Expropriation et droit immobilier au Québec : Changement de paradigme

24 septembre 2024 | Adina Georgescu, Camille Ingarao

Deux lois adoptées par l’Assemblée nationale du Québec à la fin de 2023 ont marqué un changement de paradigme important en matière d’expropriation et de droit immobilier au Québec : la Loi concernant l’expropriation (LCE) et la Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives (LLFM).

Mais quelles en sont les principales incidences pour les propriétaires, développeurs immobiliers, municipalités et corps publics? Rappelons tout d’abord que l’expropriation s’entend de la confiscation d’un bien immobilier privé, sans le consentement de son propriétaire et à un moment que celui-ci n’a pas choisi. Elle le prive de l’usage du bien, de la perception de ses fruits et du droit d’en disposer à son gré.

Nouvelles règles en matière d’expropriation au Québec

En vigueur depuis le 29 décembre 2023, la LCE remplace la Loi sur l’expropriation (LSE) et le régime d’expropriation, en place au Québec depuis 1973. En bref :

  • Les nouvelles dispositions écartent le concept de la valeur au propriétaire,réduisant ainsi l’indemnité immobilière due au propriétaire dépossédé.
  • Pour déterminer la valeur d’un droit exproprié, il faut tenir compte de certaines considérations, dont les suivantes :
    • On peut choisir un usage différent de celui en cours à la date de l’expropriation, à condition qu’il soit autorisé par les lois et règlements en vigueur, de même que mis en œuvre dans les trois ans suivant l’expropriation.
    • L’usage choisi doit démontrer un rendement positif en regard du revenu net, ce qui s’avère problématique s’il s’agit d’une utilisation potentielle.
  • Certaines indemnités sont dorénavant plafonnées (ex. : pour les troubles, ennuis et inconvénients).
  • Certains types de préjudices ne sont pas indemnisés (ex. : ceux survenus avant l’expropriation ou causés par le projet de l’expropriant).

Limitation des dommages résultant de l’expropriation

La LCE limite également les dommages dus pour le préjudice causé directement par l’expropriation. À titre d’exemple, pour les projets d’entreprise qui ne pourront plus se réaliser en raison de l’expropriation, l’indemnité due à l’exproprié est restreinte aux projets permis par les lois et règlements municipaux, économiquement réalisables et rentables, et dont les travaux de construction commencent dans les trois ans qui suivent la date d’expropriation. Toutes les étapes préliminaires à l’implantation du projet doivent avoir été franchies à la date de l’expropriation, et tous les permis, autorisations et approbations requis, obtenus.

Certains dommages ne peuvent être considérés comme directement causés par l’expropriation, par exemple ceux précédant l’avis d’expropriation ou découlant des travaux préparatoires en vue d’une expropriation. Ces derniers peuvent être effectués par le corps expropriant avant même d’avoir reçu la décision ou l’autorisation requise pour procéder à l’expropriation, sous réserve de donner au propriétaire un préavis de 10 jours avant de circuler sur l’immeuble concerné.

Possibilité de dépossession sans compensation

Adoptée et sanctionnée pour sa part le 8 décembre 2023, la LLFM introduit de nouvelles dispositions dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) concernant l’expropriation de facto (de fait).

Celles-ci permettent notamment à un  corps public de déposséder un propriétaire privé de son bien immobilier, sans devoir le compenser, dans la mesure où cette dépossession est considérée comme justifiée au sens de la LAU, soit si elle vise la protection de milieux humides, hydriques ou ayant une valeur écologique importante, ou si elle est nécessaire pour assurer la santé ou la sécurité des personnes ou des biens.

Ces libellés sont larges et soulèvent de nombreuses interprétations : qu’est-ce qui constitue un milieu écologiquement important? Des études biologiques sont-elles systématiquement requises pour l’application des dispositions? Quelles situations sont affectées lorsqu’il est question de santé, de sécurité ou de protection des biens? Les tribunaux n’ont pas encore eu à se prononcer à cet égard. Dans l’arrêt Ville de Saint-Bruno-de-Montarville c. Sommet Prestige Canada inc., (2024 QCCA 804) la Cour d’appel a, d’ailleurs, récemment retourné un dossier devant la Cour supérieure, afin que cette dernière puisse réévaluer le dossier à la lumière du nouveau cadre juridique, lequel est d’application immédiate. Ainsi, même les recours ayant été intentés avant l’adoption de la LLFM pourront être soumis à ce nouveau cadre juridique.

Aux termes des nouvelles dispositions instaurées par la LLFM dans la LAU, un immeuble doit être considéré comme susceptible d’une utilisation raisonnable lorsque l’atteinte au droit de propriété est justifiée selon les circonstances de chaque cas, lesquelles doivent s’évaluer dans une perspective de proportionnalité, en tenant compte entre autres :

  • Des caractéristiques de l’immeuble;
  • Des objectifs prévus dans le plan métropolitain d’aménagement et de développement, dans le schéma d’aménagement ou dans un plan d’urbanisme;
  • De l’intérêt public.

On ne sait trop quels autres éléments peuvent déterminer si un immeuble est considéré comme susceptible d’une utilisation raisonnable, laissant ainsi place à interprétation.

Recours pour expropriation déguisée

Le propriétaire qui a subi une atteinte à son droit de propriété qui empêche toute utilisation raisonnable de l’immeuble peut prendre, devant la Cour supérieure, un recours en versement d’une indemnité, en vertu de l’article 952 du Code civil du Québec. Il s’agit en fait du recours pour expropriation déguisée, lequel se prescrit trois ans après la date en vigueur de l’acte qui porte atteinte à son droit de propriété.

S’il a gain de cause, le propriétaire a le droit d’être indemnisé conformément aux nouvelles règles de la LCE, mais pourrait ne pas l’être. En effet, le corps public concerné bénéficie de quatre mois à partir du jugement pour décider de faire cesser l’atteinte ou d’acquérir la propriété et de payer l’indemnité établie par le tribunal.

En somme, la LCE et la LLFM constituent une véritable révolution du droit de l’expropriation au Québec. En abandonnant des concepts phares comme la valeur à l’exproprié et en permettant la dépossession sans compensation, le Québec s’écarte fortement des règles antérieures, reconnues de longue date.

Pour toute question sur ces nouvelles dispositions ou sur un avis de réserve ou d’expropriation reçu d’un organisme public, n’hésitez pas à communiquer avec notre équipe spécialisée en la matière.

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