Série d’articles sur le marché du carbone : le marché volontaire du carbone du Canada
Par : P. Jason Kroft et Ghazal Hamedani
Voici le deuxième article de notre série sur le marché du carbone. Dans notre dernier article(en anglais), nous nous sommes penchés sur les principaux cadres de tarification du carbone en place dans les provinces canadiennes. Dans le présent article, nous présenterons sommairement certains points saillants du marché volontaire du carbone du Canada. Le marché volontaire du carbone est un marché d’échange de crédits carbone volontaires sur lequel les entreprises et les particuliers achètent des crédits carbone (décrits ci-dessous) représentant les efforts mesurés de réduction des émissions de carbone déployés par d’autres entreprises ou particuliers pour compenser leurs propres émissions de carbone ou à d’autres fins commerciales. Nous examinerons certaines questions clés relatives au marché volontaire du carbone, notamment la façon dont les émissions sont compensées sur un marché volontaire et les entités chargées de vérifier, d’auditer et d’authentifier les crédits.
Sur les 2 000 plus grandes sociétés ouvertes du monde, selon le chiffre d’affaires, 632 ont annoncé qu’elles nourrissaient l’ambition de réduire à zéro leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) à la fin de la COP 26 qui s’est tenue à Glasgow. Depuis, ce nombre est passé à 821.[1] Cependant, lors de la COP 27, la capacité à maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 1,5 °C a été remise en question et il a été déterminé que les émissions de GES devaient diminuer de 45 % d’ici à 2030 pour que l’objectif de carboneutralité soit atteint d’ici à 2050.[2]
Pour atteindre l’objectif de carboneutralité, les sociétés sont de plus en plus nombreuses à opter pour des stratégies reposant sur le recours à des crédits carbone pour compenser les émissions qu’elles ne parviennent pas à réduire autrement en modifiant leurs méthodes, leurs dépenses, leurs processus ou leurs activités internes. Cette force motrice des entreprises est l’un des facteurs qui ont contribué à l’augmentation du financement privé de nombreux projets de lutte contre les changements climatiques en faisant appel à des solutions axées sur le marché du carbone. Les crédits carbone encouragent les dépenses d’innovation nécessaires pour réduire le prix des technologies climatiques de pointe.
Mécanisme
Un crédit carbone est un certificat, une unité ou un instrument (quelle que soit la manière dont il a été créé et défini) représentant généralement une tonne métrique d’équivalent dioxyde de carbone ou autres GES, éliminés de l’atmosphère par suite de la mise en œuvre d’un projet de réduction du carbone ou d’une activité d’évitement d’émissions.
Les crédits de conformité, qui peuvent servir à se conformer aux cadres nationaux ou internationaux de réduction des émissions, contrôlent depuis longtemps les marchés mondiaux du carbone. Par exemple, les unités de réduction certifiée des émissions générées par des projets du mécanisme de développement propre, qui étaient principalement utilisées pour satisfaire aux conditions du Protocole de Kyoto, ont représenté la majorité des échanges initiaux de crédits de compensation du carbone.[3] Cela dit, pour revenir au sujet du présent article, les crédits liés aux initiatives volontaires de réduction des émissions sont créés conformément aux normes du marché volontaire mondial du carbone, comme la Verified Carbon Standard, et sont octroyés pour les projets inscrits à ces programmes dans le cadre d’activités qui satisfont à l’examen, aux critères d’admissibilité et aux principes du marché volontaire. Les organismes de normalisation du marché volontaire mondial du carbone appliquent une série de critères importants pour déterminer s’il convient d’apposer un sceau d’approbation ou un « tampon » sur un instrument ou un crédit carbone créé en vue de son échange sur le marché volontaire du carbone . Les marchés volontaires du carbone sont créés par des projets et des commanditaires qui renoncent au statu quo et dont les crédits (entre autres critères) répondent au critère d’« additionnalité », c’est-à-dire que le crédit volontaire résulte de mesures qui ont été prises, ou évitées par choix, et qui excèdent les exigences qui peuvent être imposées par une autorité gouvernementale. Autrement dit, le fait de prendre les mesures dictées par le fardeau de conformité en vigueur peut donner lieu à des attributs environnementaux reconnus sur le marché de la conformité, mais ceux-ci risquent de ne pas être admissibles sur le marché volontaire du carbone. Au lieu d’être utilisés pour appuyer des promesses ou des prétentions en matière de réduction obligatoire des GES découlant des activités, ces crédits volontaires servent à honorer les engagements volontaires de réduction des GES pris par une entreprise.
En réduisant, en captant et en stockant les émissions au moyen de diverses procédures, une grande variété d’entreprises sont en mesure de créer et de vendre des crédits carbone. Les projets d’énergie renouvelable ainsi que le captage et la séquestration du carbone et du méthane figurent parmi les types de projets de compensation du carbone les plus connus.
Vérification et authentification
Si les méthodes de comptabilisation et de vérification varient sur le marché volontaire du carbone, c’est principalement parce que les avantages découlant des crédits ne sont pas toujours définis. L’une des clés pour développer un marché volontaire du carbone efficace considéré comme liquide et sûr est la capacité d’affirmer en toute confiance que les crédits volontaires qui ont été achetés ou vendus, détenus ou retirés, reflètent des réductions d’émissions réelles, authentiques, permanentes, mesurables, vérifiables et identifiables. En d’autres termes, il est essentiel de pouvoir vérifier et authentifier les crédits carbone. Le processus de vérification incombe normalement à un tiers qui exerce une grande influence sur le développement du marché volontaire du carbone et du marché en général. Cependant, comme il n’existe pas de taxonomie normalisée dans le processus de vérification, les acheteurs et les vendeurs de crédits carbone se heurtent à divers problèmes sur le marché volontaire, comme une faible liquidité, un financement inadéquat et le manque d’accès à des services de gestion des risques.[4] Il est cependant possible d’améliorer et d’accélérer les processus de vérification. Par exemple, des signaux de prix plus clairs pour la demande pourraient contribuer à rassurer les fournisseurs quant à leurs plans de projet et persuader les prêteurs et les investisseurs de proposer du financement.
Problèmes potentiels découlant de l’expansion du marché volontaire du carbone
L’expansion rapide des marchés volontaires du carbone peut faciliter la mobilisation de fonds pour certaines nations, notamment celles de l’hémisphère sud, où les possibilités de mettre en œuvre des solutions de réduction des émissions financièrement viables faisant appel à la nature sont les plus nombreuses.[5] Cependant, certains défis pourraient ralentir leur croissance. Premièrement, les crédits de grande qualité peuvent être rares et il n’existe pas de processus de vérification normalisé, ce qui crée un ensemble de défis particuliers, que ce soit sur le plan de l’approvisionnement, de la demande ou des prétentions de « carboblanchiment ».
Deuxièmement, comme il en a été fait mention lors de la COP 27, le débat se poursuit sur la question de savoir si – et dans quelle mesure – les sociétés peuvent compter sur les crédits carbone et utiliser le marché volontaire du carbone pour atteindre leurs objectifs de carboneutralité. Les données scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indiquent que la compensation ne devrait être utilisée que pour les secteurs et les processus qui pourront difficilement réduire leurs émissions, car la capacité de compenser et d’éliminer le carbone sera limitée.[6] D’aucuns diront que les efforts d’atténuation devraient servir davantage à limiter et à éviter les émissions de GES plutôt qu’à les neutraliser par des mesures de compensation. Selon nous, les entreprises devraient employer divers outils pour assurer la gestion de leurs émissions de carbone et d’autres GES; de plus, le marché du carbone et l’échange de crédits compensatoires constituent des éléments appropriés d’un plan d’entreprise prudent et complet.
Projet Carbone
En juillet 2021, la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC) s’est associée à la National Australia Bank et au NatWest Group pour mettre au point une nouvelle plateforme technologique, appelée Carbonplace, destinée à fournir l’infrastructure nécessaire pour permettre un échange fiable, sûr et évolutif de crédits carbone volontaires.[7] L’objectif du projet est de lever les obstacles freinant l’entrée sur le marché volontaire du carbone et de fournir aux promoteurs de projets de l’hémisphère sud la possibilité d’avoir un accès immédiat et direct à un grand bassin de clients intéressés par des projets de réduction et d’élimination du carbone. Le programme, qui a franchi l’étape des échanges réalisés dans le cadre du projet pilote, devrait être officiellement lancé au début de 2023.
Carbonplace se veut un moyen de résoudre les problèmes découlant de l’expansion du marché volontaire du carbone. Pour garantir que les crédits inclus sont des crédits volontaires de grande qualité et vérifiés, la plateforme fait appel aux principaux registres du carbone, tels que Verra Registry et American Carbon Registry.[8] La plateforme repose sur la technologie de la chaîne de blocs pour améliorer le processus d’achat et de vente des crédits dans différents domaines. Elle vise à rendre le processus aussi transparent que possible en donnant accès à des fonctionnalités complètes de registre, d’audit et de production de rapports permettant de gérer le cycle de vie des crédits carbone. Nous devrons attendre pour voir si la plateforme atteint ses objectifs et permet un échange fiable et efficace des crédits carbone.
Conclusion
Pour répondre à la demande croissante de crédits carbone volontaires et au désir de rehausser leur qualité, des initiatives prometteuses sont mises en œuvre dans le but de développer et d’harmoniser les marchés volontaires du carbone qui sont actuellement très segmentés. En 2021, le groupe de travail sur la mise à l’échelle des marchés volontaires du carbone (Taskforce on Scaling Voluntary Carbon Markets), une initiative à caractère scientifique lancée par Mark Carney, a annoncé la création d’un organisme de gouvernance indépendant chargé d’administrer les principes fondamentaux du carbone, une série de normes d’intégrité environnementale servant à évaluer les crédits carbone. Comme l’a fait remarquer Mark Carney, envoyé spécial des Nations Unies pour le financement de l’action climatique, les efforts de réduction des émissions doivent être guidés par « des directives, des outils et des procédures de conformité clairs ».[9]
Mise en garde. Par définition, le marché volontaire du carbone est volontaire, créé sur mesure et quelque peu opaque. Un grand nombre des transactions sont réalisées en privé par des sociétés spécialisées. Les commentaires formulés dans le présent document sont basés sur notre expérience. Nous avons acquis des connaissances et une expertise en conseillant des acheteurs et des vendeurs d’instruments carbone pendant de nombreuses années et dans divers secteurs. L’étape suivante du développement d’un marché volontaire du carbone efficace implique inévitablement un marché d’acheteurs et de vendeurs plus transparent et plus liquide, et qui permet de connaître plus facilement les prix et les conditions des instruments. Nous espérons participer activement au développement du marché volontaire du carbone et à l’échange de crédits carbone de haute qualité, vérifiés et authentiques pour nos clients et contacts.
À noter à votre agenda : le mardi 7 mars 2023 aura lieu la toute première activité du groupe Responsabilité sociale d’entreprise et marché du carbone, intitulée ESG and The Mining Industry (La responsabilité sociale d’entreprise et le secteur minier). Cette activité, qui se tiendra en personne à notre bureau de Toronto, sera diffusée virtuellement pour les personnes qui souhaitent opter pour ce mode de participation. Pour obtenir un complément d’information, veuillez écrire à l’adresse torontoevents@millerthomson.com.
Nous serons ravis de rencontrer les personnes désireuses d’en apprendre davantage sur les thèmes de la responsabilité sociale d’entreprise et du marché du carbone et de discuter avec elles.
MC Marque de commerce Miller Thomson SENCRL
[1] Net Zero Tracker, Tableau des 2 000 plus grandes sociétés ouvertes. (en anglais)
ONU Climat, COP 27. « La COP 27 parvient à un accord décisif sur un nouveau fonds “pertes et préjudices” pour les pays vulnérables. » (novembre 2022).
[3] Banque mondiale, State and Trends of Carbon Pricing 2021 (mai 2021).
[4] McKinsey & Company (13 avril 2022). How the voluntary carbon market can help address climate change. (en anglais)
[5] Blaufelder, C., Levy, C., Mannion, P. et Pinner, D. (24 octobre 2022). A blueprint for scaling voluntary carbon markets to meet the Climate Challenge. McKinsey & Company. (en anglais)
[6] Digitalnewshub (22 octobre 2021). Heavy reliance on carbon offsets undermines net-zero goals. UN Climate Summit News – COP 27. (en anglais)
[7] Three banks join initiative for Voluntary Carbon Market Platform. Reuters. (en anglais)
[8] Carbonplace: Global carbon credit transaction network. Carbonplace (6 juillet 2022). (en anglais)
[9] Nations Unies (2021). Mark Carney : investir dans des solutions climatiques neutres en émissions crée de la valeur et procure des avantages.