Hollywood adore l’anticipation et l’avenir en général. Trame futuriste, facultés surnaturelles, nouvelles technologies… les films de science-fiction dominent le grand écran et le marché de la diffusion en continu. Selon de nombreux commentateurs, s’ils ne cessent de fasciner, c’est qu’ils reflètent la société contemporaine et soulèvent des questions importantes quant à ce qui pourrait ou devrait changer. (D’autres, plus cyniques, diraient qu’ils sont lucratifs et que les producteurs et les studios s’intéressent strictement aux bénéfices.)
Des avancées technologiques rendent la production d’hydrogène de plus en plus viable et promettent d’apporter des solutions à des problèmes bien réels : épuisement des énergies fossiles, pollution carbonique, changements climatiques, etc. Pourtant, l’hydrogène n’imprègne pas encore l’imaginaire hollywoodien – et ne suscite donc pas l’enthousiasme général du public – comme le font l’intelligence artificielle, le génie génétique et d’autres domaines émergents. On ne voit dans aucune production télévisuelle ou cinématographique à succès (à ce qu’en savent les auteurs du présent article) des robots perfectionnés fonctionnant à l’hydrogène ou des savants fous manigançant pour avoir le monopole de l’hydrogène. Ce n’est qu’une question de temps avant que les producteurs hollywoodiens flairent la bonne affaire.
Il demeure que l’avenir appartient à l’hydrogène, et pour montrer la voie, quoi de mieux que des crédits d’impôt remboursables? Dans l’Énoncé économique de l’automne de 2022, Ottawa a annoncé un crédit d’impôt à l’investissement dans l’hydrogène, mais il restait de l’incertitude quant au détail du programme à instaurer. On peut, par exemple, se référer à l’Inflation Reduction Act des États-Unis, une loi soutenant les projets d’hydrogène propre, à commencer par ceux qui produisent 4,0 kilogrammes (kg) ou moins d’équivalent CO2 (éq. CO2) par kilogramme d’hydrogène. L’Inflation Reduction Act prévoit des crédits d’impôt (applicables aux coûts de production ou aux coûts d’achat d’équipement) maximaux pour les projets émettant moins de 0,45 kg d’éq. CO2 par kilogramme d’hydrogène. Dans l’Énoncé économique de l’automne de 2022, le gouvernement du Canada s’est engagé à équilibrer les règles du jeu entre le Canada et les États-Unis en ce qui a trait aux emplois et aux investissements des entreprises et a lancé un processus de consultation visant à ce qu’un éventuel programme incitatif pour l’hydrogène propre soit adapté au contexte canadien.
Depuis, il a proposé dans le budget de 2023 le crédit d’impôt à l’investissement pour l’hydrogène propre (le « crédit d’impôt pour l’HP »), lequel est remboursable, c’est-à-dire que le contribuable y ayant droit recevra de l’argent même s’il n’a pas d’impôt sur le revenu à payer. Quoi qu’il y paraisse, ce n’est pas de la science-fiction hollywoodienne.
À qui s’adresse le crédit d’impôt pour l’HP? Il s’agit exclusivement de projets qui produisent la totalité, ou presque, de l’hydrogène par des procédés approuvés. Plus précisément, le crédit s’applique aux coûts d’achat et d’installation d’« équipement admissible » pour les projets qui produisent de l’hydrogène à partir de l’électrolyse ou de gaz naturel (tant que les émissions sont réduites par captage, utilisation et stockage du carbone [« CUSC »]). La production d’électricité excédentaire pouvant être revendue au réseau ne sera pas comptabilisée vis-à-vis du critère « la totalité, ou presque, de l’hydrogène ».
La prochaine question consiste à savoir ce qu’est l’« équipement admissible ». De manière générale, on parle d’équipement disponible aux fins d’utilisation au Canada, par exemple :
- l’équipement nécessaire à la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau (si la totalité ou presque de son utilisation est destinée à produire de l’hydrogène);
- l’équipement nécessaire pour produire de l’hydrogène à partir de gaz naturel dont les émissions sont réduites à l’aide du CUSC (si la totalité ou presque de son utilisation est destinée à produire de l’hydrogène), à l’exclusion de l’équipement déjà décrit dans la catégorie 57 ou 58, qui est admissible au crédit d’impôt à l’investissement pour le CUSC;
- l’équipement de production d’oxygène servant à produire de l’hydrogène (à condition que le CO2 résultant soit capté par un procédé de CUSC);
- l’équipement qui produit de la chaleur ou de l’électricité à partir de gaz naturel ou d’hydrogène;
- l’équipement de production d’électricité ou de chaleur à double utilisation (s’il est prévu que le solde énergétique soit utilisé à plus de 50 % pour appuyer le procédé de CUSC ou la production d’hydrogène qui est admissible au crédit d’impôt pour l’HP proposé); et
- Les biens nécessaires pour convertir l’hydrogène propre en ammoniac propre (ces biens ne seraient admissibles qu’au taux de crédit le plus faible décrit plus bas).
Producteurs de films et producteurs d’hydrogène se poseront la même « question à un million de dollars » : qu’est-ce que j’y gagne (dans ce cas-ci, sur le plan fiscal)? Les crédits d’impôt remboursables, calculés par rapport aux coûts d’achat et d’installation d’équipement admissible, seront assortis d’une échelle dégressive fondée sur l’intensité carbonique (« IC ») de l’hydrogène produit. Les taux suggérés par kilogramme d’hydrogène se déclinent comme suit :
- 40 % pour une IC inférieure à 0,75 kg;
- 40 % pour une IC supérieure ou égale à 0,75 kg, mais inférieure à 2 kg; et
- 15 % pour une IC supérieure ou égale à 2 kg, mais inférieure à 4 kg.
Dans le budget de 2023, il est proposé de calculer l’IC « du berceau à la porte », en prenant en compte les émissions générées en amont (notamment pour produire du gaz naturel), jusqu’au point où l’hydrogène quitte les installations de production.
Le non-respect de certaines exigences en matière de main-d’œuvre pourra réduire les crédits d’impôt de 10 % (jusqu’à un minimum de 0 % durant la période d’élimination progressive, en 2034; voir plus loin). Ces exigences s’appliqueront aux travailleurs dont les fonctions sont principalement de nature manuelle ou physique, et à ceux dont les fonctions sont principalement de nature administrative, de supervision ou de direction. Elles se divisent en deux volets :
- Exigence relative au salaire en vigueur – Les travailleurs devront être rémunérés à un niveau équivalent ou supérieur au salaire pertinent précisé dans une convention collective admissible, compte tenu des salaires, des cotisations à un régime de retraite et des avantages sociaux. L’entreprise pourrait verser une rémunération « corrective » et payer des pénalités pour régler les cas d’inobservation.
- Exigence à l’égard d’apprentis – Au moins 10 % du total des heures de travail effectuées par des travailleurs visés devront être le fait d’apprentis inscrits.
Pour mesurer l’intensité carbonique (et ainsi chiffrer le crédit d’impôt pour l’HP à accorder), on utilisera le Modèle d’analyse du cycle de vie des combustibles du gouvernement, tenu à jour par Environnement et Changement climatique Canada. Une analyse de l’IC devra être soumise à l’État, qui effectuera la vérification résumée ci-dessous.
- Étape 1 – Étude initiale d’ingénierie et de conception.
- Étape 2 – Analyse initiale visant à connaître l’IC prévue de l’hydrogène produit par le projet. C’est le résultat de cette analyse qui déterminera le taux du crédit accordé. À noter qu’il faudra faire réévaluer les projets ayant fait l’objet d’une refonte importante.
L’exercice ne se résume toutefois pas à la vérification. Pour demeurer admissible au crédit d’impôt pour l’HP, il faudra aussi démontrer que le projet atteint le niveau de production prévu. L’analyse aura lieu sur une période encore indéterminée et sera vérifiée par un tiers indépendant. Le crédit d’impôt pour l’HP pourra être recouvré en cas d’écart entre l’IC prévue et l’IC observée en cours de production.
Notons que là où les producteurs peuvent surfer sur la vague d’un succès au box-office en produisant une suite, les contribuables doivent choisir un seul crédit du budget de 2023, même si un bien donne droit à plusieurs : crédit d’impôt pour l’HP, crédit d’impôt à l’investissement dans le captage, l’utilisation et le stockage de carbone, crédit d’impôt à l’investissement dans les technologies propres, crédit d’impôt à l’investissement dans l’électricité propre ou crédit d’impôt à l’investissement dans la fabrication de technologies propres. Cela dit, un projet pourrait rendre admissible à plusieurs crédits s’il comporte différents types de biens admissibles.
Le crédit d’impôt pour l’HP s’applique aux biens acquis devenant prêts à être mis en service après le jour du dépôt du budget, soit le 28 mars 2023. Notons que le temps presse, car contrairement aux diamants, le crédit d’impôt pour l’HP n’est pas éternel : il sera éliminé progressivement et n’existera plus en 2034. L’équipement admissible devenant prêt à être mis en service en 2034 donnera droit à un crédit d’impôt pour l’HP réduit de 50 %. L’équipement admissible devenant prêt à être mise en service après 2034 ne donnera pas droit à un crédit d’impôt pour l’HP.
Les promesses de l’hydrogène ne pourront être tenues que si des perceptions nouvelles et des points de vue optimistes se généralisent. Dans ce contexte, les importantes réformes fiscales qui s’opèrent au Canada et aux États-Unis aideront à établir un marché de l’hydrogène fiable et robuste. Une franchise hollywoodienne de plusieurs milliards de dollars à propos d’un séduisant rebelle chassant les criminels sur sa motocyclette à l’hydrogène amènerait certainement des changements d’attitude, mais laissons les scénaristes de science-fiction faire leur travail.
Pour toute question, n’hésitez pas à communiquer avec un membre du groupe Fiscalité des entreprises de Miller Thomson.