Dans l’affaire Canada (Revenu national) c. BMO Nesbitt Burns Inc. instruite en 2022, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a sollicité une ordonnance, en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) [la « Loi »], en vue d’obliger BMO Nesbitt Burns Inc. (la « défenderesse ») à se conformer à sa demande de renseignements. Au cœur du litige se trouvait, entre autres, un document appelé le « modèle-maître de tarification sommaire » (le « modèle-maître ») que la défenderesse a produit avec l’apport de ses avocats en se fondant sur deux mémoires juridiques. En réponse à la demande formulée, la défenderesse a fourni une copie du modèle-maître contenant des passages caviardés qu’elle prétendait être assujettis au secret professionnel de l’avocat. La revendication de privilège reposait principalement sur le fait que les conseils juridiques traduits en calculs dans le modèle-maître seraient révélés si ces calculs étaient dévoilés. Il s’agit là d’un argument convaincant, s’il est étayé par les faits. Le ministre a soutenu que le modèle-maître est un « document opérationnel » qui, en tant que produit final ou incidence opérationnelle des conseils juridiques, ne reprend pas « strictement l’avis juridique fourni » à la défenderesse. Dans l’abstrait, il est difficile de voir comment le produit final des conseils juridiques ne révèle pas l’avis proprement dit ou ne dévoile pas, à tout le moins, les visées du client. La Cour a cité comme exemple le passage suivant de l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Canada (Commissaire à l’information) pour expliquer que le produit final des conseils juridiques ne reprend pas nécessairement l’avis fourni :
[…] une organisation peut recevoir de nombreux conseils juridiques liés à l’élaboration d’une politique contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Cependant, la mise en œuvre opérationnelle de ces conseils – la politique et sa diffusion auprès du personnel de l’organisation en vue d’en assurer le fonctionnement correct et professionnel – n’est pas protégée, sauf dans la mesure où la politique reprend strictement l’avis juridique fourni par l’avocat.
En réponse à la revendication de privilège, le ministre a demandé, entre autres, des détails concernant l’auteur et les destinataires du modèle-maître et si des copies avaient été faites. Il est possible que ces questions aient été posées dans le but de déterminer si le secret professionnel a été levé ou compromis. Un aspect important du secret professionnel est le fait que la communication se limite à l’avocat et à son client, sauf dans certains cas bien précis.
Dans son analyse, la Cour a indiqué que, dans sa formulation la plus simple, pour qu’un document soit protégé par le secret professionnel de l’avocat, il « doit être une communication entre un avocat et son client qui comporte la recherche ou la prestation de conseils juridiques et qui est censée être confidentielle ». On retrouve dans ce passage les trois éléments essentiels pour qu’une communication soit protégée, à savoir qu’elle : 1) a lieu entre un avocat et son client; 2) comporte la recherche ou la prestation de conseils juridiques; 3) est censée être confidentielle.
La Cour a fait référence à la décision Canada (Revenu national) c. Revcon Oilfield Constructors Incorporated, au paragraphe 12 , qui cite l’arrêt Descôteaux et autre c. Mierzwinski, aux pages 892-893, dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :
[…] le client d’un avocat a droit au respect de la confidentialité de toutes les communications faites dans le but d’obtenir un avis juridique. Qu’ils soient communiqués à l’avocat lui-même ou à des employés, qu’ils portent sur des matières de nature administrative comme la situation financière ou sur la nature même du problème juridique, tous les renseignements que doit fournir une personne en vue d’obtenir un avis juridique et qui sont donnés en confidence à cette fin jouissent du privilège de confidentialité.
Il incombe à la partie qui prétend qu’un document est protégé par le secret professionnel de l’avocat de prouver ses prétentions.
La Cour s’est également appuyée sur l’arrêt Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada, 1995 CarswellNat 675, [1995] 2 CF 762 (CAF), au paragraphe 8, précisant que « la Cour d’appel a expliqué que le secret professionnel de l’avocat doit avoir une vaste portée et qu’il existe un continuum de communications auxquelles s’applique le secret professionnel de l’avocat ». La Cour a notamment reproduit le passage suivant du jugement :
Le privilège des conseils juridiques protège toutes les communications entre un avocat et son client, écrites ou orales, qui sont directement liées à la demande, à la formulation ou à la fourniture de conseils juridiques; il n’est pas nécessaire que la communication constitue une demande ou une offre expresse de conseils, dans la mesure où elle peut être tenue pour faire partie d’une communication continue au cours de laquelle l’avocat dispense des conseils; la communication protégée ne se limite pas à l’exposé du droit présenté au client, et elle comprend les conseils touchant les mesures à prendre dans le contexte juridique pertinent.
La Cour a défini le critère permettant de déterminer où s’arrête le continuum en citant le paragraphe 28 de l’arrêt Commissaire à l’information :
« […] la divulgation de la communication risque-t-elle de nuire à l’objectif qui sous-tend le secret professionnel – soit de permettre aux avocats et à leurs clients d’échanger librement et ouvertement des renseignements et des conseils de manière à ce que les clients puissent connaître leurs droits et obligations véritables et agir en conséquence? »
Examinant la preuve, la Cour a indiqué que les éléments de preuve par affidavit sur lesquels la défenderesse s’est appuyée étaient vagues, mais soigneusement formulés. La Cour a souligné que selon la défenderesse, les passages caviardés ont été ajoutés pendant que des discussions étaient en cours avec les avocats, et non après qu’elle eut obtenu leurs conseils juridiques. En outre, lorsque les représentants de la défenderesse ont été invités, en contre-interrogatoire, à fournir de plus amples renseignements, leurs réponses ont porté principalement sur l’incidence « de la divulgation de renseignements confidentiels à d’éventuels concurrents commerciaux ». La preuve de la défenderesse s’est avérée insuffisante pour étayer une revendication de privilège à l’égard du modèle-maître.
La Cour a conclu que les passages caviardés dans le modèle-maître n’étaient pas protégés par le secret professionnel de l’avocat, étant donné que la « façon dont la partie caviardée du modèle-maître, qui établit les calculs, transmettrait les conseils juridiques n’est pas du tout évidente ». La défenderesse a interjeté appel de la décision devant la Cour d’appel fédérale.
Cette affaire illustre bien l’approche adoptée par l’Agence du revenu du Canada pour contester la position selon laquelle un document est protégé par le secret professionnel de l’avocat et fournit un bon aperçu du droit canadien en ce qui a trait au privilège des communications applicable aux documents préparés sur le fondement de conseils juridiques. Il n’est pas toujours simple de s’assurer qu’un document demeure protégé par le secret professionnel de l’avocat, et cette protection n’est pas garantie. Des protocoles appropriés doivent être mis en place dès le départ et doivent être respectés tant et aussi longtemps que le client désire maintenir le secret professionnel.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur le secret professionnel de l’avocat ou l’établissement de protocoles en la matière, n’hésitez pas à communiquer avec un membre de l’équipe Fiscalité des entreprises de Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.