Dans notre article du 30 janvier 2024, nous faisions état de la publication d’un projet de règlement (le « projet de règlement ») modifiant le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le « Règlement »). Il s’agit d’un règlement d’application de la Charte de la langue française (la « Charte »), laquelle a été substantiellement modifiée par le projet de loi 96, intitulé Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (le « projet de loi 96 »), sanctionné le 1er juin 2022.

La version finale de ce règlement final (le « règlement final ») a été publiée le 26 juin 2024 et la majorité de ses dispositions entreront en vigueur le 1er juin 2025.

Ce règlement final était fort attendu étant donné que le projet de règlement annonçait des changements qui risquaient d’affecter considérablement les entreprises exerçant leurs activités au Québec.

En réponse aux commentaires formulés par de nombreux intervenants, le gouvernement a finalement reculé sur plusieurs sujets. Malgré ces reculs, des nouvelles obligations non négligeables seront en vigueur dès le 1er juin 2025 et les entreprises devraient en tenir compte dès maintenant.

Cet article fait état des faits saillants du règlement final.

Règlement sur la langue du commerce et des affaires

L’objectif du Règlement est de prévoir des dérogations à la Charte et de faciliter sa mise en œuvre, notamment pour définir des termes et expressions ou en préciser la portée.

Bien que la plupart des dispositions du projet de loi 96 soient déjà entrées en vigueur, des modifications relatives (1) à l’étiquetage et l’emballage des produits et (2) à l’affichage public, entreront néanmoins en vigueur le 1er juin 2025, ce qui explique l’importance du règlement final.

Modifications à la Charte au niveau des marques de commerce

Rappelons d’abord la nature des modifications à la Charte, édictées par le projet de loi 96, qui entreront en vigueur le 1er juin 2025.

À l’heure actuelle, tant les marques de commerce enregistrées au Canada que les marques de commerce qui ne sont pas enregistrées (marques dites de common law) peuvent bénéficier d’une dérogation permettant leur inscription uniquement dans une langue autre que le français dans les cas suivants : (1) sur un produit, son emballage et les documents afférents, (2) dans l’affichage public, et (3) dans les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux, les bons de commande et tout autre document de même nature.

Le projet de loi 96 a introduit des nouvelles dispositions limitant cette dérogation, en ce qui a trait aux inscriptions sur les produits et à l’affichage public, aux seules marques de commerce enregistrées au Canada dont aucune version correspondante en français n’est enregistrée, ce qui a fait couler beaucoup d’encre. Plusieurs intervenants ont soutenu qu’il n’est pas réaliste d’exiger que les seules marques enregistrées bénéficient de cette dérogation pour plusieurs raisons, incluant les délais actuellement très longs pour obtenir un enregistrement au Canada.

Le gouvernement a finalement fait marche arrière sur cette question et maintient la situation actuelle par une dérogation à la Charte. Bien que la Charte conserve l’exigence d’avoir un enregistrement de marque, le Règlement élargit la portée de la dérogation aux marques non enregistrées, ce qui est une technique de rédaction législative inhabituelle.

Par voie de conséquence, la dérogation continuera de s’appliquer aux marques de commerce « reconnues au sens de la Loi sur les marques de commerce », sauf si une version française en a été déposée, ce qui a été interprété dans la jurisprudence comme visant tant les marques enregistrées que les marques dites de common law.

Cela ne règle toutefois pas toutes les questions puisque des nouvelles limites à cette dérogation, édictées par le projet de loi 96, sont maintenues et seront en vigueur dès le 1er juin 2025.

Premièrement, en ce qui a trait aux inscriptions sur un produit, si une marque de commerce contient un générique ou un descriptif du produit dans une langue autre que le français, ce terme générique ou cette description devra également figurer en français sur le produit ou sur un support qui s’y rattache de manière permanente (il est à noter que le règlement final ne précise pas ce qu’on entend par un tel support se rattachant de manière permanente à un produit).

Deuxièmement, en ce qui a trait à l’affichage public, le Règlement prévoit actuellement l’obligation d’avoir une « présence suffisante » du français lorsqu’une marque de commerce dans une autre langue que le français est affichée à l’extérieur d’un immeuble.

Aux termes des nouvelles dispositions de la Charte, dans l’affichage public « visible depuis l’extérieur d’un local », le français devra figurer de façon « nettement prédominante » lorsqu’une marque y figure dans une autre langue que le français. Le projet de loi 96 prévoit des règles similaires pour les « noms d’entreprises » qui comportent une expression tirée d’une langue autre que le français, quoiqu’il ne soit pas toujours aisé de faire la distinction entre un nom d’entreprise et une marque de commerce.

Nous allons traiter plus en détail de ces deux cas d’espèce. Le règlement final reprend en grande partie le contenu du projet de règlement à ce sujet, en y apportant toutefois certains aménagements.

Inscription sur un produit, son emballage et les documents afférents

Le règlement final corrige d’abord une incohérence dans le projet de loi 96 en précisant qu’un produit inclut son contenant ou son emballage ainsi que tout document ou objet qui l’accompagne.

Le projet de Règlement précise de plus ce qu’on entend par certains termes :

  • un descriptif réfère à un ou plusieurs mots décrivant les caractéristiques d’un produit; et
  • un générique réfère à un ou plusieurs mots décrivant la nature d’un produit.

Parmi les changements d’importance dans le règlement final, qui diffèrent du projet de règlement, il est maintenant précisé que le nom de l’entreprise ou le nom du produit tel que commercialisé ne peut pas être considéré comme un générique ou un descriptif.

Rappelons que pendant l’examen du projet de loi 96 en commission parlementaire, le ministre de la Langue française a fourni un exemple d’application de la nouvelle règle : la marque de commerce « SOFTSOAP BRAND, Lavender and Shea Butter, washes away bacteria, deeply moisturize to hydrate skin, refill 50 ounces, 1.56 QT, 1.47 liters, refill over 673 ounces, use 48 less plastic per ounces, 7.5 ounces pumps » devrait s’accompagner d’une version française pour tout ce qui suit « SOFTSOAP BRAND ».

Certains intervenants ont soulevé des doutes sur le cas du mot « SOFTSOAP ». En effet, bien qu’il s’agisse du nom du produit, il aurait pu être soutenu qu’il s’agit néanmoins d’un terme descriptif ou générique devant être traduit en français. Cette incertitude est maintenant levée.

Le gouvernement du Québec a diffusé un exemple de l’application de cette nouvelle règle :

Exemple de changements

(Source: Jean-François Roberge / X)

Le règlement final précise par ailleurs qu’une appellation d’origine ou un nom distinctif à caractère culturel ne sont pas non plus considérés comme un descriptif ou un générique.

Les entreprises bénéficient d’une période transitoire pour se conformer à ces nouvelles dispositions. En effet, jusqu’au 1er juin 2027, un produit non conforme peut être distribué, vendu au détail, loué, offert en vente ou en location ou autrement offert sur le marché, lorsqu’à la fois (1) il a été fabriqué avant le 1er juin 2025, et (2) aucune version française de la marque de commerce n’était enregistrée au 26 juin 2024.

Affichage public

Le règlement final prévoit que le français figure de façon « nettement prédominante » lorsque le texte rédigé en français a un impact visuel beaucoup plus important que le texte rédigé dans une autre langue. Les critères prévus dans le règlement final sont très similaires à ceux actuellement en vigueur pour déterminer dans quels cas le français figure de façon « nettement prédominante » (ce concept est en effet déjà utilisé dans d’autres contextes que ceux où il y a présence d’une marque de commerce dans une langue autre que le français). Selon les nouveaux critères :

  • le texte en français doit se trouver dans le « même champ visuel » que le texte rédigé dans une autre langue, c’est-à-dire que tous les composants de l’affichage doivent être visibles et lisibles en même temps sans qu’il soit nécessaire de se déplacer;
  • un texte rédigé en français a un impact visuel beaucoup plus important si (1) l’espace consacré au texte rédigé en français est au moins deux fois plus grand que celui consacré au texte rédigé dans une autre langue, et (2) sa lisibilité et sa visibilité permanente sont au moins équivalentes à celles du texte rédigé dans une autre langue (incluant leur éclairage) de façon à ce qu’il soit possible de les lire en tout temps, facilement et de manière simultanée; et
  • certains termes ne comptent pas comme un texte en français, tels que les heures d’ouverture, les adresses, les chiffres, etc.

Le projet de règlement prévoyait plutôt que le texte en français devait être deux fois plus grand que le texte dans une autre langue, ce qui engendrait des incertitudes d’interprétation. Le critère de « l’espace consacré » devrait être plus facile à appliquer. Le règlement final précise de plus maintenant que dans l’affichage dynamique, le texte rédigé en français a un impact visuel beaucoup plus important lorsqu’il est visible au moins deux fois plus longtemps que celui rédigé dans une autre langue.

Plus spécifiquement en ce qui a trait aux marques de commerce et aux noms d’entreprises dans une autre langue que le français, le règlement final prévoit ce qui suit :

  • l’affichage public est « visible depuis l’extérieur d’un local » lorsqu’il peut être vu (1) de l’extérieur d’un espace, fermé ou non, y compris sur un immeuble, un ensemble d’immeubles ou à l’intérieur d’un centre commercial ou (2) sur une borne ou une autre structure indépendante, y compris celle de type enseigne pylône (sauf, dans ce dernier cas, lorsque plus de deux marques de commerce ou noms d’entreprise y figurent);
  • l’affichage public, visible depuis l’extérieur d’un local, d’une marque de commerce ou d’un nom d’entreprise dans une langue autre que le français, doit être accompagné de termes en français qui occupent au moins le double de l’espace consacré à la marque, c’est-à-dire : (1) un générique des produits ou des services visés, (2) un descriptif des produits ou des services visés ou (3) un slogan; et
  • l’actuelle dérogation, dans le Règlement, pour toute combinaison artificielle de lettres, de syllabes ou de chiffres, ou l’utilisation de pictogrammes, de chiffres, ou encore de sigles, est maintenue.

Le gouvernement du Québec a diffusé deux exemples de l’application des nouvelles règles :

Exemple de marque de commerce accompagnée d’un générique

Exemple de marque de commerce accompagnée d’un slogan

(Source: Jean-François Roberge / X)

Aucune période transitoire n’est prévue et les entreprises doivent donc être conformes dès le 1er juin 2025.

Autres dispositions d’intérêt

Logiciels embarqués. En ce qui a trait aux règles dans la Charte relatives aux inscriptions sur les produits, selon lesquelles le français doit être aussi prédominant que toute autre langue, le projet de règlement prévoyait que l’inscription sur un produit comprend l’inscription qui s’y affiche pour l’utilisateur ou l’utilisatrice au moyen d’un logiciel embarqué. Cette nouvelle disposition n’a pas été reprise dans le règlement final. Il demeure donc ici une zone d’ombre puisque bien qu’une décision de la Cour du Québec de 2016 ait conclu qu’un logiciel servant de système de commandes vocales de navigation d’un véhicule disponible en anglais seulement ne contrevenait pas à la Charte, l’Office québécois de la langue française (l’organisme en charge d’appliquer la Charte) a déjà eu une position divergente sur cette question.

Inscriptions gravées, cuites ou incrustées dans un produit. Le Règlement prévoit actuellement que si un produit provient de l’extérieur du Québec et qu’une inscription (1) est gravée, cuite ou incrustée dans le produit lui-même, (2) y est rivetée ou soudée, ou encore (3) y figure en relief, de façon permanente, une telle inscription peut être uniquement dans une langue autre que le français (sauf les inscriptions concernant la sécurité). Le projet de règlement retirait cette dérogation, mais face au tollé généré par ce changement, il n’a pas été repris dans le règlement final.

Contrats d’adhésion. Le projet de loi 96 a introduit des règles strictes sur l’utilisation du français dans les contrats d’adhésion. En effet, de tels contrats doivent être remis en français simultanément à la version dans une autre langue, et ce, depuis le 1er juin 2023, faute de quoi ils peuvent être frappés de nullité. Le règlement final prévoit certaines précisions qui faciliteront, espérons-le, l’application de cette nouvelle obligation. Ces dispositions du règlement final à cet égard sont déjà en vigueur.

Conclusion

Il sera intéressant de suivre l’impact des modifications prévues dans le projet de loi 96 et dans le règlement final sur les entreprises qui font affaires au Québec. Il sera de plus important de rester aux aguets puisque le gouvernement n’a pas écarté la possibilité de revenir à la charge dans le futur avec certains changements qui ont été exclus pour l’instant, notamment sur la question des inscriptions gravées, cuites ou incrustées dans un produit.

Le groupe Marketing, publicité et conformité des produits et le groupe Propriété intellectuelle sont prêts à vous aider à mieux comprendre les obligations que le projet de loi 96 vous impose, à vous et à votre entreprise.