Mathur et al. : une action en matière climatique intentée par des jeunes contre le gouvernement de l’Ontario soulève des questions justiciables, mais est rejetée, faute d’avoir établi des violations de la Charte

20 avril 2023 | Christie A. McLeod, Annafaye Dunbar, Rosemarie Sarrazin

Le 14 avril 2023, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu sa décision tant attendue dans Mathur et al. v. His Majesty the King in Right of Ontario [Mathur et al.]. Elle a statué que les demandeurs soulevaient des questions justiciables, mais les a déboutés au motif qu’ils n’avaient établi aucune violation des articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »)[1].

Il s’agissait d’une poursuite intentée à la fin 2019 contre le gouvernement de l’Ontario par Ecojustice et six jeunes activistes écologistes, qui contestaient la constitutionnalité de la cible abaissée de réduction des émissions de gaz à effet de serre (« GES ») pour 2030. Ladite cible faisait suite à l’adoption, par le gouvernement de l’Ontario, de la Loi de 2018 annulant le programme de plafonnement et d’échange (la « Loi de 2018 »), qui a abrogé la Loi de 2016 sur l’atténuation du changement climatique et une économie sobre en carbone et rendu caduque une cible établie par cette dernière, soit que, pour l’horizon 2030, la province réduise ses émissions de 45 % par rapport à 2005. La Loi de 2018 prévoit une cible nettement plus faible, soit une réduction de 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030 (la « cible ontarienne »). Les demandeurs soutenaient, entre autres, que l’adoption de la cible ontarienne ne suffirait pas à combattre les changements climatiques, ce qui portait atteinte aux droits reconnus aux générations montantes et futures de la province par les articles 7 (vie, liberté et sécurité de la personne) et 15 (égalité) de la Charte. Ils demandaient expressément au tribunal :

  • de déclarer inconstitutionnelle la cible ontarienne;
  • de déclarer inconstitutionnels le paragraphe 3(1) ou l’article 16 de la Loi de 2018;
  • d’ordonner au gouvernement de l’Ontario d’établir une nouvelle cible fondée sur la science et en phase avec sa contribution minimale à la réduction des émissions nécessaire pour limiter les changements conformément aux engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris;
  • d’ordonner au gouvernement de l’Ontario de revoir son plan sur le changement climatique, élaboré en application du paragraphe 4(1) de la Loi de 2018, après avoir établi ladite cible[2].

En réponse à la demande, le procureur général de l’Ontario a présenté une motion en radiation de l’action, au motif que la question n’était pas justiciable (ne pouvait faire l’objet d’une décision judiciaire). La demande lui ayant paru justiciable à première vue, la juge Brown de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté la motion dans Mathur v. Ontario[3]. La cause a ensuite été entendue sur le fond en septembre 2022. Mathur et al. était la première poursuite en matière climatique fondée sur la Charte à faire l’objet d’une audience complète et d’une instruction sur le fond devant un tribunal canadien.

L’obstacle de la justiciabilité a été surmonté

En premier lieu, la juge Vermette a conclu que les questions relatives à la Charte soulevées par les demandeurs, parce qu’elles portaient sur une action de l’État et une loi précises, étaient justiciables[4]. Elle a cependant noté que la question de la « juste » part de la réduction restante de l’empreinte carbone revenant au Canada et à l’Ontario [traduction] « devait être tranchée par un autre forum » et n’était pas justiciable[5].

La conclusion de justiciabilité de la juge Vermette faisait écho à un constat récent du juge Basran de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Sierra Club of British Columbia Foundation v. British Columbia (Minister of Environment and Climate Change Strategy) [Sierra Club][6]. Dans ce dossier, la Fondation du Sierra Club de la Colombie-Britannique (la « Fondation ») sollicitait un jugement déclaratoire portant que le ministre de l’Environnement et de la Stratégie en matière de changements changements (le « ministre ») avait manqué à son obligation légale de préparer une reddition de comptes annuelle sur les changements climatiques, conformément à la Climate Change Accountability Act [SBC 2007, c. 42] (la « CCAA »), en omettant d’inclure des plans pour poursuivre les progrès vis-à-vis des cibles de 2025, de 2040 et de 2050 et des cibles concernant le secteur des hydrocarbures dans sa reddition de comptes.

Le juge Basran a conclu que, comme la CCAA imposait des obligations redditionnelles suffisamment claires et susceptibles d’application par les tribunaux, le respect desdites obligations par le ministre était un point justiciable. Il a fait remarquer que si la question de la Fondation avait porté sur l’efficacité des politiques sur le plan de la réduction des émissions et de l’atteinte des cibles établies par le ministre, elle n’aurait pas été justiciable[7]. Malgré la déclaration de justiciabilité, la Cour a débouté le demandeur, au motif que le ministre n’était pas tenu par la CCAA de chiffrer l’atteinte des cibles en pourcentage et que celui-ci s’était acquitté des obligations redditionnelles prévues par la CCAA[8].

Si les demandeurs dans Mathur et al. et Sierra Club n’ont pas eu gain de cause sur le fond, les conclusions favorables sur la justiciabilité ont marqué un tournant, dans la mesure où ce motif d’ordre procédural a conduit au rejet préliminaire de différentes demandes en matière de climat déposées auprès de tribunaux canadiens.

Dans La Rose c. Canada [La Rose][9] (dont traitait une édition précédente), une quinzaine de jeunes du pays reprochaient au Canada :

  • de continuer de causer, de favoriser et d’autoriser un niveau d’émissions de GES incompatible avec un système climatique stable;
  • d’adopter des cibles d’émissions de GES qui ne correspondent pas aux meilleures données climatiques disponibles quant à ce qui est nécessaire;
  • de ne pas atteindre les cibles d’émissions qu’il fixe lui-même;
  • de participer activement et d’aider au développement, à l’élargissement et au fonctionnement d’industries et d’activités portant sur des combustibles fossiles.

Estimant que les effets cumulatifs des émissions de GES attribuables à la conduite du Canada portaient atteinte de façon injustifiable à leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité (article 7 de la Charte) ainsi qu’à l’égalité (article 15 de la Charte), les demandeurs ont sollicité plusieurs ordonnances imposant collectivement aux défendeurs « l’obligation, en application de la common law et de la constitution, d’agir d’une manière compatible avec le maintien d’un système climatique stable[10] ».

Soutenant que ni l’une ni l’autre des revendications touchant la Charte n’était justiciable, le Canada a présenté avec succès une requête en radiation de la déclaration des demandeurs. Le critère relatif à une requête en radiation consiste à déterminer s’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable ou que la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie[11]. De plus, la lecture des actes de procédure doit être aussi généreuse que possible, et l’affaire doit être instruite lorsque la demande a des chances raisonnables d’être accueillie[12].

Là où dans Mathur et al, les demandeurs contestaient une loi en particulier et une cible s’y rattachant, dans La Rose, les demandeurs s’attaquaient à l’entièreté de la conduite reprochée au Canada relativement aux émissions de GES et priaient la Cour d’évaluer les effets cumulatifs des émissions de GES découlant de cette conduite[13]. D’avis que les demandeurs ne mettaient pas en cause de mesure législative ou d’acte de l’État définissable ni, d’ailleurs, d’ensemble de mesures législatives ou d’actes de l’État[14], le juge Manson a conclu que les revendications touchant la Charte n’étaient pas justiciables et que la revendication en lien avec la doctrine de la fiducie d’intérêt public, quoique justiciable, ne révélait aucune cause d’action valable[15]. En novembre 2020, les demandeurs se sont pourvus devant la Cour d’appel fédérale : à leur avis, le juge de première instance avait erré en concluant à l’absence de cause d’action valable et en rejetant la revendication sans permettre aux demandeurs de la modifier. Leur pourvoi a été entendu en février, mais jugement n’a pas encore été rendu.

Deux chefs héréditaires d’une nation autochtone de Colombie-Britannique ont eux aussi intenté une poursuite en matière climatique contre le gouvernement fédéral, dans l’affaire Misdzi Yikh c. Canada [Misdzi Yikh][16]. Les demandeurs ont soutenu, entre autres, qu’en négligeant d’adopter des politiques plus strictes visant à réduire les émissions de GES pour l’horizon 2030, Ottawa avait bafoué leurs droits au titre des articles 7 et 15 de la Charte, en plus de contrevenir à différents principes de common law. Ils ont également dit que le gouvernement fédéral avait manqué à son devoir de réduire les émissions de GES dans l’exercice des pouvoirs relatifs à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement que lui confère l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Comme dans La Rose, le gouvernement fédéral a déposé une requête en radiation, et la Cour fédérale s’est penchée sur la justiciabilité des revendications des demandeurs. La Cour a jugé non justiciables les réclamations formulées et les réparations demandées, au motif qu’aucune mesure législative fédérale n’était contestée comme étant la cause des violations de la Charte reprochées ou invoquée pour demander réparation à ce titre[17].Les demandeurs se sont pourvus devant la Cour d’appel fédérale, et leur affaire a été entendue en février, en même temps que La Rose; jugement n’a pas encore été rendu.

Si la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu la possibilité de baser une allégation de violation constitutionnelle sur un ensemble de lois[18], les poursuites en matière climatique intentées au Canada à ce jour montrent qu’il est difficile d’établir la justiciabilité de ce type de revendication. Mathur et al. et Sierra Club indiquent toutefois que les tribunaux pourraient être disposés à trancher des questions de responsabilité climatique si cet obstacle procédural venait à être levé.

Analyse relative à l’article 7

Dans Mathur et al., la juge Vermette a centré son analyse sur la revendication des demandeurs selon laquelle leurs droits garantis par l’article 7 de la Charte avaient été bafoués. Si elle a convenu qu’il était [traduction] « incontestable » que les changements climatiques occasionnaient, pour les demandeurs (et la population ontarienne en général), [traduction] « un risque accru de décès et un risque accru pour la sécurité de la personne », elle a souligné qu’il s’agissait en l’espèce de déterminer si la cible ontarienne et les dispositions invoquées de la Loi de 2018 faisaient subir spécifiquement aux demandeurs un risque accru de décès ou des effets négatifs ou limitatifs sur le plan de la sécurité[19].

La juge s’est dite d’avis que cette revendication, par sa nature, soulevait la question de savoir si ledit article imposait à l’État des obligations positives. Les demandeurs ne considéraient pas qu’ils revendiquaient des droits positifs; ils soutenaient plutôt que, vu la mesure dans laquelle il a autorisé, encouragé, facilité et créé un niveau dangereux d’émissions de GES ainsi que la manière dont il a réglementé les niveaux globaux de GES sur son territoire, le gouvernement de l’Ontario devait assurer la constitutionnalité du régime ainsi établi[20].

À ce jour, l’État ne s’est pas vu imposer l’obligation positive distincte de veiller à ce que chaque individu jouisse des droits prévus à l’article 7 de la Charte. La juge Vermette a exprimé sur le sujet l’avis suivant :

[traduction] À mon sens, les demandeurs ont présenté des arguments convaincants voulant que les changements climatiques et la menace existentielle que ceux-ci représentent pour la vie et la sécurité des personnes comportent des circonstances particulières susceptibles de justifier l’imposition d’obligations positives par l’article 7 de la Charte[21].

Elle a cependant préféré ne pas déterminer si l’article 7 imposait des obligations positives dans ce dossier, étant donné que, selon son analyse, d’éventuelles atteintes aux droits garantis par ledit article ne seraient pas contraires aux principes de justice fondamentale.

Les demandeurs estimaient la cible ontarienne contraire aux principes de justice fondamentale concernant le caractère arbitraire et la disproportion exagérée. Au sujet du caractère arbitraire, ils ont défini l’objectif de la province comme étant de contribuer à sa mesure à la réduction des émissions et à la protection de l’environnement pour les générations futures. En désaccord avec cette interprétation, la juge Vermette a fait valoir que la cible ontarienne avait pour but [traduction] « de réduire les émissions de GES en Ontario en vue de lutter contre le changement climatique et d’y faire face[22]. Elle a statué que la cible ontarienne et ses effets se rattachaient à ce but et n’étaient donc pas arbitraires. Puisque les demandeurs adhéraient à ce but (et souhaitaient simplement que l’Ontario en fasse davantage pour le réaliser), elle a ajouté que le principe relatif à la disproportion exagérée n’était pas non plus enfreint[23].

Analyse relative à l’article 15

Les demandeurs soutenaient que la cible ontarienne avait donné lieu à une distinction fondée sur le motif énuméré de l’âge en imposant aux Ontariennes et Ontariens des fardeaux distincts en fonction de leur âge et de leur date de naissance[24]. Ils ont reconnu que la cible ontarienne et la Loi de 2018 n’opéraient pas de distinction entre les Ontariennes et Ontariens d’âges différents, mais ont fait remarquer que, vu leur âge, les jeunes et les générations futures subiraient des conséquences particulièrement graves. Ils se sont toutefois gardés de définir un critère d’admissibilité ou un seuil d’âge.

La juge Vermette s’est dite d’avis que les demandeurs n’avaient pas démontré en quoi la cible ontarienne créait une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et que les jeunes étaient disproportionnellement touchés par les changements climatiques plutôt que par la cible ontarienne ou la Loi de 2018. Adoptant l’argument de la province selon lequel l’aggravation des effets de changements climatiques n’est pas due à la cible ontarienne et ne revient pas à une distinction en fonction de l’âge, mais à une distinction temporelle, elle a conclu que la demande n’établissait aucune violation du paragraphe 15(1) de la Charte.

Les demandeurs dans Mathur et al. n’étaient pas les premiers au Canada à soutenir que l’omission d’établir une cible d’émission suffisamment ambitieuse violait les droits des jeunes garantis par la Charte. Dans Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada[25], l’organisme sans but lucratif Environnement Jeunesse (« ENJEU ») demandait l’autorisation d’exercer une action collective contre le gouvernement fédéral au nom des résidentes et résidents du Québec âgés de 35 ans ou moins (au 26 novembre 2018).

ENJEU reprochait au gouvernement fédéral sa négligence grossière et son inaction en réponse aux dangers posés par les changements climatiques et soutenait qu’il avait privé les jeunes de droits garantis par la Charte en négligeant d’établir une cible de réduction des GES suffisante pour éviter un réchauffement dangereux et de dresser un plan adéquat pour atteindre sa cible. La Cour supérieure du Québec a rejeté la demande au motif que la décision de plafonner l’âge des membres à 35 ans était subjective et arbitraire[26]. Elle a aussi déterminé qu’en l’espèce, l’action collective n’était pas le véhicule procédural approprié, puisqu’une simple demande par une seule personne aurait eu les mêmes effets[27]. Le rejet par la Cour supérieure du Québec de la demande en autorisation de l’action collective a été confirmé par la Cour d’appel du Québec[28].

Points à retenir et conclusion

La Cour suprême du Canada a reconnu que la crise climatique représentait « une grave menace pour l’avenir de l’humanité[29]. Le gouvernement fédéral et plus de 600 municipalités au pays ont déclaré une situation d’urgence climatique[30]. En dépit de ces constats, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux continuent d’établir des cibles de réduction des émissions de GES nettement moins ambitieuses que ce que commande le consensus scientifique publié en 2018; comme en convient la juge Vermette, pour limiter à 1,5 ?C le réchauffement moyen à la surface de la Terre, il faut réduire les émissions de quelque 45 % par rapport à 2010 à l’horizon 2030 et atteindre la carboneutralité d’ici 20503[31].

La juge Vermette a marqué que, s’il veut atteindre cet objectif mondial, l’Ontario devrait réduire ses émissions de quelque 52 % sous les niveaux de 2005 pour l’horizon 2030, c’est-à-dire hausser de 22 % la cible ontarienne[32]. Notons que, comme nous nous classons au dixième rang des pays et régions émettant le plus de GES[33], beaucoup estiment que le Canada et les autres gros émetteurs devraient assumer une plus grande partie du fardeau mondial d’atténuation; à ce titre, l’Ontario et les autres provinces et territoires du Canada, de même que le gouvernement fédéral, devraient fixer – et atteindre – des cibles de réduction des émissions supérieures à l’objectif mondial.

Jusqu’à maintenant, les demandeurs qui s’adressent aux tribunaux pour tenir un gouvernement au pays responsable de ses actions et inactions sur le plan climatique peinent à formuler une demande assez précise pour être considérée comme justiciable et assez large pour englober une conduite étatique qui établit une violation d’un droit garanti par la Charte.

Dans La Rose, les demandeurs s’en sont pris aux actions et inactions du Canada sur le plan climatique, sans toutefois cibler une mesure législative ou un acte de l’État. La Cour fédérale a estimé la demande injusticiable, en invoquant entre autres « l’ampleur excessive et le caractère diffus » du comportement reproché[34]. Dans Environnement Jeunesse 2021, la Cour supérieure du Québec a statué que le demandeur avait soulevé un point justiciable, une conclusion infirmée par la Cour d’appel du Québec au motif qu’il soulevait des questions excédant la compétence du tribunal[35].

Dans Mathur et al., les demandeurs ont fait [traduction] « le choix stratégique » de limiter leur contestation à la cible ontarienne et à des dispositions de la Loi de 2018, ce qui a conduit à une conclusion favorable sur la justiciabilité, mais a empêché d’incorporer d’autres actes de l’État à l’analyse [36]. Par conséquent, au moment de prendre en considération les principes de justice fondamentale, la juge Vermette ne pouvait se pencher que sur la cible et les dispositions en question.

Ailleurs dans le monde, des citoyennes et citoyens ont réussi à défendre en cour un renforcement obligatoire des cibles de réduction des émissions. Aux Pays-Bas, la fondation Urgenda a démontré que le gouvernement fédéral avait manqué à son devoir de diligence envers la population en n’adoptant pas une cible de réduction des émissions suffisante[37]. La Cour du district de La Haye a statué que la cible nationale de réduction des émissions – abaisser les émissions de 17 % sous les niveaux de 1990 à l’horizon 2020 – était insuffisante, au motif qu’elle ne respectait pas la cible établie par le GIEC pour les pays « développés », soit une réduction allant de 25 % à 40 % par rapport à 1990. Il a été ordonné à l’État [traduction] « de limiter la quantité totale des émissions de gaz à effet de serre annuelles du pays […] pour faire en sorte qu’à la fin de 2020, leur volume ait diminué d’au moins 25 % comparativement au niveau atteint en 1990 »[38]. Cette décision a été maintenue par la Cour d’appel de La Haye et la Cour suprême des Pays-Bas[39].

En Allemagne, des jeunes ont eu gain de cause dans une contestation de la loi fédérale sur la protection du climat; ils ont démontré que la cible fédérale de réduction des émissions de GES – 55 % de moins qu’en 1990 à l’horizon 2030 – était insuffisante et ne tenait pas compte des obligations du pays (et de l’Union européenne) au titre de l’Accord de Paris[40]. Ils estimaient leurs droits constitutionnels à la dignité humaine, à la vie et à l’intégrité physique bafouées et reprochaient à l’État de ne pas avoir établi un processus politique contraignant de manière à protéger les fondements naturels de la vie dans un souci responsable des générations futures.

La Cour constitutionnelle fédérale a invalidé des mesures législatives allemandes sur le climat au motif qu’elles étaient incompatibles avec les droits des demandeurs et qu’elles ne prévoyaient pas une réduction suffisante des émissions après 2030. Fait marquant, elle a reproché au législateur de ne pas avoir distribué proportionnellement le budget carbone limité entre les générations actuelles et futures. À son avis, [traduction] « il ne faut pas permettre à une génération de consommer de grandes portions du budget de CO2 tout en contribuant relativement peu à l’effort de réduction si, par conséquent, les générations subséquentes se retrouvent avec un fardeau de réduction accablant et risquent de subir de lourdes pertes de liberté[41] ». La Cour a ordonné au gouvernement d’établir des cibles de réduction des émissions claires à compter de 2031.

Ces victoires sur la scène internationale donnent lieu d’espérer qu’au pays, les prochains instigateurs de poursuites en matière climatique parviendront à faire reconnaître par les tribunaux la responsabilité des pouvoirs publics. Si les demandeurs dans Mathur et al. n’ont pas eu gain de cause en première instance, ils ont indiqué leur intention de se tourner vers la Cour d’appel de l’Ontario[42]. Cette contestation suit son cours devant les tribunaux, et les instances saisies des appels de La Rose et de Misdzi Yikh en sont à formuler leur décision. Dans l’intervalle, nous avons hâte de voir en quoi les actions en matière climatique subséquentes s’inspireront des demandes dont nous avons traité plus haut et alimenteront la jurisprudence de façon à encourager des réponses publiques suffisantes à la crise climatique.

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[1] 2023 ONSC 2316 [Mathur et al.], par. 96.

[2] Ibid., par. 2.

[3] 2020 ONSC 6918. L’autorisation d’interjeter appel a elle aussi été refusée par la Cour divisionnaire de l’Ontario (voir 2021 ONSC 1624).

[4] Mathur et al., par. 106.

[5] Ibid., par. 109.

[6] 2023 BCSC 74.

[7] Ibid., par. 43 à 48.

[8] Ibid., par. 68, 81 et 82.

[9] 2020 CF 1008 [La Rose].

[10] Ibid., par. 20.

[11] Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, p. 980; R c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, par. 17.

[12] Imperial Tobacco, par. 21.

[13] La Rose, par. 3 et 39.

[14] Ibid., par. 46.

[15] Ibid., par. 102.

[16] 2020 CF 1059.

[17] Ibid., par. 72, 73 et 115.

[18] Voir Tanudjaja v. Canada (Attorney General), 2014 ONCA 852.

[19] Mathur et al., par. 120.

[20] Ibid., par. 52.

[21] Ibid., par. 138.

[22] Ibid., par. 158.

[23] Ibid., par. 153-162.

[24] Ibid., par. 68.

[25] 2019 QCCS 2885 [Environnement Jeunesse 2019]. Voir aussi : Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada, 2021 QCCA 1871 [Environnement Jeunesse 2021]; Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada, 2022 CanLII 67615 (CSC).

[26] Environnement Jeunesse 2019, par. 123 et 135.

[27] Ibid., par. 141.

[28] Environnement Jeunesse 2021.

[29] Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, par. 2.

[30] « Vote no 1366 », 42e législature, 1re session, jour de séance no 435 (17 juin 2019), en ligne : Chambre des communes Canada ; Guilherme Baggio et Laura Tozer, « Moving Canadian municipalities to the forefront of decarbonization » (25 janvier 2023), en ligne : Options politiques .

[31] Mathur et al, par. 20. Ce consensus scientifique a été exposé, en 2018, dans un rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations-Unies (le « GIEC »). Depuis, le GIEC a appelé dans d’autres rapports à une intensification de l’action climatique.

[32] Mathur et al., par. 21.

[33] Gouvernement du Canada, « Émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale » (dernière modification le 25 août 2022), en ligne : .

[34] La Rose, par. 41.

35 Environnement Jeunesse 2021, par. 40 à 42.

[36] Mathur et al., par. 135.

[37] Urgenda v. Government of the Netherlands (Ministry of Infrastructure and the Environment [Urgenda c. Gouvernement des Pays-Bas (ministère des Infrastructures et de l’Environnement)] (24 juin 2015), C/09/00456689 (traduction anglaise) (Pays-Bas) [Urgenda], 3.1.

[38] Ibid., 5.1.

[39] ECLI:NL:HR:2019:2007.

[40] Neubauer et al. v. Germany, 1 BvR 2656/18; 1 BvR 78/20; 1 BvR 96/20; 1 BvR 288/20.

[41] Ibid., par. 192.

[42] Ecojustice, « Statement: Ontario youth undeterred in legal fight to hold Ontario government accountable for climate action » (18 avril 2023), en ligne: .

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