Dans le cours de ses affaires, la débitrice Colbex a remis des produits de viande à Les Entreposages Frigorifiques Total inc. (Total) de manière à ce que cette dernière procède à la congélation, manutention et entreposage desdits produits de viande. Total décrivait les prix devant être chargés pour ces services dans une lettre datée du 10 mai 2010. Ces prix devaient être en vigueur pour une période de cinq ans. Cependant, la date de cette lettre a été modifiée de manière à être en octobre 2011.
Le 15 juin 2012, la somme de 77 972,43 $ était due par la débitrice à Total, pour le service de congélation, manipulation et entreposage de produits. Par ailleurs, des frais supplémentaires pour la manipulation, congélation et entreposage des stocks chez Total totalisent un montant de 3 807,47 $. Au même moment, Total détient du stock de la débitrice ayant une valeur de plus de 200 000 $.
La Banque, quant à elle, détenait des sûretés sur les biens de la débitrice de manière à garantir la dette. Parmi ces sûretés, on comptait également des hypothèques mobilières et une garantie en vertu de l’article 427 de la Loi sur les banques consentie par la débitrice en faveur de la Banque le 25 novembre 2005. L’avis d’intention exigé a été enregistré le 24 novembre 2005 et par conséquent, la validité des sûretés n’est aucunement remise en question.
La question en litige est le fait que la Banque réclame la possession des biens entreposés alors que Total refuse cette demande de possession demandant le paiement des sommes dues pour la manipulation, congélation et entreposage des stocks. Son refus est justifié par le droit de rétention d’un dépositaire au sens du Code civil du Québec.
Ainsi, la question en litige est de déterminer si le droit de rétention d’un dépositaire en vertu du Code civil du Québec a priorité sur le droit d’une banque détenant une garantie en vertu de l’article 427 de la Loi sur les banques sur les mêmes biens.
La Cour annonce d’entrée de jeu sa position à l’effet que « l’article 427 et suivants de la Loi sur les banques sont clairs et donnent priorité aux droits de la Banque dans les circonstances dans cette cause ». Par ailleurs, la Cour souligne qu’il est impossible de réconcilier le conflit entre les dispositions du droit civil et celles de la Loi sur les banques. Ainsi, la Banque aurait les droits d’une personne qui a acquis un « récépissé d’entrepôt ». Cette personne détient donc le « titre légal » aux biens meubles décrits mais elle ne détient pas le « titre équitable » qui demeure toujours avec le débiteur, ce dernier pouvant récupérer ce bien sur paiement de la dette. Ce concept de common law est tout à fait différent du concept du droit de propriété en droit civil. Étant donné que les droits de propriété créés dans le contexte d’un régime de common law s’intègrent mal dans le cadre d’un régime de droits des biens du droit civil, les droits de la Banque ont été décrits comme un droit de propriété « sui generis ». Par conséquent, la Banque n’aurait jamais été propriétaire au sens du droit civil. Dans l’éventualité où les droits étaient vendus et après le paiement de la dette de la Banque, cette dernière serait tenue de remettre tout surplus à la débitrice, seul le véritable propriétaire pouvant conserver ce surplus. Malgré le fait que la Banque détienne les droits d’un détenteur de titre légal tels que précédemment décrits, cette dernière est néanmoins une créancière garantie détenant une sûreté.
La Loi sur les banques contient une disposition claire applicable au conflit de priorité disant que la Loi sur les banques s’applique et a préséance lorsqu’un conflit surgit. Ainsi, l’article 428 (1) de la Loi sur les banques stipule que tous les droits subséquents acquis sur les biens dans l’entrepôt priment :
« Le conflit entre la Loi sur les banques et le droit de rétention en vertu de l’article 2293 du Code civil du Québec ne peut pas, dans ces circonstances, être concilié et la primauté est donc accordé aux dispositions de la Loi sur les banques ». (page 7, paragraphe 27 du jugement)
La Banque détient donc une sûreté dès l’acquisition des biens par la débitrice, alors que le droit revendiqué par Total naît seulement par la possession de ces biens. Lors de l’arrivée des biens à l’entrepôt de Total, ces derniers sont déjà sujets aux droits garantis de la Banque. Ainsi, la Banque a priorité et le droit de rétention n’est pas opposable à cette dernière.
Dans l’affaire de la mise sous séquestre de : Levinoff-Colbex s.e.c. et Richeter Groupe Conseil Inc. et Les Entreposages Frigorifiques Total Inc. et als.. C.S. 500-11-042772-125, jugement du 15 avril 2013, Juge Mark Schrager.