Maintenant que les obligations de déclaration relatives aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) deviennent de plus en plus fréquentes, du moins pour les grandes sociétés cotées en bourse, le contenu de ces déclarations et les effets de l’adoption de saines pratiques en matière d’ESG font l’objet d’un examen de plus en plus minutieux de la part des investisseurs, des organismes de réglementation, et même des organisations non gouvernementales (ONG). Cette situation représente un défi pour les conseils d’administration qui, en raison de leurs nouvelles responsabilités, doivent veiller à ce que leurs déclarations et surtout leurs politiques ne se heurtent pas à des exigences parfois contradictoires. Ce conflit est surtout frappant lors de la comparaison entre les allégations d’« écoblanchiment » et la tendance dite du « contrecoup des facteurs ESG » observée dans certaines compétences territoriales.

L’écoblanchiment

La règle fondamentale de l’obligation de déclaration de manière responsable des données ESG veut que ces déclarations soient : 1) véridiques et non trompeuses; 2) spécifiques et non générales ni ambiguës; 3) exactes et non exagérées; et 4) corroborées et objectivement vérifiables. Les déclarations des données ESG qui ne répondent pas à ces critères pourraient faire l’objet de réclamations pour « écoblanchiment », ce qui pourrait entraîner des sanctions de la part des autorités de réglementation.

Au Canada, le Bureau de la concurrence a mis en place des pratiques à l’intention des entreprises afin de s’assurer que les affirmations relatives aux enjeux ESG, y compris les allégations environnementales et les allégations dites « vertes », ne soient pas jugées trompeuses.

Greenpeace Canada c. Alliance nouvelles voies

L’une des plaintes les plus médiatisées pour « écoblanchiment » au Canada a été déposée auprès du Bureau de la concurrence en 2023 par Greenpeace Canada, qui allègue que les six plus grands exploitateurs de sables bitumineux au Canada (qui composent l’« Alliance nouvelles voies ») ont fait des déclarations publiques fausses et trompeuses dans leur campagne publicitaire intitulée « Let’s clear the air ».

Greenpeace Canada a demandé notamment à l’Alliance nouvelles voies de verser à des organisations œuvrant pour la réhabilitation environnementale et la dépollution des sables bitumineux une pénalité de 10 millions de dollars ou 3 % de ses bénéfices bruts à l’échelle mondiale.

Les plaintes de cette nature, fondées sur des affirmations publicitaires ou sur des déclarations destinées aux investisseurs, sont de plus en plus nombreuses et les entreprises prudentes devraient examiner attentivement à l’avance toutes les affirmations relatives aux enjeux ESG qu’elles proposent de rendre publiques, parfois même en faisant appel à des auditeurs externes pour s’assurer que leur déclaration respecte les exigences de vérité et de vérifiabilité objective.

Le contrecoup des facteurs ESG

À l’extrémité opposée du spectre, on trouve un concept connu sous le nom de « contrecoup des facteurs ESG ». Ce concept a attiré beaucoup d’attention en 2023, lorsqu’un certain nombre de politiciens dans plusieurs États américains ont fait valoir que les critères ESG étaient incompatibles avec l’obligation des sociétés de maximiser la valeur actionnariale.

En effet, des représentants des États de la Floride, de l’Oklahoma, du Texas, de la Virginie-Occidentale et de plusieurs autres États ont déclaré que certains gestionnaires d’actifs exerçaient une forte pression en faveur des critères ESG au détriment du rendement pour les investisseurs. Les représentants de ces États ont fait valoir que les enjeux ESG ne sont pas pertinents pour les décisions d’investissement et, dans certains cas, ont interdit aux gestionnaires d’actifs qui utilisent des indicateurs ESG de gérer les fonds des pensions d’état.

En mars 2023, les gouverneurs de 19 États se sont engagés à utiliser [TRADUCTION] « les fonds de pension des États pour imposer des changements dans la manière dont les principaux gestionnaires d’actifs investissent l’argent des Américains qui travaillent dur, en veillant à ce que les sociétés se concentrent sur la maximisation de la valeur actionnariale plutôt que sur la prolifération de l’idéologie de la conscientisation. ».

Dans une déclaration commune, les gouverneurs ont affirmé que [TRADUCTION] « La prolifération des facteurs ESG dans toute l’Amérique est une menace directe pour l’économie américaine, la liberté économique individuelle et le mode de vie, car elle met les décisions d’investissement entre les mains d’une foule axée sur la conscientisation qui délaissent les urnes et injecte de l’idéologie politique dans les décisions d’investissement, la gouvernance d’entreprise et l’économie de la vie quotidienne. ».

Un sondage réalisé par le Conference Board a révélé que la majorité des sociétés américaines interrogées s’attendent à ce que ce type de contrecoup se produise encore ou qu’il s’intensifie, au cours des deux prochaines années. Toutefois, jusqu’à présent, il semblerait que les sociétés participantes à ce sondage n’aient pas l’intention de revenir sur leurs engagements en matière d’ESG.

Le phénomène du « contrecoup des facteurs ESG » semble émaner essentiellement des États-Unis, principalement à l’échelle des États. Les sociétés de l’Union européenne (UE) ne semblent pas subir une telle pression de la part des agences gouvernementales fédérales ou régionales.

Il est toutefois important pour les sociétés canadiennes de surveiller cette tendance, car la politique canadienne est souvent influencée par les décisions prises aux États-Unis et dans l’UE, mais les sociétés canadiennes qui ont des activités aux États-Unis pourraient être directement touchées par cette tendance.

Trouver le bon équilibre

Les fondements de l’argument du « contrecoup des facteurs ESG » reposent sur l’hypothèse selon laquelle le respect des facteurs ESG va à l’encontre de l’obligation d’une société de maximiser le profit pour ses actionnaires. Toutefois, il est important de noter que même en partant du principe que l’objectif principal et l’obligation d’une société sont de maximiser le profit de ses actionnaires, cette obligation n’est pas illimitée. Par exemple, personne ne suggérerait d’adopter une conduite illégale simplement parce qu’elle est plus rentable. Mais en l’absence de l’adoption de lois imposant le respect des critères ESG (ce qui est peu probable à notre avis), les sociétés devront déployer d’importants efforts pour exprimer clairement la cohérence entre leurs politiques ESG et la maximisation de la valeur actionnariale, notamment en faisant référence aux préférences des investisseurs, aux préoccupations liées au changement climatique et à leurs répercussions sur la valeur à long terme de la société, ainsi qu’aux avantages locaux et à la manière de constituer une main-d’œuvre plus stable et plus loyale, tout en s’assurant que leurs déclarations soient véridiques, ciblées, exactes et objectivement vérifiables.

Ces objectifs ne seront pas faciles à atteindre, mais une fois qu’ils auront été clairement formulés, ils devraient être accessibles à toute personne qui prend le temps de s’y attarder. Grâce à une feuille de route raisonnable visant l’équilibre entre la maximisation de la valeur actionnariale et les critères ESG, les sociétés devraient parvenir à réduire au minimum le risque d’être confrontées à un litige d’un côté ou de l’autre du spectre.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec un membre des groupes responsabilité sociale d’entreprise (ESG) et marché du carbone ou droit de l’environnement de Miller Thomson.