Les politiques de vaccination adoptées dans les lieux de travail à titre de mesures de santé et sécurité en lutte à la COVID-19 prévoyaient généralement des exceptions pour raisons médicales et d’autres motifs protégés par les lois sur les droits de la personne, les plus courants étant la croyance ou la religion. Dans deux décisions récentes, des arbitres ont conclu que des demandes d’exemption étaient fondées sur des pratiques et des croyances tombant sous le coup de la liberté de croyance et de religion, mais ils n’avaient qu’à faire une partie de l’analyse. En effet, les parties leur avaient seulement demandé d’établir si les demandes d’exemption étaient protégées, ainsi que de conserver la compétence sur le différend si elles s’avéraient incapables de régler entre elles leurs autres questions en litige, dont celle de savoir s’il était possible d’accéder aux demandes sans contrainte excessive. Voici un résumé des principes juridiques pertinents et des principaux points à retenir de ces décisions arbitrales pour les employeurs.

Précédents de la Cour suprême du Canada

Croyance n’est pas synonyme de religion, mais qui dit religion dit croyance. Dans Syndicat Northcrest c. Amselem, la Cour suprême a statué que la liberté de religion ne protège pas que l’adhérence d’un employé aux règles, exigences et dogmes objectifs d’une religion. Elle protège également la croyance subjective et sincère d’un employé que se livrer à une certaine pratique religieuse crée un lien avec l’ordre divin ou l’objet de sa foi.

Selon la Cour, la personne qui présente un argument fondé sur la liberté de religion doit démontrer :

(1) qu’elle possède une pratique ou une croyance qui est liée à la religion et requiert une conduite particulière, soit parce qu’elle est objectivement ou subjectivement obligatoire ou coutumière, soit parce que, subjectivement, elle crée de façon générale un lien personnel avec le divin ou avec le sujet ou l’objet de sa foi spirituelle, que cette pratique ou croyance soit ou non requise par un dogme religieux officiel ou conforme à la position de représentants religieux; (2) que sa croyance est sincère. Ce n’est qu’une fois cette démonstration faite que la liberté de religion entre en jeu.

Public Health Sudbury & Districts c. Ontario Nurses’ Association

La politique de vaccination de l’employeur, un service de santé publique (« PHSD »), exigeait que les employés soient pleinement vaccinés contre la COVID-19 à moins de pouvoir invoquer une exemption médicale ou autrement prescrite par le Code des droits de la personne (le « Code »). L’employé qui manquait de se faire vacciner sans qu’une exemption s’applique était mis en congé non payé, suivi potentiellement d’une cessation d’emploi.

Infirmière en santé publique, la plaignante avait présenté une demande d’exemption fondée sur la croyance, que PHSD a examinée et refusée. Elle a été mise en congé sans solde, puis congédiée, ce qui a porté le syndicat à déposer un grief.

La plaignante, une catholique fervente, appartenait à une congrégation particulièrement traditionnelle et orthodoxe nommée Latin Mass. Les membres de la communauté Latin Mass s’opposaient à l’avortement en raison de leur doctrine et de leurs croyances, mais laissaient à chacun le choix de se faire vacciner contre la COVID-19 ou non. Le pape, pour sa part, avait pressé les catholiques à se faire vacciner, ce qu’il dépeignait comme un « acte d’amour » et une « obligation morale ».

La demande d’exemption de la plaignante était fondée sur l’idée que les chercheurs qui ont mis au point les vaccins contre la COVID-19 ont utilisé des lignées cellulaires provenant de fœtus avortés. Elle croyait donc que recevoir un vaccin reviendrait à cautionner l’avortement, à coopérer avec sa pratique ou à y participer.

Or, même si telle était la croyance de la plaignante, les parties se sont entendues que les lignées cellulaires fœtales utilisées dans les tout premiers stades de la recherche et du développement relatifs à certains vaccins contre la COVID-19 ont été cultivées en laboratoire, ne contenaient aucun tissu fœtal, se trouvaient à des milliers de générations de fœtus avortés dans les années 1970 et 1980 et n’avaient pas, dans les faits, été utilisées pour produire les vaccins en question. L’arbitre a conclu que le lien entre les vaccins contre la COVID-19 et les lignées cellulaires fœtales était ténu.

Il a également soulevé certains faits semblant contredire l’objection de la plaignante : 1) la plaignante et sa famille ont utilisé certains médicaments pendant des années même si elle savait que des lignées cellulaires fœtales pouvaient avoir été utilisées dans les travaux de recherche et développement s’y rapportant; et 2) la plaignante a administré des vaccins issus de travaux de recherche et développement où des lignées cellulaires fœtales ont été utilisées.

Malgré tout cela, l’arbitre a appliqué Amselem, concluant que l’opposition de la plaignante était fondée sur la croyance. Il a statué que la communauté Latin Mass avait une doctrine et un ensemble de croyances, et que cela constituait une religion. Il a en outre conclu ce qui suit :

[Traduction] Bien que les têtes dirigeantes de l’Église catholique pressent leurs fidèles de se faire vacciner et jugent qu’en faire ainsi n’équivaut pas à cautionner l’avortement, à coopérer avec sa pratique ou à y participer, […] la question à trancher en premier lieu ne repose pas sur les recommandations de chefs religieux ou la conformité d’actions individuelles aux positions d’autorités religieuses. Ce qu’il faut établir est plutôt l’existence d’un lien avec la religion ou la croyance, une relation avec le système de croyances global qui la sous-tend. Or, ce rapport existe en l’espèce parce que Latin Mass s’oppose à l’avortement. […] Le fait que la communauté Latin Mass estime que chaque membre doit, selon ce que sa conscience lui dicte, décider si se faire vacciner revient à cautionner l’avortement, à coopérer avec sa pratique ou à y participer ne réduit pas cette décision à une simple préférence ou au fruit d’une croyance particulière dissociée de la doctrine globale de cette communauté. La réponse d’une personne à la question de savoir ce que sa foi exige d’elle afin de ne pas cautionner l’avortement, coopérer avec sa pratique ou y participer demeure fondée sur l’interprétation et l’application que fait cette personne de sa foi; elle est liée à sa croyance.

De plus, selon l’arbitre, la plaignante croyait sincèrement qu’« obtenir l’un des vaccins contre la COVID-19 irait à l’encontre de ses croyances et de ce que sa foi et sa croyance exigent d’elle, et qu’à son avis, cela reviendrait à cautionner l’avortement, à coopérer avec sa pratique ou à y participer. » Il a ensuite conclu comme suit :

[Traduction] Comme la plaignante a une croyance sincère et suffisamment liée à sa croyance que se faire vacciner entraverait l’exercice de sa foi et sa relation avec l’ordre divin, elle peut invoquer une exemption fondée sur la croyance en vertu du Code.

Nova Scotia Nurses’ Union c. IWK Health Care

La politique de vaccination de l’employeur, un hôpital (« IWK »), exigeait que les employés soient vaccinés contre la COVID-19, mais prévoyait également la possibilité de mesures d’adaptation pour des motifs médicaux ou relatifs aux droits de la personne.

La plaignante, une infirmière autorisée, avait présenté une demande d’exemption pour motifs religieux. IWK a examiné et rejeté sa demande, mettant la plaignante en congé sans solde d’une durée indéfinie, ce qui a porté le syndicat à déposer un grief.

Chrétienne, la plaignante était membre active d’une petite congrégation protestante. Bien qu’elle ait fourni plusieurs justifications (tantôt religieuses, tantôt profanes) pour son refus de se faire vacciner contre la COVID-19, la « plus troublante » pour elle était l’opposition fondée sur la croyance que les exigences de vaccination contre la COVID-19 s’inscrivent dans un « plan maléfique » ouvrant la voie à l’introduction de la « marque de la bête » dans la société. L’arbitre a résumé cette position comme suit :

[Traduction] [La plaignante] a expliqué que la marque de la bête figure au chapitre 13 du livre des révélations. La bête n’est autre que Satan, et la Bible enseigne que les gens devront porter sa marque sur la main droite ou sur le front, sans quoi ils ne pourront rien acheter ou vendre. Elle s’est dite très inquiète du fait qu’elle doive la porter pour aller au travail, sans quoi elle ne pourra pas « vendre » ses services. La Bible traite du port de cette marque, lequel suppose le rejet de la croyance au Christ. Cela trouble la plaignante, qui croit que les moyens technologiques employés aujourd’hui et leur déploiement constituent le véhicule par lequel la marque de la bête doit être introduite dans la société. Elle a expliqué que la marque de la bête représente l’ultime rejet du Christ, et que l’accepter irait à l’encontre de tout ce en quoi elle croit, que cela reviendrait à renoncer à toutes ses croyances. Elle a précisé qu’elle ne croit pas que le vaccin contre la COVID-19 est la marque de la bête en soi, mais qu’il pourrait bien s’agir de son véhicule.

Il a été suggéré que tous les membres de l’église de la plaignante ne pensent pas forcément comme elle.

L’arbitre a appliqué Amselem, concluant que l’objection de la plaignante était couverte par la liberté de religion. Selon lui, la plaignante était sincère lorsqu’elle disait « que, pour elle, accepter une injection pouvant servir de véhicule à la marque de la bête, qu’elle décrit comme le déni ultime du Christ, irait à l’encontre de tout ce en quoi elle croit en tant que chrétienne. » Il a en outre conclu ce qui suit :

[Traduction] Les questions de savoir si les croyances de la plaignante quant aux ramifications prophétiques des vaccins contre la COVID-19 sont raisonnables et […] si les dirigeants de son église ou les autres adhérents à sa foi partagent celles-ci ne sont simplement pas pertinentes, et il n’est pas nécessaire d’y répondre par l’affirmative, pour établir le lien nécessaire avec la religion. Dans la mesure où la croyance subjective de la plaignante qu’elle ne doit pas se faire vacciner contre la COVID-19 découle de sa compréhension des obligations personnelles que lui impose sa religion chrétienne protestante — et c’est ce que je conclus — et qu’elle affirme sincèrement cette interdiction, un tel lien existe.

Principaux points à retenir pour les employeurs

Dans ces deux décisions, les arbitres ont appliqué un critère relativement permissif pour conclure que les oppositions à la vaccination contre la COVID-19 dont ils étaient saisis tombaient sous le coup de la liberté de religion et de croyance. Cependant, comme il est mentionné ci-dessus, ces conclusions ne représentent que la première partie de l’analyse. Un employeur n’a à prendre de mesures d’adaptation relatives à des croyances religieuses que s’il n’en résulte pas de contrainte excessive, et les risques de santé et sécurité représentent un facteur clé susceptible d’entraîner une contrainte excessive. Les exigences de vaccination contre la COVID-19 sont des mesures visant à accroître la santé et la sécurité au travail. Les deux arbitres n’avaient pas à se prononcer sur la possibilité d’allier l’adoption de mesures d’adaptation relatives aux croyances religieuses en question et les préoccupations de santé et de sécurité, possibilité qui, pourtant, sera sans doute le principal point en litige pour les employeurs qui feront face à ce genre de réclamation dans leurs propres lieux de travail.


Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. restera au fait des nouveaux développements dans cette sphère du droit et fournira des mises à jour dans des communiqués ultérieurs. Si vous avez des questions à propos des incidences de ces décisions, communiquez avec un membre de notre groupe d’expertise Droit du travail et droit de l’emploi.