L’American Bar Association (« ABA ») a récemment publié une nouvelle étude sur les opérations de fusion ou d’acquisition de sociétés à capital fermé au Canada. Cette nouvelle étude – la première depuis 2018 – porte sur l’analyse de 83 accords d’acquisition qui ont été conclus entre 2020 et 2022, concerne des sociétés canadiennes à capital fermé achetées ou vendues par des sociétés à capital ouvert. Les auteurs de cet article ont participé à cette étude.
Pour les avocats spécialisés en fusions et acquisitions, cette étude sert de point de comparaison stratégique, car elle permet de faire ressortir les principales dispositions des accords, entre autres les clauses de déclaration, les garanties, les clauses d’indemnisation et les conditions de clôture. La comparaison entre les conclusions de cette étude et celles de l’étude de 2018 permet d’illustrer la manière dont l’évolution des tendances sur les marchés – incluant les répercussions de la pandémie de COVID-19 – a influencé les fusions et acquisitions de sociétés à capital fermé au Canada.
Portrait des fusions et acquisitions : des marchés transformés par la pandémie de COVID-19
La pandémie de COVID-19 a accéléré plusieurs transformations dans le contexte d’opérations de fusion et d’acquisition de sociétés privées. Les secteurs de la santé (17 %) et des technologies (15 %) sont arrivés en tête sur le plan du volume, affichant un intérêt marqué pour les solutions numériques et l’innovation dans le domaine des sciences de la vie. Ces conclusions permettent de mesurer la diminution du nombre d’opérations dans le secteur pétrolier et gazier, qui sont passées de 21 % en 2018 à seulement 2 % aujourd’hui, principalement en raison de la volatilité des marchés et de l’engouement pour les investissements auprès de sociétés axées sur le respect des facteurs ESG.
La valeur de la plupart des opérations se situe entre 5 et 50 M$ CA (67 %), tandis que seulement 5 % ont une valeur supérieure à 200 M$ CA. Dans le contexte d’opérations de plus petite envergure, les parties ont privilégié les contreparties fondées sur des actions ou les contreparties mixtes (36 % dans chaque cas) par rapport aux placements entièrement en espèces (28 %), ce qui témoigne d’une évolution vers le partage des risques. Les opérations de sortie par les fondateurs ont plus que doublé par rapport à l’étude de 2018, pour atteindre 40 %.
Dispositions financières
Diminution des rajustements du prix d’achat
L’une des principales constatations est le recul des provisions pour le rajustement du prix d’achat, qui sont passées de 79 % en 2018 à 54 %. Même si les rajustements demeurent importants lorsqu’ils sont inclus, ils reposent principalement sur les fonds de roulement (87 %). Les acheteurs préparent généralement la première ébauche du bilan de clôture, ce qui leur permet d’exercer un contrôle initial sur le rapprochement des données financières. Les méthodes comptables conformes aux PCGR sont en hausse (36 %), probablement dans le but de réduire les litiges concernant les calculs postérieurs à la clôture de l’opération.
Clause d’indexation sur les bénéfices futurs et sommes entiercées
Les clauses d’indexation sur les bénéfices futurs sont passées de 18 % à 31 %, ce qui souligne l’importance d’une méthode d’évaluation partagée dans le but de réduire les risques lorsque les tendances des marchés sont incertaines. En cas de recours au rajustement du prix d’achat après la clôture, l’entiercement d’une somme distincte est plus fréquent (56 %), ce qui traduit une préférence pour la séparation des fonds pour le traitement des rajustements du prix d’achat après la clôture.
Mentions généralisées
Effet défavorable important («EDI»)
Les définitions des EDI sont désormais présentes dans 95 % des opérations et comprennent souvent les écarts-types prospectifs (89 %). Même si les dispenses relatives aux EDI ont augmenté, la fréquence de certains types de dispense (p. ex., les modifications apportées à une loi ou l’évolution des conditions économiques) a diminué, ce qui signifie que, même si les clauses EDI ont encore de l’importance, les acheteurs et les vendeurs négocient des dispenses plus nuancées.
Réserves relatives à la connaissance
Les réserves relatives à la connaissance constructive ont grimpé à 80 % (comparativement à 56 %), tandis que les réserves relatives à la connaissance réelle ont diminué. Ces données indiquent que les vendeurs sont souvent responsables de ce dont ils « auraient raisonnablement dû prendre connaissance », ce qui élargit leurs obligations d’information et les expose à un degré de risques plus élevés s’ils ne parviennent pas à relever les éventuels passifs.
Déclarations et garanties
Juste représentation et « aucune responsabilité non déclarée »
La déclaration de « juste représentation », qui exige que les états financiers représentent fidèlement la situation financière de la société cible, demeure quasi universelle (97 %), généralement sans mention des énoncés descriptifs relatifs aux PCGR. La déclaration « aucune responsabilité non déclarée » couvre toutes les responsabilités dans 74 % des cas, et pas seulement les responsabilités liées aux PCGR, ce qui élargit la protection accordée aux acheteurs.
Règle 10b-5 et autres sujets émergents
L’utilisation des déclarations en vertu de la règle 10b-5 a augmenté à 42 %, même si celles-ci sont souvent liées aux mentions relatives à la connaissance (42 %), ce qui permet de transférer une partie du risque aux acheteurs. En même temps, les déclarations relatives à la cybersécurité (32 %) et à la protection des renseignements personnels (55 %) sont apparues pour la première fois, ce qui traduit l’inquiétude croissante à l’égard de la violation des données et du respect de la réglementation. Une nouvelle déclaration relative à la « clause de parité », même si elle est encore rare (13 %), illustre une sensibilisation croissante à l’égard des risques associés à la culture et à la réputation liée aux comportements répréhensibles en milieu de travail.
Mises à jour des annexes d’information
Dans 43 % des accords examinés, les déclarations provisoires modifient automatiquement l’accord, empêchant les acheteurs de le résilier sur la base de nouvelles révélations. Certains accords permettent également à l’acheteur de se retirer si les mises à jour modifient l’accord de manière importante, ou de conclure l’accord tout en préservant les droits d’indemnisation pour les nouveaux sujets faisant l’objet d’une déclaration.
Engagements
Conduite préalable à la clôture
La plupart des accords exigent que la société cible agisse dans le cours normal de ses activités (91 %) et qu’elle notifie à l’acheteur tout manquement pendant la période intermédiaire (80 %). Toutefois, ces avis déclenchent rarement des droits de résiliation automatique. Au lieu de cela, les parties s’appuient généralement sur les clauses d’indemnisation pour traiter ces sujets après la conclusion de l’opération.
Approbations requises de la part des autorités de réglementation
Dans le contexte de la Loi sur Investissement Canada et de la Loi sur la concurrence, 16 % des accords contenaient des dispositions relatives aux approbations requises de la part des autorités de réglementation, généralement assujetties à une norme d’« efforts raisonnables sur le plan commercial » (67 %). Cette approche équilibrée souligne la nécessité pour les parties de coordonner l’obtention des autorisations tout en conservant une certaine flexibilité au cas où des contraintes réglementaires imprévues se présenteraient.
Protection des accords
Les clauses d’« interdiction de sollicitation » sont désormais présentes dans 82 % des accords, comparativement à 64 % auparavant, ce qui témoigne de l’importance accordée à l’énoncé de dispositions définitives et à la réduction des probabilités d’offres concurrentes. Des clauses de non-sollicitation ou de non-concurrence figurent dans 47 % des accords examinés, ce qui indique que les acheteurs cherchent de plus en plus à se protéger de la concurrence du vendeur après la conclusion de l’opération.
Conditions de clôture
Exactitude des déclarations et non-application de l’importance relative
La demande des acheteurs pour que les déclarations et garanties de la société cible soient exactes à la fois à la signature et à la clôture de l’opération a augmenté à 51 %. Ces propos rassurants permettent de se prémunir contre toute évolution défavorable de la situation de la société cible au cours du cycle de vie de l’opération. De plus, les clauses de «non-application de l’importance relative» qui suppriment les réserves relatives à la connaissance dans le but de déterminer les manquements sont passées à 62 %, ce qui limite la capacité du vendeur à faire valoir que certains manquements sont trop peu importants pour déclencher une procédure de recours.
Clauses EDI indépendantes
Les clauses EDI indépendantes sont passées de 19 % à 58 %. En comparaison, les dispositions relatives à l’absence de poursuites en justice sont tombées à 57 % (comparativement à 86 %), ce qui indique que les parties ont tendance à privilégier des dispositions plus ciblées en matière d’intégrité de l’opération et qu’elles créent un équilibre entre le risque de litige et la nécessité de finaliser l’opération sans option de résiliation étendue.
Avis juridiques
Les avis juridiques de nature non fiscale provenant de l’avocat de la société cible demeurent relativement rares (18 %). La préférence continue d’être accordée à la diligence rigoureuse et aux déclarations contractuelles plutôt qu’aux avis juridiques officiels.
Indemnisation
Tactiques dilatoires et clause de disculpation
L’absence de déclarations concernant les tactiques dilatoires continue d’occuper une position dominante (82 %), ce qui signifie que la plupart des opérations ne mentionnent pas explicitement si les acheteurs peuvent demander une indemnisation en cas de manquement dont ils avaient connaissance avant la conclusion de l’opération. Lorsqu’elles sont incluses, les clauses pro-dilatoires sont présentes dans 10 % des accords, tandis que les clauses anti-dilatoires sont présentes dans 8 % d’entre eux. Les « clauses de disculpation expresses » ont également diminué, passant de 30 % à 18 %, ce qui signifie que les vendeurs disposent de moyens contractuels plus restreints pour limiter les réclamations des acheteurs aux seules déclarations énoncées.
Périodes de maintien en vigueur et non-application de l’importance relative
La période de maintien en vigueur la plus courante pour l’indemnisation générale est désormais de 24 mois (comparativement à 18 mois dans l’étude précédente). Le nombre d’infractions associées à la non-application de l’importance relative liée à l’indemnisation a légèrement augmenté, passant à 45 %, tandis que les infractions liées à la « non-application double de l’importance relative » (élimination des réserves quant à l’importance relative tant pour l’existence et pour le calcul des dommages-intérêts) ont considérablement augmenté, passant de 35 % à 56 %.
Montant minimal et montant maximal de réclamation
Les seuils établis selon la franchise sont les plus répandus (46 %), ce qui indique que les vendeurs ne sont pas responsables des réclamations inférieures au seuil convenu, tandis que les seuils au premier dollar demeurent assez courants (33 %). Les plafonds d’indemnisation couvrant la totalité du prix d’achat ont grimpé à 49 %, ce qui suggère une plus grande protection de l’acheteur à l’égard des passifs importants. Les fonds entiercés ou les retenues pour indemnisation ont reculé à 38 % (comparativement à 60 %), et leur volume moyen a également diminué, passant de 10,85 % à 4,56 % de la valeur de l’opération. Néanmoins, lorsque ceux-ci sont utilisés, une grande partie (43 %) représente moins de 3 % de la valeur de l’opération.
Compensation
Les compensations pour le produit de l’assurance, les avantages fiscaux ou d’autres facteurs atténuants font encore partie des dispositions contenues dans de nombreux accords. Les acheteurs doivent souvent déduire de leurs demandes d’indemnisation le produit de l’assurance versé (64 %), ce qui traduit le maintien d’un équilibre entre la responsabilité du vendeur et les stratégies d’assurance.
Règlement des différends
Le recours aux autres mécanismes de résolution des différends est limité. Toutefois, lorsqu’un tel recours est prévu, l’arbitrage demeure le mécanisme privilégié. Tout comme dans les conclusions de l’étude de 2018, la répartition des frais d’arbitrage est souvent non évoquée ou établie par l’arbitre.
Assurance des déclarations et des garanties (« ADG »)
L’utilisation d’une ADG est relativement faible (13 %), en grande partie parce que les accords faisant partie des échantillons observés se situent dans le secteur des petites ou moyennes entreprises, dans lesquelles la souscription d’une ADG est depuis toujours moins répandue. Lorsqu’une ADG est souscrite, les acheteurs et les vendeurs ont tendance à partager les frais d’assurance (62 %). Toutefois, dans les opérations plus complexes ou d’une valeur plus élevée, l’ADG est souvent utilisée comme mesure standard de répartition des risques.
Regard vers l’avenir
Cette étude met en lumière un contexte de fusions et d’acquisitions redéfini par les pressions économiques, les paysages réglementaires changeants et un intérêt toujours renouvelé pour la croissance par acquisition. La structure des accords continue d’évoluer et cette étude démontre que les conseillers juridiques accordent une plus grande attention aux points suivants :
- Répartition des risques. Les clauses EDI et les réserves relatives à la connaissance servent de plus en plus souvent de fondement aux énoncés prospectifs pour répondre aux volte-face des marchés.
- Intégrité de l’opération. L’expansion des clauses d’interdiction de sollicitation et des conditions de clôture spécifiques reflète la volonté de finaliser l’accord, même si les parties demeurent prudentes à l’égard de tout éventuel changement de tendance sur les marchés ou dans les objectifs.
- Priorité en matière de réglementation. Seul un faible pourcentage d’accords renvoie à la Loi sur Investissement Canada ou à la Loi sur la concurrence, et un examen plus approfondi pourrait s’imposer à l’avenir, en particulier à mesure de l’augmentation du nombre d’opérations transfrontalières.
- Nouvelles mesures de protection. La cybersécurité, la protection des renseignements personnels et les facteurs liés à la réputation (c.-à-d., la « clause de parité ») permettent de constater que ces risques ne font plus partie des préoccupations secondaires.
De l’inflation aux contraintes liées à la chaîne d’approvisionnement en passant par les tensions politiques à l’échelle mondiale, les forces externes qui façonnent l’évaluation et la structure semblent prêtes à continuer d’influencer, à court terme, les opérations de fusion et d’acquisition au Canada. En examinant attentivement les conclusions des études de l’ABA sur les opérations de fusion et d’acquisition et les ressources comparables, les conseillers juridiques seront en mesure de s’adapter aux tendances émergentes et de négocier des accords résistant aux incertitudes immédiates et aux préoccupations stratégiques à plus long terme.