Le 23 juin 2022, la Loi sur la concurrence (la « Loi ») a été modifiée par la Loi no 1 d’exécution du budget de 2022 (les « modifications »). Certains changements ne sont pas encore en vigueur; les entreprises ont donc le temps de s’y préparer. Parmi les grandes nouveautés, citons la criminalisation des accords de fixation des salaires et de non-débauchage entre employeurs, qui pourrait bouleverser les pratiques de nombreuses entreprises.
Ces changements majeurs découlent vraisemblablement d’une déclaration commune, en 2016, du département de la Justice des États-Unis (le « DOJ ») et de la commission fédérale du commerce des États-Unis. Le DOJ avait alors annoncé qu’il ouvrirait des enquêtes criminelles sur les accords de fixation des salaires et de non-débauchage qui ne s’inscrivent pas dans une entente de collaboration légitime et plus large entre employeurs[1].
En novembre 2020, devant l’intérêt croissant des juristes et des gens d’affaires, le Bureau de la concurrence avait produit une déclaration sur l’application de la Loi sur la concurrence aux accords de fixation des salaires et de non-débauchage, ainsi qu’aux autres accords entre acheteurs. Le Bureau avait alors confirmé que les dispositions criminelles en matière de complot ne s’appliquaient pas à ces accords : elles ne visaient que les accords relatifs à la fourniture.
Le gouvernement du Canada a finalement proposé les modifications afin de moderniser les lois canadiennes sur la concurrence et de protéger les travailleurs contre les ententes entre employeurs qui fixent les salaires ou entravent la mobilité professionnelle.
Une fois en vigueur, le 23 juin 2023, les nouvelles dispositions interdiront aux employeurs de s’entendre « pour fixer, maintenir, réduire ou contrôler les salaires, les traitements ou les conditions d’emploi » (accords de fixation des salaires) ou « pour ne pas solliciter ou embaucher les employés de l’autre employeur » (accords de non-débauchage)[2]. Un employeur ou une entreprise qui contrevient aux nouvelles dispositions encourt un emprisonnement maximal de 14 ans, une amende dont le montant est fixé par le tribunal, ou les deux[3]. Fait important : ces nouvelles dispositions s’appliqueront aux contrats existants.
Ainsi, les employeurs devront examiner tout accord officiel ou informel avec d’autres employeurs concernant les employés. Ils devront ensuite déterminer si leurs accords sont visés par les nouvelles dispositions criminelles et, le cas échéant, s’ils peuvent être préservés par la défense fondée sur les restrictions accessoires (la « défense de restriction accessoire ») de la Loi sur la concurrence.
Essentiellement, la défense de restriction accessoire permet de préserver l’accord contesté si :
a) [la personne] établit, selon la prépondérance des probabilités :
(i) que le complot, l’accord ou l’arrangement, selon le cas, est accessoire à un accord ou à un arrangement plus large ou distinct qui inclut les mêmes parties,
(ii) qu’il est directement lié à l’objectif de l’accord ou de l’arrangement plus large ou distinct et est raisonnablement nécessaire à la réalisation de cet objectif;
b) l’accord ou l’arrangement plus large ou distinct, considéré individuellement, ne contrevient pas au même paragraphe[4].
La défense de restriction accessoire pose toutefois deux grands problèmes. Premièrement, elle n’a pas été examinée par les tribunaux; sa portée et son application sont donc incertaines. Deuxièmement, c’est l’employeur qui a le fardeau de démontrer que cette défense s’applique. En cas de poursuite, il peut s’avérer risqué de consacrer beaucoup de temps et d’argent à la préparation de cette défense, vu l’absence de lignes directrices des tribunaux et du Bureau de la concurrence.
Outre l’incertitude entourant l’applicabilité de la défense de restriction accessoire, d’autres questions subsistent. D’abord, les nouvelles interdictions ne visent pas seulement les employeurs qui sont des concurrents réels (ou potentiels) : un nettoyeur et une librairie de quartier, par exemple, ne pourraient pas conclure un accord de fixation des salaires et de non-débauchage. Ces interdictions sont particulièrement dangereuses pour les franchiseurs et les franchisés, qui devront bien lire leurs contrats pour s’assurer de respecter la loi.
Ensuite, l’interdiction visant les accords de fixation des salaires englobe tout accord fixant les « conditions d’emploi ». Ce concept n’est cependant pas défini, tout comme le terme « employeur ». On ne sait donc pas si les dispositions s’appliquent seulement aux rapports traditionnels employeur-employé ou si elles visent aussi les entrepreneurs indépendants.
Enfin, les interdictions pourraient s’appliquer aux clauses de non-sollicitation et autres restrictions temporaires découlant d’acquisitions d’entreprises ou d’autres opérations. Là encore, la défense de restriction accessoire peut s’avérer risquée. Les clauses de non-sollicitation d’employés pour une durée limitée devraient toutefois être acceptables si elles ne lient pas deux employeurs.
L’incertitude entourant les nouvelles interdictions risque de compliquer les préparatifs en vue du 23 juin 2023. Même si le Bureau de la concurrence prévoit publier des lignes directrices sur les modifications dans les prochains mois[5], il serait sage de consulter un avocat avant de conclure un accord qui pourrait contrevenir aux nouvelles dispositions. Nous recommandons également d’examiner tout accord existant qui fixe les salaires ou entrave la mobilité professionnelle. Les employeurs pourraient aussi créer des programmes de conformité, ou réviser leurs programmes existants, selon les incidences des modifications sur leurs activités.
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[1] The United States Department of Justice, communiqué 16-1230, « Justice Department and Federal Trade Commission Release Guidance for Human Resource Professionals on How Antitrust Law Applies to Employee Hiring and Compensation », en ligne :
[2] Loi no 1 d’exécution du budget de 2022, L.C. 2022, ch. 10, art. 257 (paragr. 45(1.1) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34).
[3] Ibid. (paragr. 45(2) de la Loi sur la concurrence).
[4] Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, paragr. 45(4).
[5] Gouvernement du Canada, « Truquage des offres, fixation des prix et autres ententes entre concurrents – Types courants d’ententes illégales qui entravent la concurrence », en ligne :
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