision, le pourvoi en contrôle judiciaire est rejeté.

CONCLUSION

Bien qu’elle ait accordé le sursis de la décision de l’AMP, la Cour supérieure a jugé que l’AMP avait agi de manière raisonnable et dans les limites de sa compétence en révoquant l’Autorisation de Neptune, sans lui permettre de remédier à son défaut d’intégrité par le biais de mesures correctrices. Ainsi, la décision de l’AMP a été maintenue, reflétant la grande déférence accordée aux décisions de l’AMP à titre d’organisme responsable de la surveillance de l’intégrité des entreprises œuvrant dans la sphère publique.

La décision de la Cour supérieure est présentement portée en appel.


[1] Décision 2023-SVI-002.

[2] 2023 QCCS 1115.

[3] 2024 QCCS 1966.

[4] Le tribunal estime que l’AMP a été fautive à cet égard et a commis une violation à l’équité procédurale. Cela dit, le tribunal souligne qu’une décision administrative ne peut être annulée pour ce seul motif, surtout lorsqu’il est établi qu’aucun préjudice n’a résulté de cette violation.

[5] Le tribunal constate que l’AMP a respecté le délai minimal de dix jours prévu à la LCOP et qu’elle a en plus offert un second délai de dix jours. Le délai est donc raisonnable et ne viole pas l’équité procédurale.