Au Canada, Montréal est une plaque tournante du développement et de la production de jeux vidéo. Dès les balbutiements de cette industrie au début des années 1990, de nombreux développeurs, producteurs et éditeurs de jeux vidéo de renom se sont établis à Montréal, principalement en raison du bassin de talents. C’est ainsi que des jeux emblématiques y ont vu le jour et ont battu des records de vente partout dans le monde.
Les problèmes liés à l’émergence de l’IA générative au travail dans l’industrie américaine des jeux vidéo et ses répercussions au Canada
Les studios et les développeurs de jeux vidéo se servent de l’IA générative (« IAG ») de mille et une façons. Cette technologie permet de générer des personnages, des dialogues, des environnements, des voix hors champ et des mouvements de personnages, en plus de modifier des voix. La Screen Actors Guild et la Writers Guild voient l’IAG comme une menace pour le gagne-pain des scénaristes et des acteurs; cette question était d’ailleurs au cœur de leurs négociations en 2023. De même, les syndicats de l’industrie des jeux vidéo considèrent l’IA comme une menace pour les moyens de subsistance des scénaristes, des doubleurs, des cascadeurs et des acteurs de capture de mouvements. Lorsque les employés ont recours à l’IAG, la propriété intellectuelle et la protection de la vie privée deviennent un véritable casse-tête pour leurs employeurs.
Depuis les tout débuts, les logiciels et les technologies de pointe servent au développement et à la production des jeux vidéo. Certaines personnes, dont l’éminente productrice canadienne de jeux vidéo Jade Raymond, considèrent l’IAG comme un incontournable dans le domaine. L’avènement de cette technologie a toutefois soulevé une multitude de préoccupations en matière de travail et d’emploi. Les syndicats, qui souhaitent prendre leur place dans l’industrie, brandissent le spectre de l’IAG pour rallier les travailleuses et les travailleurs partout au Canada.
La publicité entourant l’utilisation de l’IAG dans l’industrie américaine de la production cinématographique et télévisuelle lors de la grève de 2023 et, plus récemment, de la grève de juillet 2024 déclenchée par la SAG-AFTRA [1]contre les pratiques des géants américains des jeux vidéo, a probablement contribué à attiser ces préoccupations. L’accord annoncé le 5 septembre 2024 entre la SAG-AFTRA et 80 développeurs indépendants de jeux vidéo a attiré encore plus d’attention sur cet enjeu. Bien que les détails n’aient pas encore été rendus publics, il semble que les 80 développeurs indépendants aient accepté de se conformer à l’accord intérimaire sur les médias interactifs. Cet accord comporte une série de dispositions relatives à l’IAG, notamment des conventions prévoyant l’obtention d’un consentement éclairé à l’utilisation de l’IAG pour la génération de nouveau matériel à partir de répliques numériques de voix ou de personnages existants, une rémunération de l’artiste ou de l’interprète pour l’utilisation du matériel généré à partir d’une réplique numérique provenant d’un jeu vidéo déjà sur le marché, la production de rapports d’utilisation du studio émis et présentés à l’artiste et au syndicat, et l’obligation pour le studio de fournir un avis préalable au syndicat avant d’utiliser l’IAG.
Au Canada, l’ACTRA[2] a formulé des demandes similaires durant ses négociations avec les développeurs de jeux vidéo. Les demandes de l’ACTRA reprennent essentiellement les dispositions de l’accord intérimaire sur les médias interactifs conclu entre la SAG-AFTRA et les principaux studios de jeux américains. La pression exercée a conduit à la conclusion de plusieurs accords prévoyant une protection et une rémunération similaires.
Les studios et les développeurs de jeux vidéo canadiens qui ne reconnaissent pas ACTRA ou qui font appel à du personnel ne relevant pas de l’ACTRA doivent revoir leurs politiques et leurs contrats de travail individuels avec leurs employés. À l’heure actuelle, les concepts traditionnels des droits de propriété intellectuelle prévus par ces accords et politiques pourraient ne pas s’appliquer à l’utilisation de l’IAG. Les studios de jeux vidéo doivent veiller tout particulièrement à mettre leurs contrats de travail à jour ou à y inclure des conditions particulières prévoyant des conventions de consentement manifeste et éclairé qui accordent à l’employeur le droit d’utiliser des reproductions ou des répliques numériques ou des reproductions de la performance de l’employé. Il serait également pertinent d’inclure des clauses énonçant les modalités et conditions de toute rémunération à verser en cas d’utilisation d’une réplique numérique, ainsi que le mode et le moment de déclaration de l’utilisation. Cette question revêt une importance particulière dans la province de Québec, étant donné la protection élargie prévue par le droit civil québécois contre l’utilisation de l’image personnelle d’une personne sans son consentement.
Enfin, les développeurs et/ou les éditeurs de jeux vidéo doivent appliquer des politiques d’utilisation. Ces politiques contribuent à limiter les risques, à garantir le respect des lois et des règlements par les membres du personnel, et à protéger la propriété intellectuelle tout en permettant au personnel de profiter des avantages de l’IAG lors de la conception de jeux vidéo. Une des priorités consistera à élaborer des politiques qui définissent le cadre dans lequel les employés peuvent avoir recours à l’IAG, quels outils d’IAG sont acceptables et quels droits de propriété intellectuelle sont associés au produit du travail. C’est ce qui permettra de protéger l’image, la confidentialité et les données du studio, en plus de prévenir les atteintes aux droits de PI de tiers, aux renseignements personnels et aux secrets commerciaux. En bref, il est essentiel que les politiques d’utilisation de l’IAG soient adaptées aux protocoles en matière de sécurité de l’information au fil de l’évolution du secteur.
Notre équipe, particulierement nos groupes Droit commercial et de Droit du travail et droit de l’emploi, possède une vaste expérience de l’industrie des jeux vidéo. Depuis des années, Miller Thomson est un chef de file dans le domaine juridique très complexe du développement des jeux vidéo et a démontré sa parfaite maîtrise des défis propres à cette industrie. Notre équipe Droit du travail et droit de l’emploi a ouvert la voie dans le cadre des négociations sur l’IAG avec l’ACTRA. Notre position de pionnier en la matière témoigne de notre expertise sectorielle et de notre engagement à prendre l’initiative dans ce secteur en constante évolution.
[1]SAG-AFTRA : La Screen Actors Guild et l’American Federation of Television and Radio Artists sont deux syndicats américains représentant environ 160 000 professionnels des médias partout dans le monde.
[2] ACTRA : l’Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists est le syndicat national des artistes-interprètes professionnels du domaine des médias enregistrés au Canada.