Dans la décision Xemex Contracting Inc. c. Aspen Properties (Northland Place) Ltd. (« Xemex ABCA »)[1], la Cour d’appel de l’Alberta a récemment examiné la question de savoir si un entrepreneur impayé engagé par un locataire pour effectuer des améliorations locatives pouvait maintenir un privilège valide contre l’intérêt en fief simple du propriétaire. La question soumise à la Cour d’appel était de savoir si le propriétaire pouvait être considéré comme un « propriétaire » en vertu de l’article 1(j) de la Prompt Payment and Construction Lien Act (la « loi PPCLA »).[2]

La définition du terme « propriétaire » dans la loi PPCLA comporte trois éléments. Premièrement, pour être propriétaire, une personne doit avoir un intérêt dans le terrain. Deuxièmement, la personne doit avoir expressément ou implicitement demandé que les travaux soient effectués ou que les matériaux soient fournis. Troisièmement, les travaux doivent être portés au crédit de la personne, en son nom, avec son lien contractuel et son consentement ou pour son bénéfice direct.[3]La question abordée dans le présent article concerne le troisième élément.[4]

Contexte

Aspen Properties (Northland Place) Ltd. (« Aspen ») était le propriétaire et le locateur d’un petit immeuble de bureaux à vocation commerciale, dont Koor Energy Ltd. (« Koor ») était le locataire. Dans le cadre du bail, Aspen a accordé à Koor un montant d’indemnisation pour la rénovation des locaux loués. À son tour, Koor a engagé Xemex Contracting Inc. (« Xemex ») pour effectuer ces travaux d’améliorations locatives. Avant le début des travaux, Aspen a fourni à Xemex un manuel contenant les règles et règlements que Xemex était tenue de respecter. Le manuel prévoyait, entre autres, qu’aucune construction ne devait commencer sans l’approbation des travaux par Aspen. Dès le début des travaux, Aspen a été activement impliquée dans divers aspects du projet et a été tenue informée de l’avancement des travaux.

Xemex a cessé de travailler pour Koor pour cause de non-paiement des montants en souffrance. Xemex a enregistré des privilèges pour les factures impayées sur le droit de bail de Koor et le droit de propriété en fief simple d’Aspen sur le terrain. Xemex a obtenu deux jugements contre Koor pour un montant total de 263 242,10 $ plus dépens. Toutefois, ses efforts de recouvrement contre Koor sont restés vains. Xemex s’est alors adressée à Aspen pour obtenir le paiement des montants en souffrance.

Dans un premier temps, le juge saisi de la requête a décidé qu’Aspen était un « propriétaire » au sens de la loi PPCLA, car les travaux avaient été implicitement effectués à la demande d’Aspen et pour l’avantage de cette dernière. Toutefois, cette décision a été annulée en appel par un juge en chambre au motif que, même si les travaux ont été implicitement effectués à la demande d’Aspen, cette dernière n’a pas obtenu d’avantage direct. Selon la Cour, pour qu’il y ait avantage direct, « l’avantage doit être immédiat ».[5]Dans le cas qui nous occupe, le chantier de construction a été laissé inachevé et en désordre, et il en coûterait beaucoup d’argent à Aspen pour rendre les locaux disponibles à des fins de commercialisation. La Cour a estimé qu’Aspen n’avait pas tiré un avantage direct des travaux de Xemex et a rejeté l’appel au motif qu’Aspen ne répondait pas à la troisième composante de la définition de « propriétaire » en vertu de la loi PPCLA. Par conséquent, le privilège a été déclaré invalide.

Xemex a porté la décision du juge en chambre en appel, soutenant que i) Aspen a obtenu un bénéfice direct provenant des améliorations locatives, et ii) à titre subsidiaire, Xemex a réalisé les améliorations locatives avec le lien contractuel et le consentement d’Aspen. La Cour d’appel a confirmé la décision du juge en chambre et a rejeté l’appel

À retenir

Dans la cause Xemex ABCA, la Cour d’appel a estimé que le propriétaire n’avait pas bénéficié d’un avantage direct en raison de circonstances factuelles spécifiques. Plus particulièrement, les travaux en question avaient laissé le chantier en désordre, étaient incomplets et comportaient une disposition des bureaux qui aurait rendu la commercialisation de l’espace difficile et coûteuse pour le propriétaire. Néanmoins, la Cour a énoncé quelques facteurs à prendre en considération pour déterminer si l’exigence d’un « avantage direct » en vertu de la loi PPCLA est satisfaite :

  • La simple propriété légale d’un intérêt en fief simple ne suffit pas pour constituer un avantage direct pour le propriétaire aux fins de la loi PPCLA. Des exigences supplémentaires sont nécessaires.
  • La participation active d’un propriétaire à l’augmentation des revenus provenant des locaux loués peut constituer un avantage direct.
  • L’amélioration des surfaces communes au-delà des surfaces louées peut constituer un avantage direct.
  • Un droit de réversion sur les améliorations locatives à l’expiration ou à la résiliation du bail, sans plus, n’est pas suffisant pour constituer un avantage direct pour le propriétaire.
  • Il ne peut y avoir de bénéfice direct lorsque le propriétaire doit dépenser des sommes pour achever les améliorations ou réaménager les locaux en vue d’une utilisation future.
  • La participation active d’un propriétaire à un projet de construction et le contrôle qu’il exerce sur celui-ci peuvent être pertinents, mais ils doivent être considérés dans le contexte de l’intérêt du propriétaire à veiller à ce que les améliorations soient effectuées de manière à ne pas avoir d’incidence négative sur les autres locataires ou sur l’immeuble lui-même.

Ces facteurs démontrent que les circonstances propres à chaque cas sont cruciales pour déterminer si une amélioration atteint le seuil d’« avantage direct ». Les propriétaires et les entrepreneurs doivent examiner attentivement leurs droits et leur responsabilité potentielle concernant les projets d’améliorations locatives d’un locataire.

Même si les décisions de la Cour d’appel ou du juge en chambre ne l’ont pas expressément envisagé, ces arrêts soulèvent une question intéressante, à savoir si les services fournis ou les matériaux livrés peuvent toujours constituer une « amélioration » grevée d’un privilège en vertu de l’article 1(d) de la loi PPCLA si le « propriétaire » n’en tire aucun avantage direct. Dans le cas qui nous occupe, la Cour a estimé que, bien que les travaux aient été effectués, ceux-ci n’avaient aucune valeur pour le propriétaire. Ces scénarios ne se limitent pas aux situations entre propriétaires et locataires, et il est possible d’avancer ce type d’argument pour contester la validité de n’importe quel privilège. 

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[1] Xemex Contracting Inc. c. Aspen Properties (Northland Place) Ltd., 2025 ABCA 49 (« Xemex ABCA »).

[2] Prompt Payment and Construction Lien Act, RSA 2000, c. P 26.4 (la « loi PPCLA »).

[3]Xemex supra, note 1, paragraphe 9.

[4]Ibid., paragraphe 10.

[5] Xemex Constracting Inc. c. Koor Energy Ltd., 2023 ABKB 577, paragraphe 24.