Soupir de soulagement pour les mandataires de financements par un syndicat financier

5 octobre 2022 | Kenneth R. Rosenstein, David Reynolds, Victor Cornea

Les mandataires prenant part à des transactions de prêts syndiqués ont appris avec un grand soulagement une nouvelle concernant les paiements qu’ils peuvent effectuer par erreur aux prêteurs de leur syndicat.

Les dispositions relatives aux paiements effectués par erreur sont devenues monnaie courante dans de nombreux accords de crédit en 2021 par suite de la décision historique rendue par la United States District Court pour le Southern District of New York (la « Cour de district ») dans l’affaire In re Citibank Aug. 11, 2020 Wire Transfers (2021) 2021 WL 606167 (New York S.D. Dist. Ct. (Citibank). L’appel de cette décision, accueilli récemment, peut remettre en question la nécessité de recourir à de telles dispositions, mais nous pensons qu’elles ne sont pas près de disparaître.

Aperçu de l’affaire – re Citibank Aug. 11, 2020 Wire Transfers

Revlon Inc. (« Revlon ») était l’emprunteur lors d’une transaction de prêt syndiqué de 1,8 milliard de dollars américains dans le cadre de laquelle Citibank Inc. (« Citibank ») agissait à titre de mandataire administratif d’un syndicat de prêteurs. Le 11 août 2020, Citibank a reçu un paiement d’intérêts d’environ 7,8 millions de dollars américains de Revlon.

Au lieu d’envoyer par virement électronique à chaque prêteur sa part proportionnelle du paiement d’intérêts de 7,8 millions de dollars américains, Citibank a envoyé par erreur à chacun des prêteurs sa part proportionnelle de la totalité du solde impayé du prêt consenti à Revlon, somme qui se chiffrait à près de 900 millions de dollars américains, à partir de ses propres fonds. Citibank a rapidement avisé les prêteurs du fait que les paiements avaient été effectués par erreur et leur a demandé de lui restituer les sommes ainsi versées.

Après l’envoi des avis de remboursement, environ 385 millions de dollars américains ont été retournés à Citibank, mais certains prêteurs ont refusé de restituer à Citibank les sommes qui leur avaient été payées par erreur – soit environ 500 millions de dollars américains. Citibank a intenté des poursuites contre eux en vue de récupérer ces sommes.

Le 16 février 2021, la Cour de district a rendu sa décision, concluant que les paiements effectués par erreur constituent une forme d’enrichissement injustifié et doivent de ce fait être restitués – à moins que la défense fondée sur le principe de «décharge pour valeur reçue» puisse être établie, ce qui implique les conditions suivantes : i) le paiement vise à régler une dette valide; ii) le destinataire n’a pas fait de fausse déclaration dans le but de provoquer le paiement effectué par erreur; et iii) le destinataire n’a pas été avisé de l’erreur.

Dans cette affaire, la Cour de district a estimé que les prêteurs répondaient à tous les critères permettant d’établir la défense fondée sur le principe de décharge pour valeur reçue et que, par conséquent, ils avaient le droit de conserver le paiement effectué par erreur totalisant près de 500 millions de dollars américains.

La United States Court of Appeals for the Second Circuit (la « Cour d’appel ») a depuis renversé cette décision.

Conséquences de la décision rendue dans l’affaire Citibank

À la suite de la décision initiale de la Cour de district, les parties à des facilités de crédit syndiquées, tant aux États-Unis qu’au Canada, ont commencé à inclure des dispositions relatives aux paiements effectués par erreur dans leurs contrats de prêt à titre de mesure de protection, dans le but de s’assurer que les paiements effectués par erreur seront remboursés et que les prêteurs renoncent à leur droit de faire valoir la défense fondée sur le principe de décharge pour valeur reçue ou toute autre défense fondée sur un principe similaire (« dispositions relatives aux paiements effectués par erreur »).

Les dispositions relatives aux paiements effectués par erreur comprennent des éléments communs, notamment les suivants : i) une clause stipulant que le mandataire administratif peut, à sa seule discrétion, déterminer si un paiement a été effectué par erreur ou non; ii) les dates limites de récupération des fonds; iii) une clause obligeant les prêteurs à retourner les paiements effectués par erreur dans un délai donné, généralement deux (2) jours ouvrables après la réception d’un avis écrit; iv) l’obligation selon laquelle tout paiement retourné doit être majoré d’intérêts; v) lorsque les montants des paiements ne concordent pas, une disposition qui permet d’avertir le prêteur qu’une erreur a été commise et que le montant doit être retourné, généralement dans un délai de un (1) jour ouvrable; vi) une disposition selon laquelle chaque prêteur renonce à la défense fondée sur le principe de « décharge pour valeur reçue » utilisée par certains prêteurs dans l’affaire Revlon et à d’autres défenses fondées sur un principe similaire; vii) une clause de subrogation stipulant que le mandataire administratif est subrogé au prêteur dans l’éventualité où un paiement effectué par erreur ne serait pas récupéré; et viii) une attestation indiquant que la disposition continue de s’appliquer après la résiliation des engagements ou le remboursement de toutes les sommes dues.

Aperçu de l’affaire – Décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel est parvenue à une conclusion différente de celle de la Cour de district, estimant que la présente affaire n’entrait pas dans le champ d’application de la défense fondée sur le principe de décharge pour valeur reçue étant donné que la règle implique le droit au paiement et que le prêt ne devait être remboursé que trois (3) ans après la date à laquelle le paiement a été effectué par erreur.

La Cour d’appel a également soutenu que les prêteurs avaient été avisés implicitement de l’erreur de Citibank et, de ce fait, a exigé que les gestionnaires de prêts – les défendeurs – retournent les paiements effectués par erreur à Citibank. La Cour d’appel a appliqué la « norme relative au devoir de se renseigner » en vertu de la loi de New York et a déterminé que les prêteurs avaient eu connaissance de certains indicateurs permettant de croire qu’une erreur avait été commise, en particulier : i) l’absence de préavis de remboursement anticipé auquel les prêteurs avaient droit aux termes du contrat; ii) l’incapacité apparente de Revlon, qui était insolvable, à effectuer un remboursement de près de un milliard de dollars; et iii) le fait que le prêt se négociait à raison de 20-30 cents par dollar et que le remboursement de la totalité du montant ne constituait pas un résultat raisonnable sur le plan commercial. La norme relative au devoir de se renseigner est objective et comme cette affaire l’a démontré, les tribunaux peuvent imposer des obligations de vérification plus strictes à une partie qui aurait dû se renseigner sur certains faits, mais qui ne l’a pas fait.

Conclusion

La décision de la Cour d’appel apporte un soulagement bienvenu à de nombreux acteurs du secteur des prêts syndiqués en établissant qu’une simple erreur administrative ne peut vraisemblablement pas entraîner l’enrichissement injustifié d’une autre partie.

Bien que la décision de la Cour d’appel permette de rectifier ce que beaucoup considéraient comme un enrichissement injustifié, elle renforce également la notion selon laquelle les prêteurs ne peuvent pas simplement agir aveuglément en acceptant un remboursement et démontre qu’il incombe aux parties à une transaction de financement d’effectuer les vérifications nécessaires lorsque les circonstances entourant le paiement et la réception de fonds ne concordent pas avec les dispositions contractuelles de la transaction. Par conséquent, la prudence, ou même le devoir dans certains cas, devrait amener les parties qui reçoivent des fonds à prendre des précautions supplémentaires pour vérifier l’exactitude de ces paiements et les dates auxquelles ils sont reçus.

Bien que la décision initiale rendue dans l’affaire Revlon n’ait jamais été appliquée par les tribunaux canadiens et qu’il soit difficile de savoir comment les tribunaux canadiens auraient statué dans des circonstances semblables, la décision de la Cour d’appel rassure en quelque sorte les institutions canadiennes quant au fait qu’un paiement effectué par erreur devra probablement être retourné.

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