Depuis plus de 150 ans, la loi indique clairement que toute personne poursuivie pour fraude ne peut invoquer une défense fondée sur l’« absence de diligence raisonnable » ou la « négligence de la victime[1] ». Malgré les nombreux précédents, les parties défenderesses tentent toujours d’utiliser cet argument de défense, sans succès.
Dans la cause Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd. la Cour suprême du Canada (« CSC »), le plus haut tribunal du Canada, a rejeté l’argument de la partie défenderesse selon lequel le demandeur ne peut être autorisé à rectifier un contrat du fait que la personne qui était en autorité n’a pas lu le contrat avant de le signer. Une clause importante du contrat était contraire à ce dont les parties avaient convenu verbalement avant d’exprimer les clauses par écrit. La partie défenderesse, qui a rédigé le contrat, a fait valoir que la rectification n’était pas possible du fait que la partie qui avait été trompée n’avait pas fait preuve de « diligence raisonnable » avant de signer le contrat. La CSC n’a pas retenu l’argument en question. En effet, il est clairement établi qu’une partie accusée de fraude ne peut avoir gain de cause en présentant une défense qui se résume à « Ah! Ah! Je t’ai eu! Tu aurais être plus attentif[2]! »
Dans la cause Sylvan Lake, le demandeur a obtenu une rectification, car la CSC a jugé qu’il y avait eu fraude de la part du rédacteur du contrat. Si, dans les faits, un niveau de culpabilité moins élevé avait été constaté, l’argument selon lequel le demandeur a négligé de lire le contrat aurait peut-être pu être retenu. La négligence de la victime est un argument de défense contre les délits autres que la fraude et la tromperie. Si la fraude n’est pas prouvée contre une partie défenderesse, mais que la négligence l’est, cette partie défenderesse aurait, en effet, pu plaider la négligence de la victime. Toutefois, cette défense échoue lorsque la fraude est reconnue :
70 Les restrictions énoncées par lord Chelmsford ont été citées et appliquées par madame le juge Southin (maintenant juge à la Cour d’appel) dans United Services Funds (Trustee of) c. Richardson Greenshields of Canada Ltd. (1988), 22 B.C.L.R. (2d) 322 (C.S.), où elle a fait remarquer que [TRADUCTION] « [l]a négligence de la victime ne constitue jamais un moyen de défense dans une action pour fraude » (p. 355).
[TRADUCTION] Dès que le demandeur prend connaissance de la fraude, il doit atténuer ses pertes, mais, à mon avis, tant qu’il n’en connaît pas l’existence, il ne se pose en droit aucune question concernant la diligence raisonnable ou quoi que ce soit d’autre s’y apparentant.
Et, à mon avis, il s’agit aussi d’une bonne chose. Il est bien possible que la société civilisée soit menacée par des périls beaucoup plus grands que la malhonnêteté endémique. Mais je ne vois rien qui contribuerait davantage à la malhonnêteté qu’une règle de droit qui exigerait que nous soyons continuellement sur nos gardes contre les escrocs, au risque de nous faire répondre, en défense : « Ah! Ah! c’est de votre faute si je vous ai trompé ». Un tel moyen de défense ne devrait pas pouvoir être invoqué par un escroc. [p. 336]
Voir également Dalon c. Legal Services Society (British Columbia) (1995), 10 C.C.E.L. (2d) 89 (C.S.C.-B.). Dans leur ouvrage The Law of Actionable Misrepresentation (3e éd. 1974), p. 218, les auteurs Spencer Bower et Turner abondent dans le même sens :
[TRADUCTION] Celui qui a fait un mensonge, même innocent, par lequel il a amené autrui à changer d’avis — a fortiori celui qui a frauduleusement menti à cette fin et avec un résultat semblable –, s’est à jamais privé lui?même du droit de faire valoir devant une cour de justice, tout autant que devant un tribunal de moralité, que la personne induite en erreur a agi sur la foi de son mensonge de la façon dont lui, l’auteur, entendait qu’elle le fasse. Il ne saurait jamais être admis à se plaindre du fait que l’autre personne a cru le mensonge qui lui a été fait dans le but même de lui inspirer cette conviction, ou de plaider, comme excuse, que si la personne induite en erreur n’avait pas été assez stupide pour faire confiance à un fripon de son espèce, il n’y aurait pas eu de préjudice.
Par conséquent, toute personne qui trompe frauduleusement autrui ne peut invoquer comme défense la crédulité de l’autre personne ou son incapacité à détecter le mensonge. Les tribunaux de l’Alberta ont utilisé ces principes en confirmant qu’une partie défenderesse ne peut invoquer l’absence de diligence raisonnable de la part du demandeur, ou le fait que l’acte malhonnête était évident ou facile à relever, comme moyen de défense en cas de fraude ou d’assertion frauduleuse et inexacte[3].
De toute évidence, frauder les autres n’est pas permis. Comme l’établit la jurisprudence depuis plus d’un siècle et demi, un escroc ne peut pas invoquer la susceptibilité ou l’insouciance de ses victimes pour justifier sa propre conduite frauduleuse. Une défense du type « Ah! Ah! c’est de votre faute si je vous ai trompé » ne sera pas bien accueillie par les tribunaux.
Pour toute question concernant ce point de droit, les enjeux de fraude en matière civile ou les litiges en matière contractuelle, ou encore la poursuite ou la défense d’une action en justice, veuillez communiquer avec l’équipe de litige commercial de Miller Thomson.
[1] Voir Central R. Co. of Venezuela c. Kisch (1867), L.R. 2 H.L. 99, pages 120 et 121.
[2] Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, au paragraphe 70, avec citation de United Services Funds (Trustees of) c. Richardson Greenshields of Canada Ltd. (1988), 22 B.C.L.R. (2d) 322 (C.S.), page 336.
[3] Voir, à titre d’exemple, Kowal c. Sun Star Energy Inc, 2020 ABQB 244, paragraphes 392 et 393; voir également NEP Canada ULC c. MEC OP LLC, 2021 ABQB 180, paragraphe 766.