Dans une mise en scène sans précédent, peu après la clôture des marchés hier après-midi, le président des États-Unis a signé un décret présidentiel déclenchant une nouvelle offensive tarifaire visant, cette fois, l’ensemble de la planète.
En effet, le jour dit de la Libération, Donald J. Trump a annoncé l’imposition d’un tarif de base de 10 % sur toutes les importations à compter du 5 avril 2025 à minuit HAE, invoquant la loi de 1977 International Emergency Economic Powers Act (la « loi IEEPA ») dans le but de « s’attaquer à l’urgence nationale que représente le déficit commercial structurel chronique, découlant de l’absence de réciprocité dans les échanges commerciaux internationaux et d’autres politiques défavorables, comme la manipulation des devises ou les taxes exorbitantes sur la valeur ajoutée (TVA) dans plusieurs pays ».
À compter du 9 avril 2025, à minuit HAE, des hausses tarifaires personnalisées – que la Maison-Blanche appelle des « droits de douane réciproques » – seront imposées à une longue liste de pays avec lesquels les États-Unis accusent les plus importants déficits commerciaux. De nombreux pays en développement ou moins développés, notamment le Lesotho, le Cambodge, le Laos, Madagascar, le Vietnam, le Sri Lanka, le Myanmar, l’île Maurice et le Bangladesh, sont parmi les plus durement touchés (entre 37 et 50 %), tandis que pour la Chine, des droits de douane supplémentaires de l’ordre de 34 % s’ajouteront aux droits de 20 % déjà imposés. Les importations en provenance de l’Union européenne sont désormais assujetties à des droits de douane de 20 %, tandis que les importations en provenance de pays traditionnellement alliés, comme le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Ukraine subiront des droits de douane de 10 %. Il est étonnant de constater que le taux de base de 10 % a aussi frappé des pays en situation de déficit commercial avec les États-Unis en 2024, comme le Royaume-Uni, le Brésil et Singapour.
Le décret comprend un pouvoir de modification, en vertu duquel le président peut imposer des droits plus élevés à tout pays qui prend des mesures de rétorsion, ou moins élevés à tout pays qui « prend des mesures concrètes pour corriger les déséquilibres commerciaux non réciproques et se rapprocher des priorités américaines en matière d’économie et de sécurité nationale ».
Plusieurs commentateurs ont fait remarquer que ces nouvelles mesures mettaient effectivement fin à un système de commerce mondial en vigueur depuis plus de 75 ans. L’avenir le confirmera, mais au vu des nouveaux taux parfois supérieurs à ceux imposés par la loi de 1930 Smoot-Hawley Tariff Act et des représailles commerciales attendues de plusieurs partenaires commerciaux, il semble plausible que les États-Unis se retrouvent progressivement barricadés derrière des barrières tarifaires.
Exclusions et exemptions
Nous avons noté que la Russie ne figure pas sur la liste des pays à qui des droits de douane réciproques plus élevés et personnalisés seront imposés. La porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, explique que les sanctions américaines en vigueur « font obstacle à toute relation commerciale substantielle ». Toutefois, le secrétaire au Commerce des États-Unis a indiqué qu’en 2024, les États-Unis ont importé un total de 3,5 milliards $ US de Russie, [1]principalement des ressources énergétiques, des minéraux, des métaux et des engrais.
Les marchandises composées d’intrants d’origine américaine représentant au moins 20 % de leur valeur bénéficient d’une exemption partielle. Dans ce cas, les droits de douane réciproques ne s’appliquent qu’au contenu non américain du produit importé.
Plusieurs produits sont expressément exemptés de droits de douane réciproques, notamment ceux sur lesquels sont imposés des droits de douane distincts de 25 % en vertu de l’article 232 du Trade Act of 1962, comme les véhicules et les pièces automobiles, l’acier et l’aluminium ainsi que d’autres produits sur lesquels des enquêtes de sécurité nationale sont en cours ou potentielles en vertu de l’article 232, notamment le cuivre, le bois d’œuvre, les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques. Nous surveillons la publication de l’annexe au décret dans laquelle nous attendons la confirmation des autres produits qui devraient bénéficier d’une exemption et de ceux sur lesquels les droits de douane réciproques ne seront pas appliqués, par exemple, certaines ressources énergétiques et certains minéraux critiques.
Répit limité et temporaire pour le Canada et le Mexique
Le Canada et le Mexique, qui étaient dans le collimateur des États-Unis depuis les premiers jours de cette guerre commerciale, [2]ont été expressément exclus de la liste des pays touchés par ces nouveaux tarifs réciproques, mais il est possible que ce répit ne soit que temporaire. Si les tarifs imposés en vertu de la loi IEEPA invoquée pour viser le fentanyl et l’immigration illégale dans ces deux pays devaient être supprimés, les produits importés ne répondant pas aux critères de certification de l’ACEUM en provenance du Canada et du Mexique seraient automatiquement frappés par des tarifs douaniers réciproques de 12 %.
La bonne nouvelle est que les produits avec certification ACEUM fabriqués au Canada ou au Mexique continueront à bénéficier d’un traitement tarifaire préférentiel dans le cadre de cet accord de libre-échange. Toutefois, du moins pour le moment, l’énergie, les minéraux critiques et la potasse n’ayant pas la certification de l’ACEUM seront encore assujettis à des droits de 10 % alors que des droits de 25 % seront imposés à tous les autres produits n’ayant pas la certification ACEUM.
Il est également important de noter que toutes les importations aux États-Unis de produits en acier et en aluminium et dérivés de l’acier et de l’aluminium, restent frappées de droits de douane ad valorem de 25 %. Entrée en vigueur le 12 mars 2025, cette mesure s’applique en vertu de l’article 232 du Trade Expansion Act of 1962.
Véhicules et pièces automobiles
Dans une autre annonce proclamée le 26 mars 2025, le président Trump a imposé des droits de douane ad valorem de 25 % sur les véhicules et certaines pièces automobiles afin de remédier aux enjeux relatifs à « la sécurité nationale des États-Unis en vertu de l’article 232 du Trade Expansion Act of 1962, dans sa version amendée ». En vigueur depuis le 3 avril 2025 à midi (HAE), ces nouveaux droits de douane touchent tous les véhicules de tourisme importés (berlines, VUS, véhicules multisegments, minifourgonnettes et fourgonnettes) ainsi que les camions légers, mais une date et une heure d’entrée en vigueur seront précisées dans le registre fédéral, au plus tard le 3 mai 2025, pour les principales pièces automobiles (moteurs, transmissions, pièces du motopropulseur et composants d’équipement électrique).[3]Ce pourcentage s’appliquera en plus de tous les autres droits, redevances, exactions et charges.
Véhicules avec certification ACEUM
Dans le cas des véhicules automobiles bénéficiant d’un traitement tarifaire préférentiel au titre de l’ACEUM, le tarif ad valorem de 25 % ne s’appliquera qu’à la valeur de tout composant non américain. Pour bénéficier de cette dérogation, les importateurs doivent soumettre au secrétaire au Commerce des documents indiquant les composants américains dans chaque modèle importé aux États-Unis, étant entendu que l’expression « contenu américain » désigne la proportion de la valeur du véhicule attribuable à des pièces dont la fabrication ou la transformation a été réalisée intégralement ou de façon significative aux États-Unis. La proclamation prévoit des sanctions sévères en cas de surestimation de contenu américain :
Si le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (le U.S. Customs and Border Protection (CBP)) détermine que la valeur déclarée du contenu non américain d’un véhicule automobile, selon les dispositions de la clause (2) de cette proclamation, est inexacte pour cause de surestimation du contenu américain, des droits de 25 % s’appliqueront à la valeur totale du véhicule automobile, quel que soit le contenu américain réel de l’automobile. De plus, des droits de 25 % s’appliqueront rétroactivement (à compter du 3 avril 2025 jusqu’à la date de la surestimation inexacte) et prospectivement (de la date de la surestimation inexacte à la date à laquelle l’importateur corrige la surestimation, sous réserve de la vérification du CBP) à la valeur totale de tous les véhicules automobiles du même modèle importés par le même importateur. Cette clause ne s’applique pas aux autres honoraires ou pénalités applicables et n’a pas d’incidence sur ces montants.
Pièces automobiles avec certification ACEUM
Les droits ad valorem de 25 % sur les pièces automobiles avec certification ACEUM sont actuellement suspendus jusqu’à ce que le secrétaire au Commerce, en consultation avec le Service des douanes et de la protection des frontières, mette en place un processus visant à appliquer les tarifs douaniers exclusivement à la valeur du contenu non américain de ces pièces automobiles, et qu’il publie un avis dans le registre fédéral.
Droits de rétorsion du Canada sur les véhicules fabriqués aux États-Unis
Le premier ministre Mark Carney a annoncé aujourd’hui que le Canada imposerait des droits de douane réciproques de 25 % sur tous les véhicules automobiles finis fabriqués aux États-Unis qui ne sont pas certifiés ACEUM.[4]Nous surveillons les dernières nouvelles à ce sujet et nous vous tiendrons informés.
Fin de la dispense de minimis
Un autre décret a été signé le 2 avril 2025, éliminant le traitement de minimis en franchise de droits pour les importations de faible valeur en provenance de Chine et de Hong Kong à compter du 2 mai 2025 à minuit HAE. En conséquence :
- tous les biens importés transportés aux États-Unis par un moyen autre que le réseau postal international seront assujettis à l’ensemble des droits, procédures d’entrée et de paiement applicables, même si leur valeur en douane est inférieure à 800 $ US;
- tous les biens importés transportés aux États-Unis par l’entremise du réseau postal international dont la valeur est égale ou inférieure à 800 $ US, et qui bénéficieraient autrement de la dispense de minimis, seront assujettis à un taux de 30 % de leur valeur ou à 25 $ US par article (ce montant augmentera à 50 $ US par article après le 1er juin 2025), à la place de tout autre droit de douane.
Les entreprises de transport de ces envois postaux doivent communiquer la description des envois au CBP, détenir un cautionnement de transporteur international pour garantir le paiement des droits et effectuer le versement au CBP selon un calendrier établi. Le CBP pourrait exiger une déclaration en bonne et due forme pour tout colis postal.
Notons également que le décret présidentiel annonçant les tarifs réciproques contenait une autre annonce concernant la suppression totale de la dispense de minimis pour les envois de faible valeur en provenance de tous les pays. Cette suppression interviendra dès que le secrétaire au Commerce aura informé le président que des systèmes adéquats sont en place « pour traiter et percevoir dans leur totalité et sans délai les droits de douane applicables en vertu de la présente sous-section pour les articles pouvant par ailleurs être admissibles à la dispense de minimis ».
Un grand éventail de distributeurs et de détaillants de commerce électronique seront sans aucun doute touchés par la suppression de la dispense de minimis. Cette mesure sera un nouveau coup dur pour les entreprises manufacturières qui font transiter leurs investissements par des pays comme l’Inde, la Thaïlande, la Turquie, la Malaisie, les Philippines, le Vietnam et le Bangladesh dans le cadre de la stratégie dite « Chine + 1 ». Cette mesure aura également d’importantes répercussions sur les sociétés d’entreposage et les fournisseurs de services de logistique au Canada et au Mexique, qui détiennent actuellement des stocks de marchandises de faible valeur de cautionnement et qui fournissent des services d’exécution et de livraison directe aux consommateurs aux États-Unis. La disparition de la dispense de minimis rendra ces services nettement moins avantageux pour la plupart des biens.
Points essentiels à retenir
Nous vivons une époque des plus intrigantes! Pour pouvoir continuer à prospérer malgré cette guerre commerciale, les entreprises manufacturières ainsi que les sociétés d’import-export du Canada auraient avantage à instaurer certaines mesures cruciales :
- Faire l’analyse des manques en explorant divers scénarios pour mieux appréhender les risques et affiner les stratégies d’entreprise. Renforcer leur résilience tout en maintenant un juste équilibre avec l’efficacité.
- Passer en revue et reconfirmer les classifications tarifaires, l’origine et l’évaluation de tous les intrants provenant de l’étranger dans la chaîne de production et dans les produits finis. Si ces produits peuvent obtenir la certification ACEUM, rassembler les pièces justificatives pour documenter les dossiers et entamer les démarches pour préparer une demande de certification.
- Si la chaîne de production dépend actuellement d’intrants provenant des États-Unis frappés de droits de rétorsion canadiens ou sur le point de l’être :
- Profiter des programmes de remise et de dispense des droits de douane, sous réserve des limites fixées par l’ACEUM.
- Déployer tous les efforts possibles pour trouver des fournisseurs au Canada. Si nécessaire, élargir la recherche pour faire un survol des fournisseurs potentiels dans les 50 autres pays avec lesquels le Canada continue de bénéficier d’un traitement tarifaire préférentiel en vertu d’accords de libre-échange.
- Si aucune autre solution nationale raisonnable n’est disponible sur le plan commercial pour les intrants provenant des États-Unis, consulter un avocat expérimenté dans le domaine des douanes et du commerce afin de vérifier l’admissibilité à une remise de la surtaxe de rétorsion imposée au Canada.
- Simplifier la chaîne d’approvisionnement et les dispositions logistiques.
- Envisager de reconfigurer la structure de vente, si les lois le permettent, afin de réduire au minimum la valeur douanière des exportations vers les États-Unis ou de fabriquer en tout ou en partie des marchandises aux États-Unis. Par exemple, constituer une société de distribution à risques limités aux États-Unis, dissocier la prestation des services de la vente des biens ou conclure un contrat de sous-traitance ou de fabrication avec une entreprise américaine.
- Dans la mesure du possible, négocier la modification des dispositions des contrats de vente et d’approvisionnement afin de répartir équitablement la charge tarifaire supplémentaire entre les parties.
- Faire attention aux enjeux de transfert de prix et d’impôts sur le revenu associés aux opérations transfrontalières avec des entreprises ayant un lien de dépendance.
Le moment est venu de passer en revue les processus d’importation et d’exportation afin de réduire au minimum les répercussions des droits de douane et d’atténuer les risques liés à d’éventuelles transformations. L’adoption d’une méthode plus stratégique d’importation des marchandises pourrait aider à réduire les risques liés aux droits de douane tout en demeurant conformes.
Grâce à sa vaste expérience, notre équipe interdisciplinaire aide les entreprises à mettre en œuvre des stratégies efficaces et confirmées. Il est très important d’agir dès maintenant pour vous assurer de préserver la rentabilité de votre entreprise. Communiquez avec l’équipe Commerce mondial et douanes de Miller Thomson pour obtenir tout complément d’information ou les dernières nouvelles à ce sujet, ainsi que des stratégies personnalisées pour vous y retrouver dans l’application des droits de douane aux États-Unis et l’imposition d’une surtaxe au Canada.
[1] https://ustr.gov/countries-regions/europe-middle-east/russia-and-eurasia/russia.
[2] Voir nos publications antérieures à ce sujet, notamment : Menaces de tarifs douaniers américains en 2025 : feuille de route juridique pour renforcer la résilience des entreprises canadiennes; Les tarifs douaniers américains et les mesures de rétorsion canadiennes : ce qu’il faut savoir; et Mesures de rétorsion du Canada aux droits de douane imposés par les États-Unis.
[3] La liste des véhicules et des pièces automobiles frappés par ces droits de douane pourrait être rallongée, si nécessaire.
[4] Vipil Monga, « Canada to Hit U.S. Autos With Retaliatory Tariffs », The Wall Street Journal, 3 avril 2025.