Projet de loi 96 modifiant la Charte de la langue française : principales répercussions pour les titulaires d’une marque de commerce

30 mars 2023 | Alexandre Ajami

Le 24 mai 2022, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (le « projet de loi 96 »), sanctionné le 1er juin 2022, qui modifie la Charte de la langue française (la « Charte ») et d’autres lois connexes. Certaines dispositions du projet de loi 96 ont pris effet le 1er juin 2022, tandis que d’autres entreront en vigueur par étapes jusqu’au 1er juin 2025.

La Charte, comme l’énonce son préambule, vise à faire du français la langue de l’État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires. Adoptée en 1977, elle encadrait strictement l’emploi du français au Québec bien avant le dépôt du projet de loi 96 en mai 2021.

Les modifications de ce projet de loi auront toutefois des conséquences notables sur a) l’étiquetage et l’emballage des produits, ainsi que sur b) l’affichage public, ce dont il sera question aux prochaines lignes. Ces changements entreront en vigueur le 1er juin 2025.

Le projet de loi 96 introduit également plusieurs modifications concernant notamment la langue utilisée dans les tribunaux, les lieux de travail, les contrats privés et l’administration civile, lesquels ne sont pas couverts dans la présente infolettre.

Les règles actuelles

La Charte rend obligatoire l’utilisation habituelle du français dans les secteurs du commerce et des affaires au Québec.

Étiquetage et emballage des produits

Toute inscription, sans exception, sur un produit, son contenant, son emballage ou un document ou objet qui l’accompagne, y compris le mode d’emploi et les certificats de garantie, doit être rédigé en français. Il en est également ainsi pour les catalogues, brochures, dépliants, annuaires commerciaux, bons de commande et autres documents de même nature disponibles au public, ainsi que toute autre publication semblable (par exemple, sur un site Web ou dans les médias sociaux), peu importe le support utilisé.

Dans tous ces cas, le texte français peut, s’il y a lieu, être assorti d’une ou plusieurs traductions, pourvu qu’elles ne l’emportent pas sur le français et qu’elles ne soient pas accessibles dans des conditions plus favorables.

Quelques exceptions limitées s’appliquent; elles sont énoncées dans le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le « Règlement »). La plus importante d’entre elles est qu’une marque de commerce reconnue, au sens de la Loi sur les marques de commerce du Canada, peut être utilisée exclusivement dans une autre langue, à moins qu’une version française ait été déposée. Les tribunaux ont statué que cette exception s’applique à toute marque de commerce, déposée ou non (comme une marque en common law).

Affichage public et publicité commerciale

Actuellement, les règles sont moins simples pour l’affichage public et la publicité commerciale, qui doivent être en français. Une autre langue peut s’y ajouter, pourvu que le français y figure « de façon nettement prédominante », mais le Règlement prévoit des cas où l’affichage public et la publicité commerciale doivent être exclusivement en français (par exemple, sur les grands panneaux-réclame de 16 mètres carrés ou plus qui sont visibles de tout chemin public).

La portée du terme « de façon nettement prédominante » est aussi définie par règlement. Selon cette définition, un texte est nettement prédominant s’il a un effet visuel beaucoup plus important qu’un texte dans une autre langue. Toujours selon le règlement, le texte en français est réputé avoir un impact visuel beaucoup plus grand s’il est au moins deux fois plus grand que l’autre.

Comme pour l’étiquetage et l’emballage, des exceptions s’appliquent aussi aux marques de commerce déposées et non déposées. Le Règlement a été modifié en 2016 pour améliorer la visibilité de la langue française dans l’affichage public des marques. Anciennement, il était permis d’installer une enseigne affichant uniquement une marque de commerce dans une langue autre que le français. Selon la règle de 2016, cependant, si cette marque est affichée à l’extérieur d’un immeuble, une présence suffisante du français doit aussi être assurée sur les lieux.

Il peut s’agir a) d’un générique, b) d’un descriptif des produits ou services visés; c) d’un slogan ou d) de tout autre terme ou mention, en privilégiant l’affichage d’information sur les produits ou les services au bénéfice des consommateurs ou des personnes qui fréquentent les lieux.

Plusieurs facteurs servent à déterminer si la présence du français est suffisante. Aux termes du Règlement et sans exception, la présence suffisante du français s’entend d’un affichage dont les qualités permettent à la fois : de conférer au français une visibilité permanente, similaire à celle de la marque de commerce affichée; et d’assurer sa lisibilité dans le même champ visuel que celui qui est principalement visé par l’affichage de la marque de commerce.

Nouvelles règles

Comme il a été dit, l’exception applicable aux marques de commerce s’apprête à changer totalement. Aux termes des dispositions qui prendront effet le 1er juin 2025, seules pourront bénéficier de cette exception les marques de commerce déposées (au Canada) dont aucune version correspondante en français ne se trouve au registre en ce qui concerne les étiquettes et emballages ainsi que l’affichage public et la publicité commerciale.

Il s’agit d’un changement important pour les nombreux titulaires de marque de commerce qui utilisent une marque non déposée, surtout dans le cas des marques descriptives ou secondaires.

Le Règlement n’a pas encore été modifié en conséquence, mais il devrait l’être d’ici 2025, notamment en ce qui concerne les règles relatives aux catalogues, aux sites Web et aux médias sociaux.

L’exception pour les marques de commerce déposées sera limitée davantage selon la situation.

Étiquetage et emballage des produits

Si une marque déposée contient un terme générique ou une description du produit, ce terme ou cette description devra également figurer en français sur le produit ou un support qui s’y rattache de manière permanente. Ce support n’est pas défini clairement, et l’organisme de réglementation (l’Office québécois de la langue française) ne s’est pas encore prononcé sur le sujet.

Pendant l’examen en comité du projet de loi 96, des exemples d’interprétation de la nouvelle disposition ont été fournis. Une marque de commerce déposée comme « BEAUTY SHOP » pourrait figurer sur l’emballage d’un produit sans traduction française. En revanche, pour une marque de commerce déposée comme « SOFTSOAP BRAND, Lavender and Shea Butter, washes away bacteria, deeply moisturize to hydrate skin, refill 50 ounces, 1.56 QT, 1.47 liters, refill over 673 ounces, use 48 less plastic per ounces, 7.5 ounces pumps » devrait s’accompagner d’une traduction française pour tout ce qui suit « SOFTSOAP BRAND ».

Cette disposition pourrait toucher ceux qui utilisent des marques descriptives pour leurs produits et emballages.

Affichage public et publicité commerciale

Dans l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local, le français devra figurer de façon « nettement prédominante » si la marque de commerce apparaît dans une autre langue, alors que la règle actuelle se limite à une « présence suffisante ». Comme il a été dit, pour que le français soit nettement prédominant, il doit occuper au moins deux fois l’espace qu’occupent les autres langues, un changement qui pourrait être lourd et dispendieux pour les entreprises.

Prochaines étapes

Les titulaires d’une marque de commerce devraient songer à déposer une demande d’enregistrement au Canada pour toute marque qui n’est pas en français, si ce n’est pas déjà fait. Toutefois, si ces marques sont enregistrées en français, l’exception ne s’appliquera pas. Il leur faudra agir rapidement, puisque le temps d’examen de ces demandes à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada est actuellement de quatre ans à partir du dépôt de la demande (à moins d’utiliser la liste préapprouvée de produits et services, auquel cas le délai est d’environ 19 mois).

Les titulaires devraient aussi vérifier si leurs marques déposées comprennent des éléments génériques ou descriptifs qui devront être traduits sur les emballages, les étiquettes et les enseignes, et commencer à prévoir les changements nécessaires.

La présente infolettre se veut un document d’information, et non un avis juridique. Le groupe Marketing, publicité et conformité des produits de Miller Thomson est disposé et apte à vous expliquer les obligations imposées par le projet de loi 96 à vous et à votre entreprise.

Avis de non-responsabilité

Cette publication est fournie à titre informatif uniquement. Elle peut contenir des éléments provenant d’autres sources et nous ne garantissons pas son exactitude. Cette publication n’est ni un avis ni un conseil juridique.

Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. utilise vos coordonnées dans le but de vous envoyer des communications électroniques portant sur des questions juridiques, des séminaires ou des événements susceptibles de vous intéresser. Si vous avez des questions concernant nos pratiques d’information ou nos obligations en vertu de la Loi canadienne anti-pourriel, veuillez faire parvenir un courriel à privacy@millerthomson.com.

© Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. Cette publication peut être reproduite et distribuée intégralement sous réserve qu’aucune modification n’y soit apportée, que ce soit dans sa forme ou son contenu. Toute autre forme de reproduction ou de distribution nécessite le consentement écrit préalable de Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. qui peut être obtenu en faisant parvenir un courriel à newsletters@millerthomson.com.