Introduction
Le 9 mai 2023, l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA) a publié son sondage annuel portant sur les dépôts de garantie initiaux (DGI) et les marges de variation (MV) recueillis par les principaux acteurs du marché des dérivés en 2022. L’ISDA est une organisation commerciale internationale privée qui regroupe les acteurs du marché des dérivés de gré à gré, notamment des banques internationales et régionales, des entreprises, des gouvernements et des gestionnaires de placements. L’ISDA oriente ses efforts sur trois principaux axes : la réduction du risque de crédit de la contrepartie, le renforcement de la transparence et l’amélioration des infrastructures du secteur[1]. Dans le cadre de son mandat, l’ISDA réalise chaque année des sondages sur les marges dans le but d’accroître la transparence sur le marché des dérivés. Les sondages annuels de l’ISDA constituent un outil précieux pour cerner les tendances du marché.
L’obligation de fournir les DGI et les MV pour les dérivés de gré à gré est l’un des nouveaux règlements adoptés en septembre 2016 aux États-Unis et au Canada[2]. Ces règlements sur les marges sont le fruit des initiatives de réforme du G20 concernant les dérivés de gré à gré, mises en œuvre en 2009 dans le sillage de la crise financière de 2008[3]. S’inscrivant dans une approche « progressive » démarrée le 1er septembre 2016 et reconduite chaque septembre jusqu’en 2022, un nombre de plus en plus grand de sociétés est entré dans le champ d’application des exigences réglementaires de l’ISDA en matière de marges. Les sociétés sondées au cours de la première phase ont été les premières assujetties aux nouvelles règles le 1er septembre 2016. Ces sociétés sont des courtiers en dérivés dont le montant notionnel moyen total en fin de mois (AANA) des dérivés ne faisant pas l’objet d’une compensation centrale s’élève à plus de 3 billions de dollars américains[4]. Les sociétés de la deuxième phase ont un AANA de 2,25 billions de dollars américains et ont été assujetties aux règles le 1er septembre 2017. Les sociétés de la troisième phase ont un AANA de 1,5 billion de dollars américains et ont été assujetties aux règles le 1er septembre 2018. Les sociétés de la quatrième phase ont un AANA de 0,75 billion de dollars américains et ont été assujetties aux règles le 1er septembre 2019. Les sociétés de la cinquième phase ont un AANA de 50 milliards de dollars américains et ont été assujetties aux règles le 1er septembre 2021. En dernier lieu, les sociétés de la sixième phase ont un AANA de 8 milliards de dollars américains et constituent le dernier groupe de sociétés à être assujetti aux règles depuis le 1er septembre 2022[5].
Sondage annuel de l’ISDA sur les marges
Le sondage de l’ISDA sur les marges a pour objectif de recueillir des informations sur le montant et le type de sûretés déposées pour les instruments dérivés compensés et non compensés. Au total, 32 acteurs du marché des dérivés ont été sondés en 2022. Sur ces 32 participants, les 20 sociétés de la première phase ont toutes participé, cinq des six sociétés de la deuxième phase ont participé et sept des huit sociétés de la troisième phase ont participé[6]. Le sondage a également permis de relever le montant des DGI recueillis qui correspond au montant indépendant (MI) reçu de contreparties qui n’entrent pas actuellement dans le champ d’application des règlements en matière de marges[7]. Les résultats du sondage de l’ISDA sur les marges pour l’année 2022 donnent un bon aperçu du marché actuel des dérivés, car il s’agit du premier sondage annuel depuis la fin de l’approche « progressive » mentionnée précédemment, et ce sondage couvre les six groupes de sociétés actuellement assujettis aux nouveaux règlements en matière de marges.
Analyse des résultats du sondage
a) Dérivés non compensés
Les 32 sociétés sondées ont recueilli en 2022 1,4 billion de dollars de DGI et de MV cumulés. Ce montant se décompose en 325,7 milliards de dollars de DGI et 1,1 billion de dollars de MV.
i.Les dépôts de garantie initiaux
Les 20 sociétés sondées lors de la première phase avaient recueilli 307,2 milliards de dollars de DGI au chapitre des dérivés non compensés à la fin de l’année 2022, ce qui représente une augmentation de 7,4 % par rapport à l’année 2021[8]. Cette augmentation des DGI recueillis est très probablement attribuable à l’intégration de nouveaux instruments dérivés non compensés assujettis aux règles de déclaration[9]. Sur le total de DGI recueillis par les sociétés de la première phase, 231 milliards de dollars étaient requis en vertu du règlement sur les marges (DGI réglementaires); les autres 76,2 milliards de dollars recueillis sont attribués aux DGI recueillis sur des instruments avec des contreparties qui ne sont pas actuellement assujetties aux exigences relatives aux marges (c’est-à-dire la marge de MI)[10]. Le MI recueilli par les sociétés de la première phase en 2022 a diminué de 7,6 % par rapport à 2021. Ce recul est attribuable à l’augmentation du nombre de types d’instruments dérivés dans le champ d’application des règlements de l’ISDA en matière de marges[11].
En plus de ce qui précède, le MI recueilli par les sociétés sondées au cours de la deuxième et de la troisième phase a également augmenté en 2022, en raison de l’augmentation des instruments dérivés non compensés assujettis aux règles de déclaration[12].
ii. Les marges de variation
En ce qui concerne la MV, les sociétés de la première phase avaient recueilli collectivement 983,7 milliards de dollars de MV pour les dérivés non compensés à la fin de 2022, ce qui représente une augmentation de 5,0 % par rapport aux 936,5 milliards de dollars recueillis à la fin de 2021[13]. Les MV recueillies peuvent être classées en deux catégories : i) les MV exigées par la réglementation mondiale en matière de marges (MV réglementaires), ou ii) les MV recueillies relativement aux instruments qui n’entrent pas dans le champ d’application des règlements sur les marges (MV discrétionnaires). En 2022, le montant de MV réglementaires recueilli par les sociétés lors de la première phase s’élevait à 695,4 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation de 31,7 % par rapport au montant de MV réglementaires recueilli en 2021. En revanche, le montant de MV discrétionnaires recueilli en 2022 par les sociétés de la première phase a diminué. L’augmentation marquée des MV réglementaires recueillies et la diminution des MV discrétionnaires recueillies s’expliquent probablement par l’augmentation des types d’instruments qui entrent dans le champ d’application des MV réglementaires.
Les sociétés de la deuxième et de la troisième phase qui ont participé au sondage avaient recueilli 101,7 milliards de dollars de MV à la fin de 2022, ce qui représente une importante augmentation de 29,8 % par rapport à l’année précédente[14]. Comme pour les sociétés sondées au cours de la première phase, l’élargissement du champ des instruments compris dans les MV réglementaires explique probablement l’augmentation du montant des MV réglementaires recueillies en 2022[15].
b) Composition des sûretés
Les sûretés pour les DGI et les MV sont généralement composées d’un mélange de liquidités, de titres du gouvernement (obligations et bons du Trésor) et d’autres titres. Pour répondre aux exigences réglementaires en matière de DGI en 2022, les sociétés de la première phase ont utilisé principalement des titres du gouvernement (représentant près de 75 % des sûretés), ainsi que des liquidités et d’autres titres. L’utilisation importante de titres du gouvernement est probablement attribuable au fait que la réglementation en matière de marges exige que les DGI soient stables et « à l’abri de la faillite », ce qui est le cas des titres du gouvernement[16].
Toutefois, les MV recueillies sont majoritairement constituées de liquidités. En effet, 73,8 % des MV réglementaires et 68,4 % des MV discrétionnaires reçues en 2022 étaient constituées de liquidités. Le recours plus important aux marges en espèces recueillies à titre de MV s’explique par le fait que les MV recueillies relativement au risque lié aux dérivés non compensés peuvent être utilisées pour couvrir les MV d’une position de couverture compensée, ce qui est plus facile à réaliser avec des liquidités qu’avec des titres[17].
c) Dérivés compensés
Le montant de DGI recueilli en 2022 au chapitre des dérivés compensés s’est élevé à 384,4 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation de 18,8 % par rapport aux 323,4 milliards de dollars de DGI recueillis à ce chapitre en 2021[18]. Le sondage sur les marges portait sur deux types de dérivés compensés : les dérivés sur taux d’intérêt et les swaps sur défaillance de crédit[19].
iii. Dérivés sur taux d’intérêt
Le montant de DGI recueilli en 2022 au chapitre des dérivés sur taux d’intérêt compensés s’est élevé à 314,3 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation de 19,8 % par rapport au montant recueilli à ce chapitre en 2021. L’ISDA attribue cette augmentation à une plus grande volatilité des taux et à l’augmentation des risques au sein de certaines sociétés de courtage européennes du côté acheteur[20]. Les intérêts en cours sur les dérivés sur taux d’intérêt de cinq grandes contreparties centrales se sont élevés à 425,8 billions de dollars. En 2021, ce montant s’est chiffré à 396,6 billions de dollars[21].
iv. Swaps sur défaillance de crédit
Le montant de DGI recueilli pour les swaps sur défaillance de crédit compensés a augmenté de 14,8 % par rapport à l’année 2021 et s’est élevé à 70,1 milliards de dollars. Cette croissance est attribuable principalement à l’augmentation des crédits compensés de la ICE[22]. Le montant total des intérêts en cours des swaps sur défaillance de crédit recueilli en 2022 auprès des quatre principales contreparties centrales s’élevait à 2,9 billions de dollars, comparativement à 2,6 billions de dollars d’intérêts en cours des swaps sur défaillance de crédit recueillis en 2021[23].
Conclusion
L’analyse des résultats du sondage de l’ISDA sur les marges pour l’année 2022 révèle que l’ensemble des marges recueillies pour les DGI et les MV ont augmenté par rapport à celles recueillies en 2021, ainsi qu’une augmentation sans équivoque des marges recueillies relativement à toutes les sociétés participantes, quelle que soit leur envergure. Le fait de demeurer à l’affût des résultats des sondages annuels de l’ISDA aide les acteurs du marché à mieux comprendre les tendances passées, actuelles et futures concernant les marges recueillies sur les dérivés de gré à gré.
Si vous avez des questions ou des préoccupations, n’hésitez pas à communiquer avec un membre de l’équipe Financement structuré et titrisation de Miller Thomson
[1] https://www.isda.org/about-isda/.
[2] Sondage de l’ISDA sur les marges pour l’exercice 2022, p. 16, <https://cdn.aws.isda.org/2023/05/09/isda-margin-survey-year-end-2022/?_zs=7CMoQ1&_zl=CLU77>.
[3] Over-The-Counter Derivatives (Les dérivés de gré à gré), Federal Reserve Bank of New York, <https://www.newyorkfed.org/financial-services-and-infrastructure/financial-market-infrastructure-and-reform/over-the-counter-derivatives#:~:text=G20%20Leaders%20agree%20on%20reforms,for%20non%2Dcentrally%20cleared%20contracts. >
[4] Sondage de l’ISDA sur les marges, p. 16.
[5] Ibid.
[6] Communiqué de presse de l’ISDA à propos du sondage sur les marges, <https://www.isda.org/2023/05/09/isda-margin-survey-shows-1-4-trillion-in-margin-collected-at-year-end-2022/>.
[7] Sondage de l’ISDA sur les marges, p. 3.
[8] Ibid.
[9] Ibid., p. 6.
[10] Ibid, p. 7.
[11] Ibid.
[12] Ibid, p. 9.
[13] Ibid, p. 7.
[14] Ibid, p. 10.
[15] Ibid, p. 8.
[16] Ibid.
[17] Ibid, p. 11.
[18] Ibid., p. 13.
[19] Ibid.
[20] Ibid.
[21] Ibid., p. 15.
[22] Ibid., p. 13.
[23] Ibid., p. 15.