Décisions de la Cour suprême du Canada
Le vendredi 3 juin 2016, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a publié deux décisions importantes [Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec et Barreau du Québec, 2016 CSC 20 (« Chambre des notaires »); et Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21 (« Thompson »)] confirmant l’importance du privilège des communications entre client et avocat. Ces décisions confirment les limites constitutionnelles imposées à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), tel qu’elle est modifiée (la « Loi »). L’issue de ces deux causes pourrait inciter le ministère des Finances (à la demande insistante de fonctionnaires de l’ARC) à envisager l’introduction de nouvelles dispositions législatives dans le but d’obtenir certains types de renseignements qui paraissent maintenant hors de portée de l’ARC. Une lecture attentive des motifs de la CSC dans les arrêts Chambre des notaires et Thompson donne à penser que l’adoption de telles dispositions n’est peut-être pas nécessaire.
Les deux causes présentent des faits très simples. Dans chaque cas, l’ARC a envoyé, comme elle le fait souvent, une demande péremptoire de production de documents ou de renseignements (une « demande péremptoire ») conformément à l’article 231.2 de la Loi. Toutefois, dans l’affaire Chambre des notaires, l’ARC a adressé la demande péremptoire non pas directement aux contribuables, mais plutôt à des notaires les représentant au Québec. L’ARC soutenait que les renseignements demandés étaient visés par l’exception relative aux « relevés comptables » énoncée dans la définition du privilège des communications entre client et avocat au paragraphe 232(1) de la Loi. La Chambre des notaires et le Barreau du Québec soutenaient que l’exception relative aux relevés comptables des notaires et des avocats, énoncée dans la définition du « privilège des communications entre client et avocat » au paragraphe 232(1) de la Loi, était inconstitutionnelle, inopérante et sans effet à l’égard des notaires. Leur argument reposait sur leur souci commun de préserver le droit au secret professionnel de leurs clients (terme technique utilisé au Québec, renvoyant au privilège des communications entre client et avocat). Les tribunaux inférieurs du Québec ont donné raison à la Chambre des notaires et au Barreau du Québec. La Cour supérieure et la Cour d’appel ont toutes deux tranché en leur faveur.
À la suite d’un autre appel, la CSC a confirmé les décisions des tribunaux inférieurs. Elle statue que le paragraphe 231.2(1) et l’article 231.7 de la Loi sont inconstitutionnels, inopérants et sans effet à l’égard des notaires et des conseillers juridiques. De plus, elle juge inconstitutionnelle l’exception relative aux relevés comptables d’un avocat énoncée dans la définition du privilège des communications entre client et avocat au paragraphe 232(1) de la Loi. Enfin, la CSC déclare qu’« il n’est pas à propos d’établir une liste de documents bénéficiant prima facie de la protection du secret professionnel. Déterminer qu’un document bénéficie ou non de la protection du secret professionnel ne dépend pas de la catégorie à laquelle il appartient, mais plutôt de son contenu et de ce qu’il est susceptible de révéler sur la relation et les communications entre un client et son conseiller juridique. » [Chambre des notaires, par. 95.]
Dans l’affaire Thompson, l’ARC a envoyé, aux termes du paragraphe 231.2(1) de la Loi, une demande péremptoire exigeant la production de divers documents relatifs aux finances personnelles de Monsieur Thompson, ainsi que la liste à jour de ses comptes clients. Monsieur Thompson a fourni certains renseignements à l’ARC, mais il a invoqué le privilège des communications entre client et avocat quant aux détails de ses comptes clients, qui incluaient les noms de ses clients. Le ministre du Revenu national a demandé à la Cour fédérale de rendre une ordonnance conformément à l’article 231.7 de la Loi. Monsieur Thompson a répliqué que la demande péremptoire de l’ARC constituait une fouille, une perquisition ou une saisie abusive en violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).
La Cour fédérale a conclu que les noms des clients pouvaient être communiqués, et ce, sans que soit violé l’article 8 de la Charte. En appel, la Cour d’appel fédérale a statué que les renseignements demandés par l’ARC pouvaient contenir des renseignements privilégiés. Plus précisément, les clients dont l’identité était de fait protégée devaient avoir la possibilité d’invoquer et de défendre ce privilège, et Monsieur Thompson devait pouvoir l’invoquer pour leur compte. La Cour d’appel fédérale a rejeté la contestation fondée sur la Charte. Compte tenu de ses conclusions, la Cour d’appel a renvoyé l’affaire à la Cour fédérale.
Le gouvernement a interjeté appel de la décision de la Cour d’appel fédérale devant la CSC. La seule question dont cette dernière a été saisie portait sur l’interprétation de l’exception que prévoit à l’égard des relevés comptables de l’avocat la définition du privilège des communications entre client et avocat figurant au paragraphe 232(1) de la Loi.
L’affaire Thompson était manifestement connexe à l’affaire Chambre des notaires. Par conséquent, la CSC a jugé qu’en raison de la conclusion d’inconstitutionnalité à laquelle elle était arrivée dans l’arrêt Chambre des notaires quant à l’exception que prévoit la définition du « privilège des communications entre client et avocat » au paragraphe 232(1) de la Loi, la demande du ministre visant à contraindre Monsieur Thompson à communiquer les documents en cause devait être rejetée. La CSC exprime l’avis suivant : « Les renseignements contenus dans ces documents sont présumés privilégiés et ne peuvent être communiqués que si un tribunal décide au préalable que le privilège des communications entre client et avocat ne s’applique pas. » [Thompson, par. 41.]
Revenant aux mesures parlementaires possibles, la CSC fait remarquer que le Parlement pourrait tenter de remédier aux vices constitutionnels de la procédure de demande péremptoire actuellement établie en vertu des articles 231.2 et 231.7 de la Loi. Cependant, si le Parlement ne modifie pas le cadre juridique actuel, des tribunaux pourraient dans l’avenir devoir déterminer si certains renseignements sont protégés ou non par le privilège des communications entre client et avocat et, dans la négative, en ordonner la communication. La CSC commente donc l’à?propos des mesures prises par la Cour d’appel fédérale. Dans l’ensemble, la CSC est d’avis que la Cour d’appel fédérale a eu raison de renvoyer le dossier de Monsieur Thompson à la Cour fédérale pour qu’elle tranche la question de savoir si certains renseignements contenus dans les relevés comptables demandés par l’ARC sont privilégiés et donc soustraits à la communication. [Thompson, par. 38.]
Toutefois, la CSC ajoute que le privilège des communications entre client et avocat est un droit qui appartient au client d’un professionnel du droit et que seul le client peut y renoncer. Par conséquent, l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale n’aurait pas suffi pour protéger les droits des clients de Monsieur Thompson. Selon une proposition de la CSC, pour que les clients aient la possibilité d’invoquer leur droit au privilège des communications entre client et avocat, ils doivent être informés lorsqu’un tribunal entend examiner et prononcer une ordonnance exigeant la communication de renseignements pouvant être considérés comme privilégiés. Les contribuables doivent également pouvoir décider de contester ou non la communication de renseignements, et, s’ils souhaitent contester la demande de l’État, ils doivent se voir permettre de défendre eux-mêmes leur point de vue. [Thompson, par. 40.] En bref, même si le législateur décide d’apporter des modifications, celles-ci devraient permettre d’assurer aux clients auxquels se rapportent les renseignements demandés la possibilité de participer au processus de revendication des protections auxquelles ils ont droit. [Thompson, par. 40.]
Ces décisions donnent lieu à un certain nombre de questions et de possibilités. Le gouvernement introduira-t-il de nouvelles dispositions législatives? Les contribuables et, plus particulièrement, leurs conseillers juridiques déploieront-ils des efforts accrus pour s’opposer à la communication de documents ou de renseignements pouvant être considérés comme sensibles ou protégés? Comment les tribunaux inférieurs réagiront-ils aux contestations futures de demandes péremptoires et comment les trancheront-ils à la lumière de ces décisions de la CSC?
David W. Chodikoff est responsable du groupe national d’expertise en litiges fiscaux et associé en fiscalité de Miller Thomson s.e.n.c.r.l.