Dans les milieux des affaires, du commerce et des finances en constante évolution, où les actifs numériques jouent un rôle essentiel, le transfert de cryptomonnaies dans le cadre de diverses transactions est désormais monnaie courante. On le constate notamment lorsque des actifs numériques sont donnés en garantie de prêt ou transférés dans le cadre de contrats de prêt de cryptomonnaies.

Scénario 1 : garantie de prêts

Certains emprunteurs souhaitent tirer parti de leurs importants portefeuilles d’actifs numériques pour obtenir des prêts en monnaie fiduciaire. Le processus de mise en gage des cryptoactifs dans les transactions de prêts garantis peut prendre diverses formes.

Parfois, les conditions du prêt peuvent forcer l’emprunteur à mettre en gage des actifs numériques en concluant un contrat de garde. Ce contrat désigne un dépositaire chargé de la possession et du contrôle des actifs numériques donnés en garantie.

Selon les conditions du contrat de garde, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») peut soutenir qu’une disposition d’actifs a eu lieu, ce qui pourrait donner lieu à des gains ou des pertes en capital pour la personne qui donne les actifs numériques en garantie.

Dans le cadre d’un tel contrat, les plateformes de négociation obtiennent généralement l’intérêt juridique des actifs donnés en garantie. Pour déterminer s’il y a eu disposition des actifs, il faut avant tout vérifier si les conditions du contrat prévoient que la plateforme de négociation obtient également la propriété effective des actifs.

En vertu du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi »), la définition de « disposition » comprend, à l’alinéa c), « tout transfert de bien à une fiducie ou tout transfert de bien d’une fiducie à un bénéficiaire de celle-ci, sauf disposition contraire aux alinéas f) ou k) ». L’application des alinéas (f) ou (k) peut être décrite comme une exception à la règle lorsqu’un simple changement a été apporté à la propriété légale de la fiducie sans qu’un changement ne soit survenu dans la propriété effective.

En règle générale, une relation de garde est considérée comme une relation fiduciaire dans le cadre de laquelle les actifs sont détenus par le dépositaire au profit de l’emprunteur. Ce type de contrat peut être considéré comme une simple fiducie à des fins fiscales, dans laquelle le titre légal est transféré au fiduciaire (le dépositaire) et la propriété effective est détenue par le bénéficiaire (l’emprunteur)[1]. Dans un tel cas, lorsque des actifs numériques sont donnés en garantie, il n’y aura pas de disposition en vertu de l’alinéa (c) puisque seul un changement de propriété légale a eu lieu, non un changement de propriété effective. Cependant, si un changement de propriété effective a lieu aux termes du contrat, le contrat de garde peut entraîner une disposition en vertu de la Loi.

Les actifs numériques peuvent également être donnés en garantie d’un prêt lorsqu’il n’existe pas de contrat de garde ni de relation de fiducie. Dans le cadre d’un contrat de garantie reposant sur des actifs traditionnels, la mise en gage des titres peut ne pas être considérée comme une disposition au sens de la Loi. En vertu du paragraphe 248(1) de la Loi, une « disposition » exclut, à l’alinéa (j), « tout transfert de bien effectué dans le seul but de garantir le remboursement d’une dette ou d’un emprunt, ou tout transfert effectué par un créancier dans le seul but de restituer des biens qui avaient servi à garantir le remboursement d’une dette ou d’un emprunt ». Par conséquent, lorsque des actifs numériques sont donnés en garantie dans le cadre d’une transaction de prêt garanti sans relation de garde, il ne devrait pas y avoir de disposition imposable s’il n’y a pas eu de transfert de propriété effective.

Selon la définition de « disposition » donnée au paragraphe 248(1) de la Loi, l’ARC pourrait examiner la transaction avec une attention particulière afin de déterminer si le transfert d’actifs numériques réalisé dans le cadre d’un contrat de garde ou sans contrat de garde constitue une disposition aux fins fiscales, ce qui soulève des questions intrigantes au sujet des conséquences fiscales.

Scénario 2 : contrats de prêt

Un récent commentaire formulé lors d’une table ronde de l’ARC portait sur un scénario hypothétique dans lequel un contribuable transfère des bitcoins à une plateforme centralisée de négociation et de prêt de cryptoactifs en échange d’un rendement variable dans le cadre d’un contrat de prêt[2]. La plateforme, qui détient les bitcoins en son nom propre, a conservé le droit de mettre en gage, de vendre, de prêter ou encore de transférer ou d’utiliser les bitcoins à sa discrétion sans en informer le contribuable[3].

Comme les bitcoins n’étaient pas détenus en fiducie au profit du contribuable en sa qualité de propriétaire effectif dans le cadre d’un contrat de garde, la participation du bénéficiaire dans les bitcoins déposés a été transférée à la plateforme de négociation.

À la lumière des faits limités présentés, l’ARC a indiqué qu’une disposition avait probablement eu lieu aux fins de l’application de la Loi[4]. L’ARC n’a pas cité un alinéa précis de la Loi pour soutenir cette position, mais elle a fait référence de manière générale à la définition de « disposition » fournie au paragraphe 248(1).

Par suite de cette table ronde, le contribuable pourrait faire face à des conséquences fiscales imprévues liées au contrat de transfert de bitcoins.

Conséquences

En raison de la définition de « disposition » donnée au paragraphe 248(1) de la Loi, il est plus difficile de comprendre les conséquences fiscales du transfert d’actifs numériques. L’ARC a fait remarquer que les déterminations concernant une disposition de cryptomonnaies nécessitent l’examen des événements, des transactions ou des transferts ainsi que de tous les faits pertinents, des clauses contractuelles et du droit privé applicable[5].

Les conséquences fiscales imprévues mises en évidence dans ces scénarios soulignent l’importance d’examiner attentivement les conditions des contrats de prêt et de tenir des dossiers complets lorsque l’on s’aventure dans le domaine dynamique et imprévisible des transactions sur actifs numériques.

Conclusion

Comme la nature des transferts de cryptomonnaies entraîne souvent des conséquences imprévues, les participants à ces transactions doivent faire preuve de prudence et de diligence. La difficulté d’effectuer le suivi des mouvements des cryptoactifs met en évidence l’importance des dossiers bien tenus. Dans ce marché en rapide évolution qui nécessite de prendre des décisions aussi rapides que sa connexion Internet, il est impératif de bien réfléchir avant de conclure des contrats non traditionnels portant sur des actifs numériques.

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[1] Bien que le terme « simple fiducie » ne soit pas défini dans la Loi, l’ARC décrit la simple fiducie aux fins de l’impôt sur le revenu comme un acte de fiducie en vertu duquel le fiduciaire peut raisonnablement être considéré comme agissant en tant que mandataire pour tous les bénéficiaires de la fiducie en ce qui concerne toutes les opérations relatives à tous les biens de la fiducie. Un fiduciaire peut raisonnablement être considéré comme agissant en tant que mandataire d’un bénéficiaire lorsqu’il n’a pas de pouvoirs ni de responsabilités importants, qu’il ne peut prendre aucune mesure sans avoir reçu des directives de la part de ce bénéficiaire et que sa seule fonction consiste à détenir le titre légal du bien. Pour que le fiduciaire soit considéré comme le mandataire de tous les bénéficiaires d’une fiducie, il faut généralement que la fiducie consulte chacun des bénéficiaires en ce qui concerne toutes les transactions portant sur l’ensemble des biens de la fiducie et reçoive des directives de leur part. Les simples fiducies sont désormais soumises aux nouvelles exigences de déclaration des fiducies pour les années d’imposition se terminant après le 30 décembre 2023. Par conséquent, une simple fiducie est tenue de produire une déclaration T3 chaque année (à moins que des conditions précises ne soient respectées) et de remplir une annexe 15 chaque année (à moins d’être une fiducie désignée). Un simple fiduciaire doit obtenir un numéro de compte de fiducie. Dans le cas des relations de garde, les dépositaires des cryptomonnaies doivent déterminer s’il existe une relation de simple fiducie et se conformer aux exigences de déclaration. Pour obtenir un complément d’information, consulter cette page : Gouvernement du Canada, « Nouvelles exigences de déclaration des fiducies pour les déclarations T3 produites pour les années d’imposition se terminant après le 30 décembre 2023 » (1er décembre 2023), en ligne : < https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/impot/administrateurs-fiducies/declaration-t3/nouvelles-exigences-declarations-t3-annees-imposition-terminant-decembre-2023.html#toc0>.

[2] Association de planification fiscale et financière, table ronde tenue le 2 novembre 2023 lors du congrès de l’APFF, question 10 portant sur la disposition lors du transfert de bitcoins vers une plateforme de négociation (2 novembre 2023).

[3] Ibidem.

[4] Ibidem.

[5] Ibidem.