Introduction
La cession de créance est un véhicule souvent utilisé dans le monde des affaires partout au Canada, notamment dans le cadre de financements structurés[1]. Au Québec, les cessions de créances sont régies par le Code civil du Québec (le « Code »). Dans le présent bulletin, nous passerons en revue quelques règles prévues au Code concernant la cession de créance tout en présentant certaines particularités lorsque la cession de créance implique des acteurs à l’extérieur du Québec.
La cession de créances au Québec : définition et conditions générales de validité
La cession de créance est régie par les articles 1637 à 1650 du Code. Essentiellement, cette opération permet à un créancier (le cédant) de céder à un tiers (le cessionnaire) « une créance ou un droit d’action qu’il a contre son débiteur » (le débiteur cédé) (art. 1637 C.c.Q.). Ainsi, le tiers peut acquérir une ou des créances avec la possibilité d’en faire un profit par la suite[2].
La validité d’une cession de créance dépend de certaines conditions à respecter. La cession de créance est soumise aux règles habituelles de formation d’un contrat, ce qui implique (1) un échange de consentement entre le cédant et le cessionnaire, tous deux ayant la capacité légale de contracter, (2) une cause, et (3) un objet licite[3]. À moins que le contrat constatant la créance ne prévoie que le débiteur doive consentir à toute cession de la créance, le consentement du débiteur cédé n’est pas requis pour conclure une cession de créance. Le législateur impose néanmoins le principe que la cession de créance ne puisse porter atteinte aux droits du débiteur ou rendre son obligation plus onéreuse (art. 1637 al. 2 C.c.Q.).
Conditions d’opposabilité au débiteur cédé et aux tiers
Aux conditions générales de validité s’ajoutent des règles particulières liées aux conditions d’opposabilité de la créance cédée. En effet, le cessionnaire pourrait vouloir faire valoir ses droits dans la créance cédée à l’encontre du débiteur cédé et des tiers, tels qu’un syndic de faillite par exemple. Examinons d’abord les conditions générales d’opposabilité ainsi que deux (2) cas de figure.
a. Conditions générales d’opposabilité
L’article 1641 du Code prévoit trois manières permettant de rendre la cession de créance opposable au débiteur cédé ou au tiers, soit (1) dès que le débiteur y a acquiescé, (2) que le débiteur cédé ou le tiers ait reçu une copie ou un extrait pertinent de l’acte de cession, ou (3) que le débiteur cédé ou le tiers ait reçu une autre preuve de la cession qui soit opposable au cédant, tel qu’un avis par télécopieur par exemple.
Le Code prévoit une condition supplémentaire à l’article 1642 lorsqu’une universalité de créances est cédée par le cédant en faveur du cessionnaire. La cession d’une universalité de créances sera opposable aux débiteurs et aux tiers, grâce à l’inscription de cette cession au registre des droits personnels et réels mobiliers (« RDPRM »), pourvu que, quant aux débiteurs qui n’ont pas acquiescé à la cession, les autres formalités prévues pour leur rendre la cession opposable aient été accomplies[4]. En ce qui concerne les débiteurs qui n’ont pas acquiescé, les autres formalités à accomplir sont celles énoncées à l’article 1641 du Code.
Ainsi, l’inscription de la cession d’une universalité de créances au RDPRM s’ajoute aux autres conditions d’opposabilité prévues à l’article 1641 C.c.Q. Cette inscription n’est pas une condition d’existence de la cession mais plutôt une condition d’opposabilité[5]. Ainsi, l’absence de son inscription au RDPRM ne rend pas la cession de l’universalité de créances invalide; le cessionnaire pourra toujours faire valoir ses droits à l’encontre du cédant.
b. Cession d’une universalité de créances impliquant des parties hors Québec
Considérons maintenant l’application des règles d’opposabilité étudiées ci-dessus lorsqu’une ou plusieurs parties impliquées dans le cadre d’une cession d’une universalité de créances sont domiciliées à l’extérieur du Québec.
Imaginons un cas d’application, soit celui d’une cession d’une universalité de créances entre un cédant et un cessionnaire domiciliés en Ontario concernant des débiteurs cédés, qui eux, sont domiciliés au Québec. Nous nous demandons alors si le cessionnaire doit, pour se conformer aux règles d’opposabilité prévue au Code et ainsi rendre cette cession opposable aux tiers intéressés, publier la cession au RDPRM. Sur ce point précis, le Code nous donne la réponse à son article 3120 en vertu duquel :
« Le caractère cessible de la créance, ainsi que les rapports entre le cessionnaire et le débiteur cédé, sont soumis à la loi qui régit les rapports entre le cédé et le cédant. »[6](nous soulignons)
La Cour supérieure du Québec confirme que, grâce à sa rédaction large, l’article 3120 C.c.Q. s’applique aux conditions d’opposabilité de la cession de créance au débiteur cédé et soumet donc ces conditions d’opposabilité à la loi qui régit les rapports entre le cédé et le cédant[7].
Par conséquent, et en appliquant l’article 3120 C.c.Q., si la loi applicable aux contrats qui constatent les créances entre les débiteurs cédés domiciliés au Québec, et le cédant domicilié en Ontario, est la loi québécoise, les règles de constitution du Code s’appliqueront à la cession de l’universalité des créances et le cessionnaire devrait ainsi, en plus d’accomplir les conditions prévues à l’article 1641 du Code, inscrire la cession de l’universalité de créances au RDPRM.
c. Cession d’une créance qui est garantie par une hypothèque
Examinons maintenant un deuxième cas : la cession de créance entre des parties toutes domiciliées au Québec, portant sur une créance elle-même garantie par une hypothèque en faveur du cédant et grevant les biens du débiteur cédé. Le Code prévoit que la cession d’une créance en comprend les accessoires[8], ce qui inclut notamment l’hypothèque. Toutefois, dans une telle situation, une condition additionnelle doit être remplie afin d’assurer l’opposabilité de la cession de la créance et de l’hypothèque sous-jacente à l’encontre d’un potentiel cessionnaire subséquent.
En effet, l’article 3003 C.c.Q. prévoit que lorsqu’une hypothèque est acquise par cession, la publicité de celle-ci se fait au registre foncier ou au RDPRM, selon la nature immobilière ou mobilière de l’hypothèque[9]. Dans ce cas, l’état certifié de publication au registre approprié doit être transmis au débiteur[10]. Il est essentiel de bien respecter ces conditions puisqu’à défaut, la cession de la créance et de l’hypothèque sous-jacente est inopposable au cessionnaire subséquent qui se conformerait aux conditions prévues à l’article 3003 du Code[11].
Pour toute question ou préoccupation, n’hésitez pas à communiquer avec un membre du groupe Financement structuré et titrisation de Miller Thomson.
[1] Nathalie Vézina, « La transmission et les mutations de l’obligation » dans École du Barreau du Québec, Obligations et contrats, Collection de droit 2022-2023, vol. 6, Montréal (Qc), Éditions Yvon Blais, 2022, 145.
[2] Ibid.
[3] Vincent KARIM, Les obligations, 4e éd., vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par. 3099.
[4] Art. 1642 C.c.Q.
[5] BIRON, J., M. CACHECHO, É. CHARPENTIER, S. LANCTÔT, A. MALACKET, B. MOORE, A. ROY et J. TORRES-CEYTE, Code civil du Québec Annotations-Commentaires, 6e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2022-2023.
[6] Art. 3120 C.c.Q.
[7] Laîné c. Viking Helicopters Ltd., [1999] R.J.Q. 1472 (C.S.).
[8] Art. 1638 C.c.Q.
[9] Art. 3003 al. 1 C.c.Q.
[10] Art. 3003 al. 2 C.c.Q.
[11] Art. 3003 al. 3 C.c.Q.