D’importantes modifications ont été apportées en 2024 à la disposition générale anti-évitement (la « DGAE ») du Canada, lesquelles s’appliquent rétroactivement aux opérations conclues à compter du 1er janvier 2024. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a émis des directives sur l’application de la DGAE révisée sur une page Web publiée le 20 décembre 2024 (la « page Web »)[1].

La page Web fournit des exemples de « stratagèmes d’évitement fiscal » auxquels l’ARC chercherait à appliquer la DGAE. Ces exemples se rangent dans trois grandes catégories :

  • dépouillement des surplus;
  • création d’une perte en capital artificielle; et
  • fiducies discrétionnaires et application de la règle de disposition réputée après 21 ans.

Dans chaque catégorie, l’ARC définit un « abus ciblé » et un « arrangement abusif ».

Le présent article met en évidence certaines opérations qui seront, selon l’ARC, assujetties à l’application de la DGAE, tel qu’il est indiqué sur la page Web[2]

Dépouillement des surplus

En ce qui concerne le « dépouillement des surplus », l’abus ciblé implique une opération au profit d’un actionnaire qui est un particulier ou un non-résident et qui entraîne le retrait de l’excédent d’une société d’une manière qui réduit l’assiette fiscale et/ou un remboursement de capital supérieur au montant de l’investissement effectué avec des fonds après impôt.

L’arrangement abusif pour cette catégorie implique les opérations entreprises pour dépouiller le surplus de la société d’une manière qui va à l’encontre de l’objet et de l’esprit des articles 84, 84.1 et 212.1 et du paragraphe 89(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) « la « Loi »).

La page Web présente les exemples suivants de dépouillement des surplus dans lesquels, de l’avis de l’ARC, la DGAE s’appliquerait :

Exemple 1 :

  • Un particulier détient des actions de catégorie B de Gesco à un prix de base rajusté (« PBR ») élevé (pour lesquelles l’exonération des gains en capital a déjà été cristallisée).
  • Filialeco transfère le bien à la société mère Gesco en contrepartie d’actions de catégorie B de Gesco.
  • Par suite de ce transfert, le capital versé (« CV ») au titre des actions de catégorie B de Gesco détenues par le particulier est considérablement augmenté.

Exemple 2 :

  • Un particulier détient :
    • des actions ordinaires de Canco ayant une juste valeur marchande (« JVM ») de 850 000 $ et un PBR correspondant à leur valeur nominale; et
    • des actions privilégiées de Canco (pour lesquelles l’exonération des gains en capital a déjà été cristallisée) ayant une JVM et un PBR totalisant 850 000 $.
  • Canco rachète les actions privilégiées, ce qui entraîne :
    • un dividende réputé de 849 999 $; et
    • une perte en capital équivalente.
  • En vertu du paragraphe 40(3.6) de la Loi, la perte en capital entraîne l’augmentation du PBR des actions ordinaires du particulier.
  • Le particulier transfère ensuite ses actions ordinaires à Gesco en contrepartie :
    • d’actions privilégiées ayant un PBR et une valeur de rachat totalisant 850 000 $ et des actions ordinaires dont la JVM correspond à valeur nominale;
    • de nouvelles actions ordinaires de Gesco à valeur nominale.
  • Gesco rachète ensuite les actions privilégiées sans conséquences fiscales.

Exemple 3 :

  • La société mère (une société étrangère) détient des actions ordinaires de Canco ayant :
    • une JVM de 200 000 000 $; et
    • un PBR et un CV de 100 000 000 $.
  • Canco détient des actions ordinaires de Filialeco ayant :
    • une JVM de 2 000 000 $; et
    • un PBR et un CV de 40 000 000 $.
  • Canco vend ses actions ordinaires de Filialeco à Étrangèreco (une filiale de la société mère) pour 2 000 000 $.
  • À la suite d’une fusion horizontale de Canco et de Filialeco, le CV des actions de la société issue de la fusion s’élève à 140 000 000 $.

Création d’une perte en capital artificielle

Pour la « création d’une perte en capital artificielle », l’abus ciblé consiste dans la compensation d’un gain en capital par une perte en capital artificielle, ce qui donne lieu à l’abus des articles 38, 39 et 40 de la Loi.

L’arrangement abusif implique des opérations appelées « transferts de valeur » dans le cadre desquelles la valeur d’une catégorie d’actions existante est transférée à une catégorie d’actions nouvellement émise. Les actions initiales sont ensuite vendues à une personne non affiliée, ce qui entraîne une perte en capital artificielle qui est utilisée pour compenser un gain en capital.

La page Web présente l’exemple suivant de création d’une perte en capital artificielle assujettie à l’application de la DGAE :

Exemple :

  • Canco déclare un dividende sur les actions ordinaires détenues par un particulier. Le dividende est payable au moyen de l’émission d’actions privilégiées ayant une valeur de rachat élevée et un faible CV (communément appelées des actions « high-low »).
  • Le particulier vend ses actions ordinaires de Canco à une personne non affiliée pour un montant nominal, opération qui entraîne une perte en capital.

Fiducies discrétionnaires et application de la règle de disposition réputée après 21 ans

L’abus ciblé du stratagème appelé « fiducies discrétionnaires et application de la règle de disposition réputée après 21 ans » consiste à reporter indéfiniment la reconnaissance des gains accumulés sur certains types de biens, ce qui contrevient au paragraphe 104(4) de la Loi.

Le paragraphe 104(5.8) de la Loi vise à empêcher l’évitement de la règle des 21 ans au moyen de transferts entre fiducies, qui ne comprennent pas la disposition de biens à la JVM. L’arrangement abusif dans cette catégorie consiste à contourner l’application du paragraphe 104(5.8) afin d’éviter la règle des 21 ans.

La page Web présente les exemples suivants pour cette catégorie[3] :

Exemple 1 :

  • Une fiducie approchant de son 21e anniversaire (« ancienne fiducie ») détient des biens ayant une JVM élevée et un PBR faible.
  • Canco, entièrement détenue par une fiducie discrétionnaire nouvellement établie résidant au Canada (« nouvelle fiducie »), est ou deviendra un bénéficiaire de l’ancienne fiducie A en vertu de son acte de fiducie.
  • L’ancienne fiducie A distribue ses biens, sur une base d’impôt différé, avec un gain non réalisé à Canco.

Exemple 2 :

  • Une fiducie approchant de son 21e anniversaire (« ancienne fiducie ») compte des bénéficiaires non-résidents et détient des biens ayant une JVM élevée et un PBR faible.
  • Canco, entièrement détenue par les bénéficiaires non-résidents de l’ancienne fiducie B, est ou deviendra un bénéficiaire de l’ancienne fiducie B.
  • Les biens de l’ancienne fiducie B sont distribués à Canco sur une base d’impôt différé.

À retenir

Les contribuables et les conseillers qui envisagent des opérations de planification fiscale peuvent consulter les exemples donnés sur la page Web. Les lecteurs doivent être conscients du fait que ces exemples ne sont pas exhaustifs et qu’ils ne limitent pas la position que la Couronne adopterait à l’égard de la DGAE dans les cas futurs ou actuels.

Pour être informés des modifications pouvant être apportées à la page Web, y compris l’ajout d’exemples, les contribuables et les conseillers peuvent s’inscrire à la Liste d’envois électroniques – Entreprises – Bulletin d’information fiscale[4]. Si vous avez des questions concernant la page Web ou l’application de la DGAE, communiquez avec un membre du groupe Fiscalité des entreprises de Miller Thomson.


[1] Agence du revenu du Canada, « Disposition générale anti-évitement (DGAE) » (dernières modifications le 9 janvier 2025).

[2] Le présent article fait référence à des noms de sociétés, tels que « Canco », « Filialeco » et « Étrangèreco », repris de la page Web. Ces termes ne sont pas définis sur la page Web, mais on comprend, d’après les diagrammes qui y sont présentés et le contexte général, qu’ils signifient respectivement « société canadienne », « filiale » et « société étrangère ».

[3] Il est à noter que ces exemples d’opérations ont également été désignés comme des opérations à signaler aux fins de l’article 237.4 de la Loi.

[4]Agence du revenu du Canada, « Liste d’envois électroniques – Entreprises – Bulletin d’information fiscale » (dernières modifications le 11 octobre 2023).